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Le solarpunk

Posté : mar. 29 août 2023 10:13
par Tybalt
Le Chant des étoiles de Norman Spinrad, Un Psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers... autant de romans qui montrent des univers futuristes mûs par des énergies durables et un rapport apaisé à l'environnement, plutôt que des enfers de métal et de composants électroniques comme le cyberpunk. Le solarpunk est un genre né vers la fin des années 2000 et le début des années 2010 et qui prend lentement son essor en France. C'est aussi un mouvement qui comprend une part esthétique (comme le steampunk) et politique (comme... un peu toute la science-fiction). Les questions environnementales, sociales et technologiques sont au cœur du genre : prendre en compte et stopper le réchauffement climatique, vivre mieux ensemble, imaginer un avenir qui soit autre chose qu'une énième dystopie. C'est un imaginaire de la décroissance, de la réparation, du refus de la société de la consommation ; un imaginaire non pas technophobe mais orienté low-tech. "Solar", donc, mais aussi "punk".

Vous l'avez compris : si vous en avez un peu marre des futurs torturés et anxiogènes, qui vous expliquent que l'avenir sera nécessairement affreux sans vous aider à réfléchir aux moyens d'éviter ça, le solarpunk peut vous intéresser, puisqu'il est résolument tourné vers l'espoir et les idées constructives. De ce point de vue, le solarpunk se distingue de la simple SF climatique (qui met l'accent sur les aspects anxiogènes et/ou sur les apocalypses). Ce n'est pas une utopie figée et béate, ni un simple vernis feel good, mais un mouvement de SF qui met l'accent vers l'élaboration de solutions différentes aux problèmes dans une optique autre que cynique, désabusée ou terrifiante.

Le solarpunk puise certaines de ses racines dans des esthétiques plus anciennes dont il partage certaines prémisses, comme l'Art nouveau et certaines œuvres du studio Ghibli (dans Nausicaä de la vallée du vent de Miyazaki, la société de la vallée du vent a déjà un côté solarpunk).

Un manifeste solarpunk est disponible en ligne en plusieurs langues.

Un documentaire audio gratuit sur le solarpunk vient d'être mis en ligne sur Itch.io pour découvrir le genre en une petite demi-heure.

Et si vous lisez l'anglais :
- From Steampunk to Solarpunk, article sur Republic of the Bees en 2008 qui est la première attestation connue du mot.
- un Hopepunk and Solarpunk: On Climate Narratives That Go Beyond the Apocalypse, sur Literary Hub.

Il y a même des artistes qui imaginent de la musique solarpunk. Deux exemples avec des albums collectifs écoutables gratuitement sur Bandcamp :
- Solarpunk : A Possible Future
- Solarpunk : A Brighter Perspective

Re: Le solarpunk

Posté : mar. 29 août 2023 12:47
par Quitertlan
J'ai toujours une sensation assez ambivalente sur le solarpunk (du moins sur son versant littéraire). D'un côté je suis totalement en accord avec ses visées littéraires et politiques, mais de l'autre je trouve que c'est encore un terme un peu fourre tout qui est très marketing et un peu prétentieux aussi.

Comme noté, c'est un terme qui est relativement récent et qui s'est formé en réaction au cyberpunk et au steampunk, et donc c'est relativement normal qu'il y ait peu de livres qui s'y inscrivent, mais j'ai l'impression que le genre a été défini avant de décrire un corpus conséquent ? En regardant l'évolution du cyberpunk, on voit que le terme et le genre a émergé progressivement en s'appuyant sur des auteurs et autrices qui avaient développé des thématiques propres qui se rejoignaient dans ce genre. Pour le solarpunk c'est encore relativement compliqué, c'est peut être du au fait que je ne connaisse pas tant que ça la SF récente et que les choses se passent vite, mais à part Becky Chambers, je ne vois pas trop qui s'inscrit dans ce genre. C'est d'ailleurs un peu ce que dit l'autrice de "Hopepunk and Solarpunk", quand elle cite principalement des recueils de nouvelles qui justement semblaient se baser dès leur création sur la thématique du Solarpunk. et qu'elle dit
solarpunk as a genre hasn’t yet grasped hold of speculative fiction readers in the same way its predecessors cyberpunk and steampunk did
Pour l'aspect un peu prétentieux, j'ai l'impression que certaines déclarations tendent à assimiler un très grande partie de la SF pré "solarpunk" aux clichés de l'esthétique cyberpunk d'aujourd'hui, et de se dire en quelque sorte que tout ce qui vient avant est limite régressif et un peu suspect politiquement, et que ce qui est proposé dans le solarpunk est radicalement nouveau. C'est d'ailleurs assez drôle de remarquer dans ces articles le "try not to say science-fiction" challenge, en usant "speculative fiction" à la place, comme si le terme en lui même était un truc dont il fallait se débarrasser (c'est pas les seuls à faire ça d'ailleurs) alors que c'est une littérature déjà variée et riche, même sur ces sujets-là. Ça me fait penser à une citation de Ursula Le Guin qui parlent d'auteurs qui pensent pouvoir se mettre à faire de la véritable bonne science fiction tout en considérant que ce qui été fait jusque là est de suffisamment mauvaise qualité pour ne pas avoir à l'étudier sérieusement auparavant.

