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Hé bien, tout à l'heure, je viens de refermer le livre d'un rabbin, tout à fait remarquable : "Pourquoi le malheur frappe ceux qui ne le méritent pas" de Harold S. Kushner qui arrive à aborder la question du mal et du malheur avec des mots très simples, tout en restant une réflexion théologique de très grande qualité....qui peut être lue certainement avec profit, que l'on soit croyant ou non. :)Il faut dire que l'auteur sait de quoi il parle : son fils, Aaron (bin oui, c'est un rabbin après tout :D ) est décédé à 14 ans d'une longue maladie dégénérative. Et pourtant, pas une seule fois, il ne cède au pathos facile, et il n'en fait pas le centre de son livre (mais plutôt le départ).Et, vous rendez-vous compte, le livre date de 1978! (pour la version anglaise), mais j'ai trouvé qu'il n'avait pas perdu une ride. Je reste encore tout époustouflé. :o

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Un petit point sur mes coups de cœur de cette rentrée littéraireLa Confrérie des Chasseurs de Livres de Raphaël Jerusalmy chez Actes SudMon gros coup de cœur, l'histoire suit François Villon qui vient d'être libéré de prison en 1463. L'histoire n'a aucune trace du premier poète maudit de France, mais Raphaël Jerusalmy lui en donne une.Il trace un sillon d'aventures pour un personnage hors normes (Locke Lamora avant l'heure, c'est lui !), emmenée par une écriture simple, efficace et poétique.Le tout englobé dans une intrigue ayant trait au guerre de religion, aux magouilles politiques entre la France et la Papauté. C'est aussi un grand cri d'amour à la liberté et aux livres. Une vrai réussite, et pour moi le futur Goncourt des Lycéens !Transatlantic de Collum McCann chez Belfond :Collum McCann est l'auteur irlandais contemporain que j'adore et admire avec chacune de ces œuvres et une fois encore il prouve l'étendu de son talent. Il raconte de multiples histoires qui relient l'Irlande et les États-Unis. La première suit un duo d'aviateurs au début du siècle essayant d'être les premiers à relier le nouveau et l'ancien continent en avion. Ensuite on découvre le parcours d'un ancien esclave noir américain qui vient prêcher sa cause auprès des bonnes familles irlandaises mais découvre une population affamée et désespérée. Plus contemporain on suit un homme politique américain qui doit négocier la paix irlandaise. Et ainsi de suite...L'auteur relie son pays d'adoption et son pays de naissance avec une aisance impressionnante. Il semble toujours en terrain conquis et ses histoires coulent toutes seules.Dans le Silence du Vent de Louise Erdrich chez Albin Michel :Un peu à la manière de Toni Morrison qui est l'écrivain de référence pour les noirs américains. Louise Erdrich est dans le même cas pour les amérindiens.On est loin des clichés des pauvres indiens totalement déracinée, chassé de leurs terres. Sans renier les actes horribles qu'ils ont subis, Louise Erdrich dresse un portrait de la société amérindiennes actuellement dans les réserves. Et plus généralement, on y suit l'histoire d'une famille qui voit sa vie bouleversée suite à un viol sur la mère de famille. Le personnage principal est un jeune indien de 13 ans qui explore les notions de justice car il va devoir enquêter sur ce viol et ainsi mettre fin à son innocence. Couronnée par le National Book Award et élu Meilleur Livre de l'année par les libraires américains, c'est une grande claque dans la tronche qu'on prend en découvrant le vaste monde décrit par Louise ErdrichVoilà pour la littérature, et maintenant les romans policierMauvaise étoile de R.J. Ellory chez Sonatine :Après un excellent premier roman noir Seul le Silence et une trilogie plus que moyenne sur les institutions américaines (Mafia/NYPD/CIA), R.J. Ellory (a ne pas confondre avec Ellroy) revient sur les terres du roman noir à la manière d'un road movie dans le sud-ouest américain.On suit deux jeunes garçons enfermés dans un pensionnat au Texas en 1960 qui se retrouve les otages d'un tueur psychopathe qui était voué à aller sur la chaise électriques. Et on débute cette descente aux enfers où la violence est omniprésente et où une ambiance oppressante est constamment posée sur les épaules du lecteur. C'est un livre excellent qu'on ne lâche pas !