(Pour lire le texte complet (en anglais) d'où est tirée la citation : https://www.ala.org/pla/sites/ala.org.p ... eb2005.pdf)

Re: Le solarpunk

Posté : mar. 29 août 2023 13:41
par Gillossen
Je trouve aussi que, pour le moment, le solar/hopepunk reste avant tout une note d'intention parfois un peu flou, d'autant que je suis bien placé pour m'en être rendu compte quand certains ont voulu classer "mon" Shusharrah avec Anthelme Hauchecorne dans ce courant. :)
Maintenant, à titre perso, ça m'intrigue/m'intéresse plus que le Grimdark par exemple, pour citer une autre mode un peu plus ancienne !

Re: Le solarpunk

Posté : mar. 29 août 2023 14:24
par Tybalt
Quitertlan a écrit : mar. 29 août 2023 12:47Comme noté, c'est un terme qui est relativement récent et qui s'est formé en réaction au cyberpunk et au steampunk, et donc c'est relativement normal qu'il y ait peu de livres qui s'y inscrivent, mais j'ai l'impression que le genre a été défini avant de décrire un corpus conséquent ? En regardant l'évolution du cyberpunk, on voit que le terme et le genre a émergé progressivement en s'appuyant sur des auteurs et autrices qui avaient développé des thématiques propres qui se rejoignaient dans ce genre. Pour le solarpunk c'est encore relativement compliqué, c'est peut être du au fait que je ne connaisse pas tant que ça la SF récente et que les choses se passent vite, mais à part Becky Chambers, je ne vois pas trop qui s'inscrit dans ce genre.
Je pense que les parutions sont bien plus nombreuses dans le monde anglophone. J'ai hâte d'en voir davantage traduites en français, pour pouvoir moi aussi me faire une meilleure idée :)

Pour ce qui est de la théorisation du genre, quel est le bon moment ? Au début ? Au milieu ? (À la fin ?) C'est un problème qui se pose pour tous les mouvements littéraires et plus généralement artistiques, tout comme le problème de la correspondance entre la théorie et les œuvres elles-mêmes. Le même problème se pose dans les études littéraires quand on étudie le romantisme ou le surréalisme, par exemple... ou même la notion de fantasy ou de science-fiction. Parlant d'un mouvement si récent, je pense qu'il faut laisser le temps au temps.
Quitertlan a écrit : mar. 29 août 2023 12:47Pour l'aspect un peu prétentieux, j'ai l'impression que certaines déclarations tendent à assimiler un très grande partie de la SF pré "solarpunk" aux clichés de l'esthétique cyberpunk d'aujourd'hui, et de se dire en quelque sorte que tout ce qui vient avant est limite régressif et un peu suspect politiquement, et que ce qui est proposé dans le solarpunk est radicalement nouveau.
Tout mouvement nouveau cherche à se distinguer de ce qui s'est fait avant : ça aussi, c'est assez général comme mécanisme. Pour autant, je n'ai vu nulle part de remise en cause de l'ensemble du reste de la SF. Quant à l'aspect radicalement nouveau, franchement non, au contraire, puisque le solarpunk se revendique notamment de l'Art nouveau (donc d'un mouvement né au XIXe siècle avec William Morris — par ailleurs précurseur de la fantasy — et les préraphaélites) et du studio Ghibli qui, sans être très ancien, n'est plus un petit nouveau non plus.