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Un peu de mal à avancer pour moi dans cette Confrérie, mais normal période de lecture intense, ça me rend plus difficile. Lu Nos étoiles contraires et passé un très beau moment empli d'émotion non larmoyante et d'humanité. Certes classé en YA et clairement destiné à un jeune lectorat, il n'en reste pas moins que John Green parle de la maladie, de la mort, de l'amour et de notre condition humaine avec une très belle pertinence et un grand talent de raconteur. Ce n'est sans doute pas le premier, ni le dernier livre sur la maladie mais l'histoire racontée par Hazel vaut son pesant de cacahuètes (mieux que mon jeu de mots à l'instant :rouge: )

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J'ai lu Les îles du Soleil de Ian Mc Leod, une excellente uchronie dans une Angleterre fasciste en 1940J'ai eu beaucoup de peine à entrer dans l'uchronie car le rythme est au départ très lent. Le rythme s'accélère au fil du roman, jusqu'à une fin assez inattendue.les personnages sont très travaillés et touchants, le héros principal a un profil original
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. Excellent livre, au rythme parfois inégal. Une fin inattendue, un choix de l'auteur intéressant bien qu'une fin plus engagée
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et moins sage aurait mieux collé, selon moi, à l'ambiance du roman.8 pour moi ;)

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Un retour sur un des livres "chauds" de la rentrée littéraire :Utoya - Laurent Obertone - Editions Ring - 2013Nous sommes le 22 juillet 2011. Et plus rien ne sera comme avant.Des sirènes retentissement à Oslo devant le H-Block. Les secours s'activent parmi les blessés. Mais la police, elle, fonce ailleurs. A une quarantaine de kilomètres, les forces Delta abordent l'île D'Utoya où le parti travailliste réunit ses jeunes militants. Du camp d'été, il ne reste qu'un cauchemar de corps et de sang, de larmes et de cris. Les corps transpercés de dizaines de jeunes jalonnent le sentier des amoureux et les rivages de l'île. Les blessés hurlent à peine plus que les survivants du carnage. Les médecins, chirurgiens et autres infirmiers ne savent plus où donner de la tête et du scalpel.D'Utoya, la belle île tranquille, il ne reste rien.Si ce n'est un homme aux cheveux blonds et au regard de fer, un Norvégien anonyme jusqu'ici.D'utoya, il reste Anders Breivik, le chevalier Templier.Laurent Obertone a détonné récemment avec son essai très controversé publié par les éditions Ring, La France Orange Mécanique. Comme inévitable après cette étude sur l'ultraviolence, son second livre, un roman cette fois, s'intéresse au plus grand massacre commis en Norvège depuis la seconde guerre mondiale. Mais pas d'essai cette fois. Après avoir documenté et même surdocumenté son écrit à propos de Breivik et de son acte, Obertone livre un roman fort de plus de 400 pages. Un roman où il fait parler Breivik, où il s'immerge dans le personnage pour nous conter Utoya depuis ses préparatifs jusqu'au procès et la prison en passant par le massacre sur l'île, vécu balle par balle, minute par minute. Sobrement intitulé Utoya, le livre qui va faire bruisser le monde littéraire pendant cette rentrée littéraire, c'est bien lui. Bienvenue dans le monde d'un tueur de masses et de rêves.Obertone choisit l'ascension par la face Nord. Pas d'ordre chronologique, pas de préambule pour poser son Breivik. Dès le début, le lecteur se retrouve en compagnie de Nilsen, un policier surarmé qui aborde l'île d'Utoya pour "sécuriser" les lieux suite à l'attentat à la bombe d'Oslo. En fait de protecteur, c'est le fossoyeur qui se terre sous le masque du policier. Rapidement, les premiers claquements retentissent, les premières victimes tombent, fauchées. Pendant ces premiers chapitres presque interminables, l'auteur décrit minute par minute l'action de Breivik sur l'île. Il décompte ses victimes une par une en coupant la parole du narrateur Breivik par des croix indiquant les morts et le trajet des balles. Ce rythme répétitif, presque désagréable à la lecture, donne le staccato de l'horreur. Une tuerie mécanique, froide, sans aucun sentiment ou presque. Presque, car Breivik sera notre guide. Pas de narrateur extérieur dans le livre d'Obertone, ici, c'est le tueur qui nous guide, c'est dans sa tête que l'on pénètre. Entre les tirs, il nous fait partager ses angoisses sur sa peur de l'échec, ou son envie de devenir un héros. On avance pied à pied avec lui face au marxisme. On se prend au jeu de la tuerie, au goût du sang. Sans jamais s'arrêter sur les victimes, on n'entend d'abord que la voix du tueur et uniquement sa version. Seul le décompte des victimes interrompt cette plongée dans la brutalité et l'horreur. C'est ça le jusqu'au boutisme choisit par Obertone pour parler d'un des massacres les plus incroyables qui soit.Il aurait été d'une grande facilité de traiter d'Anders Breivik par un essai ou un roman à la troisième personne. Facile d'effrayer et de terroriser en racontant les actes, le procès et le manifeste du tueur. Tout le monde a déjà été choqué par l'absolue terreur de son acte, que ce soit par les journaux ou par les reportages. Mais Obertone n'est pas de cette espèce d'écrivain. Utoya nous immerge dans le personnage de Breivik, pas jusqu'au mollet ni jusqu'à la taille, mais jusqu'au cou, jusqu'à risquer l’asphyxie. Obertone adopte, embrasse le tueur pour mieux capter son essence et le représenter. Passé le massacre et l'arrestation, Breivik ne cesse de nous parler, ne cesse de nous exposer outre son procès, ses motivations et sa vision. Au risque de perdre la raison, l'auteur développe le message de Breivik. Bien loin d'en faire un repoussoir immédiat, il en fait une sorte de confident du lecteur, un frère d'armes. Il se pose réellement en Breivik et en fait un héros. Une logique absolue car, aux yeux du Norvégien, il n'y a d'autre héros en ce monde que lui. Pendant des dizaines de pages, on vibre avec lui sur ses colères et ses vues de grandeurs. On rentre dans le personnage, dans le noir complet. Entre les versets sur le courage, la pureté et la peur de l'Islamisation, Breivik digresse. Toujours. De plus en plus même au cours du récit. Il nous parle de sa vision de la femme, mysogyne et utilitariste à souhait, de sa mère et de ses amis, sans compter sur son pays. La Norvège reste toujours au centre d'Utoya. C'est d'elle, sorte de prisme de la société Occidentale, qu'Obertone va parler. Voici un pays moderne et progressiste, englué dans ses rêves de "tout le monde peut réussir", et qui se réveille avec la gueule de bois. De la beuverie d'hier est né un monstre inavouable. Obertone fait écho à La France Orange Mécanique, ou comment la mixité culturelle et la laxité judiciaire engendre l'injustice et le rejet, et finalement, comme un abcès longuement ignoré, le monstre Breivik. L'autre versant puant du vivre ensemble forcé et jusqu'au-boutiste. Breivik, ce sont les thèses de l'impossible Melting Pot poussées à leur paroxysme, un reflet déformé et terrifiant de ce qui guette. Anonyme, le petit monstre a grandi dans l'ombre de son QI et de sa mégalomanie. Mais Obertone fait vivre Breivik dans ses pages. On ne retrouve pas simplement le Diable, on retrouve sa séduction. Il sait parler, il sait quasiment convaincre. On vibre, on rit parfois, on tremble pour lui et avec lui, on tombe d'accord sur certains points - comble de l'horreur - vraiment évidents (le passage sur son emprisonnement et le droit à son procès ultramédiatisé au lieu de l'exécution). Obertone arrive à ses fins, il ne fait pas un livre sur Breivik ni pour Breivik, mais de Breivik. Mais cette quasi-idéalisation du tueur par lui-même se fissure. Breivik tombe parfois dans la logorrhée et dégueule toute sa haine, sur les femmes, sur les musulmans, sur les travaillistes marxistes. Entre les lignes, le tueur charismatique se révèle mégalomaniaque et narcissique, obsessif et compulsif. On découvre les témoignages de survivants entre deux diatribes, des extraits qui font mal, qui font saigner. Qui parle de balles et de membres amputés chez des adolescents de 15 à 20 ans. On découvre aussi le témoignage d'un psychiatre et d'un policier qui se répondent. Qui tente d'appréhender la nébuleuse Breivik mais ne reste que pantois devant l'horreur totale et l'acharnement phénoménal dont il a fait preuve. La Norvège voulait croire au fou, au malade mental, mais en fait de psychopathe, les voilà devant un produit de leur société et devant... un homme. Le diable une fois révélé serait un homme. Et c'est cela qui glace le sang devant Utoya, qu'Obertone transmet, que Breivik, aussi terrible que fut ses actes, ne reste qu'un homme.Dans les dernières pages, dans son enfermement, Breivik se fragilise, perd de sa splendeur d'invincible. Celui qui a impressionné dans tout le roman montre les lézardes de ses fondations mentales. Jusqu'à cette lettre de victime qu'il nous lit, qui ébranle le lecteur et lui fait sortir la tête de l'eau, de cette tempête qui a faillit nous engloutir 400 pages durant, cet ouragan mental nommé Anders Behring Breivik. Soudain, le Templier ne se révèle qu'un petit meurtrier dont les rêves de grandeur l'ont dépassé, comme quelque chose de pathétique mais dégoûtant. Et Obertone de nous ramener à la réalité, de nous faire sortir par la porte de la cellule du Norvégien qui restera là...pour vingt et un ans...au moins. Accompli le message et le tour de force de l'auteur, de nous restituer Breivik au plus près pour disséquer la Norvège, le monde Occidentale et ses recoins sombres. Accompli le tour de force de nous faire verser dans la folie, de nous y immoler par les balles et les explosifs avant de nous faire sortir, pantelant et haletant. Une fois le livre refermé, c'est ce tueur au regard de glace que l'on semble reléguer aux oubliettes d'où il ne devrait jamais sortir. Mais le livre reste bien là, sur votre étagère, parce que d'autres finiront par venir. Il faut s'en rappeler.Avec Utoya, Laurent Obertone assène un sacré coup. Jusqu'au-boutiste, borderline en diable, écrit avec un sens aigu de la narration et du rythme, toujours minutieusement documenté, le roman va définitivement vous mettre KO, et pas debout.Un séisme littéraire.9.5/10"Utoya est un défi lancé à la raison"