Re: Le solarpunk

Posté : mar. 29 août 2023 15:53
par Bergelmir
Histoires de moine et de robot est toujours dans ma PAL ^^

Re: Le solarpunk

Posté : mar. 29 août 2023 19:37
par Quitertlan
Tybalt a écrit : mar. 29 août 2023 14:24Pour ce qui est de la théorisation du genre, quel est le bon moment ? Au début ? Au milieu ? (À la fin ?) C'est un problème qui se pose pour tous les mouvements littéraires et plus généralement artistiques, tout comme le problème de la correspondance entre la théorie et les œuvres elles-mêmes. Le même problème se pose dans les études littéraires quand on étudie le romantisme ou le surréalisme, par exemple... ou même la notion de fantasy ou de science-fiction. Parlant d'un mouvement si récent, je pense qu'il faut laisser le temps au temps.
Je suis tout à fait d'accord, mais je pense que c'est plus les enthousiastes du solarpunk que moi qui veulent l'ériger en genre littéraire/artistique trop rapidement, en sautant l'étape de la constitution plus lente et organique d'un corpus assez conséquent ce sur ce coup là. Les textes qui ressortent des articles cités dans le fil semblent avoir été pensés dès le départ comme relevant du solarpunk, alors que celui ci est encore relativement mal défini (apparemment l'inclusion des films du studio Ghibli dedans fait débat) et que les manifestes, contrarement à ceux d'autres mouvements artistiques, restent relativement confidentiels avec peu de personnalités de premier plan qui s'en revendiquent.

Re: Le solarpunk

Posté : mer. 30 août 2023 09:31
par Tybalt
Il faut laisser le temps au temps, comme je disais :) Selon les mouvements, on a tout vu, depuis le mouvement hyper théorisé qui finissait par exclure ses propres membres en série (le surréalisme en France) jusqu'au mouvement littéraire désigné comme tel par les médias alors que la plupart de ses supposés membres n'utilisaient même pas cette étiquette (le Nouveau Roman)... De même, je ne sais pas si beaucoup d'auteurs de fantasy se cantonnent aux définitions du genre données par les critiques littéraires, d'autant que la définition n'est pas la même en France et aux États-Unis. On pourrait aussi penser aux sous-étiquettes multiples en matière de genres musicaux. Donc, ces envies de théorisation n'ont rien de si défrisant. Mais, comme tu le dis bien, ce qui comptera, c'est ce que les auteurs en feront, qu'ils s'en tiennent aux théorisations préalables ou pas :)

Re: Le solarpunk

Posté : mer. 30 août 2023 10:00
par Kaellis
Marrant, j'ai justement commencé au boulot une biblio sur ce thème. Ça avance lentement - je la complète quand le rayon est calme - mais ça va me permettre de répondre aux quelques questions pointues de mes clients.

Re: Le solarpunk

Posté : mer. 30 août 2023 22:26
par Quitertlan
Ce serait très intéressant d'avoir cet éclairage dun côté libraire effectivement. J'ai l'impression qu'il y a aussi cette composante de classification commerciale qui apparait dans le solarpunk/hopepunk, avec des tendances sur des types d'oeuvres que les reseaux sociaux litteraires vont intensifier au point de créer un genre quasi à part entier. J'ai un peu cette impression pour tout les livres de "réinterpreation modernes de personnages féminins de la mythologie grecque" à la suite du succès un peu à contre temps du Chant d'Achille.

Je dis pas que ça invaliderait le nécessairement le genre qui en émergerait, mais pour le solar/hope punk j'ai un peu l'impression que des maisons d'édition essayent déjà de pousser des oeuvres dans ces cases pour pouvoir profiter de la popularité naissante de ces genres.

Ça rejoint un peu ce que Gillossen disait haut dessus, et aussi une discussion que j'avais eue avec le libraire SF/Fantasy chez qui je vais souvent et qui avait fait un coin "Hopepunk", avec notamment les Chroniques d'un AssaSynth de Martha Wells dedans. On était d'accord poir dire que ça ne correspondait pas vraiment avec le genre cité, mais il me disait que beaucoup de gens sur le net mettait cette série dans cette catégorie et que donc des clients pourraient le chercher dedans.

Pour rebondir sur le terme même de science fiction, ça peut aussi être une façon pour ces maisons d'édition d'euphemiser un terme qui fait mauvais genre (Ursula le Guin note justement dans l'intervention que j'ai cité l'utilisation du terme de "fiction spéculative" pour se faire passer pour plus légitime artistiquement que la SF).

Re: Le solarpunk

Posté : jeu. 31 août 2023 11:52
par Gillossen
On était d'accord pour dire que ça ne correspondait pas vraiment avec le genre cité, mais il me disait que beaucoup de gens sur le net mettait cette série dans cette catégorie et que donc des clients pourraient le chercher dedans.
Ah bon ? Je crois que ça ne me serait jamais venu à l'esprit pour ma part !

Re: Le solarpunk

Posté : sam. 9 sept. 2023 14:19
par Tybalt
Une anthologie solarpunk en français, C'était mieux demain, est en financement sur Ulule.