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On parle bien du même Obertone qui nous avait sorti (déjà chez Ring) son "La France Orange Mécanique", qui lançait de but en blanc des chiffres sur la délinquance sans mise en abyme, sans étude et sans solution et qui sentait déjà le souffre. Celui qui avait été acclamé par tous les grands démocrates que sont Zemmour, Le Pen et Ménard ?Et je l'ai parcouru en biais, et cela sent toujours autant le souffre. Du Jean Raspail et du Céline mais sans leurs qualités littéraires. Des faits, une compréhensible pour l'infamie et aucune solution à ses différentes dérives qui donnent un arrière goût d'excréments à notre époque.Un vrai bon brûlot donc qui, comme le précédent, va faire peur à la ménagère de plus de 40 ans.Au moins, je reconnais qu'il a réussi pleinement son objectif et lui contrairement à Richard Millet et son éloge littéraire au tueur arrive encore à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.Mais un ouvrage neo-facho, ça reste un ouvrage neo-facho pour moi...

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Je suis d'accord pour ne pas parler politique sur un forum donc je m'arrêterai sur ce message.
Laurent Obertone a mené la première enquête d'investigation sur la vie d'Anders Breivik
Je ne fais que citer la 4ème de couverture...Et j'ai parcouru Utoya autant que l'autre, et c'est la même odeur de souffre. Aucune analyse mis à part la fascination morbide pour un nazillon psychopathe.

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L'analyse ne peut pas se faire.La forme choisie est le roman intérieur, la seule analyse possible à ce petit jeu c'est l'analyse de Breivik par Breivik. Mais c'est entrecoupé de lettres de victimes/de paroles du procès et l'emballement logorrhéique du tueur qui font revenir à la réalité.Ce roman ne supporte pas vraiment la lecture en diagonale, en sélectionnant une ou deux pages par-ci par-là on a 90% de chance de trouver des morceaux de discours de Breivik puisque c'est lui qui est sensé parler, c'est logique. C'est l'ensemble et sa mise en abîme qui fait le roman.Je comprends que le précédent essai puisse être sujet à caution etc... c'est question plutôt de politique. Mais pour Utoya, non, le travail "d'investigation" est remarquable, la reconstitution terrifiante et la mise en perspective brillante.En 400 pages, on vit avec Breivik et à la fin on s'échappe de la tête d'un tueur fanatisé. Une expérience.

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J'ai relu récemment le "portait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde. Je le met en autre lecture bien qu'il ait sa place en fantasy (encore une!! ;) )mais c'est pour moi une oeuvre classique mysogine magistrale et envoutante que je conseille à tous (et à toute). :D

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@Zaebas :Il n'est pas nécessaire de mal le prendre ainsi...je ne faisais que discuter avec toi, tu as entièrement le droit de détester le livre comme j'ai le droit de l'avoir adoré...Enfin bon...@Zygo :Je l'ai dans ma pile à lire (qui menace de m'ensevelir) et tu viens de lui faire gagner des place !

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Je suis tout à fait d'accord avec toi. C'est pour ça que j'ai clôturé la discussion afin de ne pas être désagréable quand je prends trop à cœur un sujet.Nos points de divergence sont trop éloignés pour le coup pour avoir une discussion intéressante. Toi tu considère ce titre comme un chef d’œuvre (et c'est ton droit le plus propre) quand moi je considère que c'est un brûlot qui peut au mieux servir aux toilettes (et encore ça fait cher le PQ).

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Littlefinger a écrit :@Zygo :Je l'ai dans ma pile à lire (qui menace de m'ensevelir) et tu viens de lui faire gagner des place !
M'enfin ? Oscar Wilde ça passe pas d'office en tête de PAL, chez vous ?Ou alors je suis la seule ici à penser que le seul livre à emmener sur une île déserte, c'est le Collected Works of Oscar Wilde qui pèse ses 1100 pages ? :P