Re: Le solarpunk

Posté : dim. 7 janv. 2024 14:38
par Luigi Brosse
Gillossen a écrit : jeu. 31 août 2023 11:52
On était d'accord pour dire que ça ne correspondait pas vraiment avec le genre cité, mais il me disait que beaucoup de gens sur le net mettait cette série dans cette catégorie et que donc des clients pourraient le chercher dedans.
Ah bon ? Je crois que ça ne me serait jamais venu à l'esprit pour ma part !
Tout pareil. Je vois pas du tout le lien entre les deux.

Re: Le solarpunk

Posté : mar. 9 janv. 2024 14:58
par Quitertlan
En regardant sur le net j'ai vu plusieurs mentions du système politique de Préservation qui se rapproche des idées solarpunk, mais ça reste assez tenu. Je pense que le personnage principal agenré et limite neurodivergent dans sa personnalité joue aussi, vu qu'il y a aussi un recherche d'inclusivité que ce soit dans la provenance des œuvres que dans les personnages représentés.

Re: Le solarpunk

Posté : lun. 19 août 2024 15:54
par Quitertlan
J'ai profité de l'été pour lire "Ecotopia, l'utopie écologiste de 1975 écrite par Ernest Callenbach. Le roman apparaît de temps en temps aux cotés des "précurseurs" du Solarpunk, et rassemble pas mal d'éléments qui y sont associés.

Le postulat de départ c'est que à la fin des années 70, les trois états de la côte Pacifique des USA (Washington, Oregon et Californie) font sécession et créent un nouveau pays, l'Ecotopia, dont le fonctionnement est centré sur le respect de la nature et la décroissance économique pour réduire l'empreinte de l'espèce humaine. 20 ans après la sécession, un journaliste du New York Times est autorisé à rentrer dans l'Ecotopia pour décrire la société par un ensemble d'articles. Le livre est constitué de ces articles, entrecoupés des notes du journaliste qui décrit son expérience personnelle.

J'ai trouvé que le dispositif littéraire ne fonctionnait pas bien, je n'ai pas vraiment senti de progression organique entre le cheminement personnel du personnage principal et une grande partie des articles, qui font de l'info-dump assez indigeste. Et puis entre ce journaliste dont la principale préoccupation est de baiser et les autres personnages de l'Ecotopia qui semblent n'exister que pour faire des tunnels d'exposition de façon péremptoire, ce n'est pas la caractérisation psychologique des personnages qui donne envie d'avancer. Le livre est contemporain des Dépossédés de Ursula le Guin, qui sur un principe de description d'une société basée sur des idéaux politiques en la comparant avec un proche de la nôtre, fonctionne beaucoup mieux.

C'est un peu dommage, parce qu'il y a une grande partie des thèmes et des pratiques mises en œuvre en Ecotopia qui correspondent à certaines de mes sensibilités (comme quoi, ce n'est pas forcément qu'on aime un livre si on est en accord avec les idées de celui-ci), même si il est daté sur pas mal de points et qu'il fait au final très "américain".

Même si les ecotopiens conspuent vertement les USA dans le livre, j'ai quand même l'impression que l'auteur a cherché à mettre en avant des valeurs très américaines donc pour s'adresser à de jeunes américains déjà un peu contestataires de l'époque, avec un virilisme très présent (entre les jeux de guerre rituels et le récit d'une attaque des USA gagnée haut la main par les Ecotopiens), de la marijuana toutes les 10 pages et une liberté sexuelle représentée dans le bouquin comme surtout permettant aux personnages masculins de coucher facilement. L'absence totale de mention de l'URSS dans un bouquin écrit durant la guerre froide avec une charge politique aussi forte m'a étonné également, renforçant aussi cette impression de vouloir mettre en scène une "manifest destiny" verte mais toujours "pure" en un sens. Et puis malgré le fait que l'Ecotopia englobe presque toute la Californie, tout le monde est blanc, avec de vagues mentions d'enclaves pour les autres groupes ethniques comme si ça n’intéressait pas spécialement l'auteur. D'ailleurs tout se passe à proximité de San Francisco, et on pourrait presque avoir la même histoire dans une grosse communauté hippie et non un état de 650 000 km².

Bref j'ai trouvé que c'était une capsule temporelle intéressante qui brassait déjà dans les années 70 des notions sur l'écologie et la société en général qui semble pourtant très actuelles, mais qui pêche par une construction littéraire indigeste, trop démonstrative et décousue et une conception de la société assez décevante sur certains points.