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Si Oscar Wilde n'est pas encore passé en tête de ma pile à lire, c'est aussi parce qu'il y a du beau monde devant.Cet été, j'ai rattrapé une de mes lacunes avec la lecture de Si C'est un Homme de Primo Levi. Je vous laisse la critique :Primo Levi est un juif italien arrêté en 1943 parmi un réseau de résistants. Déporté au camp allemand d'Auschwitz, il échappe à l'extermination pour atterrir au Lager de Monowitz, entièrement voué à la construction d'une usine de caoutchouc, la Buna. Il y restera près d'un an jusqu'à la libération du camp par les troupes Russes venues de l'Est. Ayant commencé à rapporter son expérience dans un journal avant même la fin de son internement, Levi s'y attelle avec encore plus de sérieux lorsque les Alliés lui demandent un rapport technique sur le fonctionnement d'Auschwitz. C'est ainsi que deux ans plus tard, dans une édition à la distribution quasi-confidentielle (2500 exemplaires), le livre Si C'est un homme est né. Avant de connaître le succès et la renommée dans les années 60, moment où les gens commencent à accepter l'existence passée de la Shoah, Levi raconte l'horreur totale et absolue, l'Enfer sur Terre mis en oeuvre par les Allemands pour détruire les Juifs...et l'homme, tout simplement.Si c'est un homme reste un cas atypique dans les livres sur l'Holocauste. Primo Levi ne fait pas un roman ni un essai mais un témoignage. Il le précisera d'ailleurs à nouveau dans les appendices de fin d'ouvrage. Tout commence par l'arrestation de Levi en Italie et se termine à l'instant même où les Russes pénètrent dans le camp de Monowitz. Pas de préambule pour introduire les choses, pas d'épilogue non plus. En fait, l'auteur a voulu livrer un récit le plus proche possible de la vérité qu'il a vécu sans aller ajouter des considérations sur d'autres atrocités qu'il n'a pas vu de ses yeux comme les fours crématoires et les chambres à gaz. En fait, son cheminement, pas tout à fait linéaire, ne se veut qu'une dure plongée dans la machine à détruire Nazi. Sans se fixer d'objectifs trop vastes, Levi arrive à faire beaucoup plus qu'il ne s'était fixé.L'horreur dans Si c'est un homme survient petit à petit mais ne cesse de s’enfoncer dans des tréfonds d'inhumanité et de dégradation. Progressivement, le lecteur expérimente la déshumanisation pure et simple. Levi ne fait rien pour insuffler du suspenses ou autres rebondissements que l'on trouverait ailleurs, il décrit son parcours et ses rencontres. Celles-ci restent d'ailleurs fascinantes, non pas simplement par les personnalités qu'il rencontre dans le camp mais par l'analyse qu'il en fait, froide, détachée, presque clinique. Ce sont bien les Juifs qui se trouvent au premier plan de cette histoire, même si l'on croisera parfois des détenus politiques, et Levi ne cessera de décrire ses compagnons de route sans haine, sans amour. Dans Si C'est un Homme, Levi, étonnamment, ne fait preuve d'aucune haine envers les autres, même envers les Nazis, et jamais l'auteur ne déviera de cette ligne de conduite, produisant un récit surprenant au possible.En fait, Levi veut accomplir une chose par dessus tout, c’est décrire le camp lui-même. Non pas simplement son agencement et son utilisation mais son effet. C'est là que l'italien obtient le plus grand succès. Dans Auschwitz, tout a été pensé et créé pour avilir l'homme. De la répartition des tâches et de leurs exécutions à l'infirmerie en passant par l'Appel, tout, absolument tout constitue un rouage d'une machine infernale. L'humiliation, la violence mécanique et le constant rappel de la condition des prisonniers développent un sentiment d'abandon incroyable et assez indescriptible. Plus le texte avance et plus l'on s'habitue aux privations endurées et à l'absurde logique de fonctionnement, notamment le marché noir nécessaire pour vivre. Auschwitz s'avère l'arme ultime pour la destruction des hommes qui sont ramenés à moins que des bêtes. La peur, omniprésente, écrase tout. Chaque acte, chaque rencontre la réveille et Levi transmet une atmosphère pesante où chaque jour est un combat pour la survie pure et simple. Ainsi, Levi témoigne aussi de la volonté incroyable dont on fait preuve les prisonniers pour survivre au jour le jour. Comment désirer vivre dans un tel endroit et dans une telle condition ? C'est la question continuelle que se pose l'auteur. Pour raconter. C'est cela l'échappatoire que certains ont trouvé, tel que Primo lui-même. Pour d'autres, c'est simplement la farouche flamme de la résistance, un désir irrépressible de vouloir exister. Sans jamais verser dans l'apitoiement, Levi raconte le désespoir comme nul autre. Cette chape de plomb pèse sur le lecteur du début à la fin, même lorsque les allemands quittent le camp, les dix jours d'abandon des survivants paraissent interminables. Mais ce qui ressort surtout de Si c'est un homme, c'est que rien n'a pu justifié la survie de telle ou telle personne. Les conditions de survie extrêmes du camp n'avaient aucune solution logique et de l'aveu de l'auteur lui-même, la vie des uns et des autres ne tenait qu'au hasard, au simple hasard. Pas de Dieu ici, bien au contraire. Pour Levi, Auschwitz reste l'endroit le plus éloigné de Dieu, d'ailleurs... comment seulement penser que Dieu existe si un endroit pareil a pu naître un jour ? Levi nous montre le jardin du Diable, sauf qu'ici point d’Antéchrist, juste l'homme, terrible et abject.Si c'est un homme a souvent été décrit comme le livre le plus important du siècle passé voir carrément de l'histoire. Après sa lecture, une chose est certaine, il faut lire Si c'est un homme. Pour se souvenir et pour rester vigilant devant les fascismes qui nous guettent, politiques ou religieux.Le témoignage de Primo Levi s'affirme comme l'ouvrage le plus indispensable qu'il puisse exister, plus fondamental que la Bible ou n'importe quel livre sacré, un témoignage direct de l'abjection humaine mais aussi une mise en garde, terrible et intemporelle."Méfions-nous de tous les prophètes; il vaut mieux renoncer aux vérités révélées, même si elles nous transportent par leur simplicité et par leur éclat, même si nous les trouvons commodes parce qu'on les a gratis. Il vaut mieux se contenter d'autres vérités plus modestes et moins enthousiasmantes, de celles que l'on conquiert laborieusement, progressivement et sans brûler les étapes, par l'étude, la discussion et le raisonnement, et qui peuvent être vérifiées et démontrées."

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Merci de nous faire découvrir ce livre et bravo pour cette critique qui retranscrit parfaitement l'ambiance si particulière que dégage ce témoignage.

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Comme je te l'ai déjà dit Littlefinger c'est effectivement un livre qui transforme
Levi nous montre le jardin du Diable, sauf qu'ici point d’Antéchrist, juste l'homme, terrible et abject.
c'est une vision essentielle parce que si l'homme peut être dans la jardin du Diable, il peut aussi se décider à être dans celui d'Eden. Bel éloge du pélagianisme quand on est croyant. Et lecture indispensable, je suis encore d'accord avec toi :)