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par Ser Garlan
Elbakinien d'Argent
J'ai fini il n'y a pas très longtemps Return of the Crimson Guard, et je m'en vais vous livrer mes impressions. Des impressions plutôt favorables, bien que certains partis pris d'Esselmont me laissent songeurs.J'ai d'abord été surpris par la taille du roman, je m'attendais à un succédané de Night of Knives, mais en fait non : on est quasiment à 1000 pages soit la taille des pavés d'Erikson, il y a donc de quoi raconter. Et l'intrigue brasse large. L'action fait suite aux événements survenus à Cité Malaz à la fin de The Bonehunters. Après le départ de l'armée "renégate" de Tavore, les forces de Laseen semblent s'amenuiser au point de donner des idées d'émancipation aux différentes peuplades conquises par l'Empire du temps de Kellanved. C'est donc à une guerre civile que doit faire face le continent de Quon Tali, chaque région cherchant à s'arracher au joug Malazain en concluant des alliances avec ses voisines afin de parvenir à ses fins. C'est notamment la cité de Li Heng, stratégiquement centrale, qui cristallise tous les appétits, et les garnisons Malazéennes, face à une situation désespérée, vont commettre l'irréparable... sans entrer dans les détails. Cette situation insurrectionnelle voit d'anciens noms resurgir du passé, dont certains que l'on croyait morts depuis un bail. Là-dessus, les Wickans qui ont payé un lourd tribut à l'Empire (cf Deadhouse Gates et The Bonehunters) vont essayer de reprendre leur destinée en main. Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que la fameuse Crimson Guard, la compagnie de mercenaires qui a juré la mort de l'Empire, décide de rentrer au bercail et de passer comme par hasard par Quon Tali, déstabilisant encore davantage une situation déjà bien chaotique.Les différents POV permettent de brosser un portrait global des forces en présence. A Unta, c'est le fourbe Malick Rell qui essaye de retourner la situation à son avantage, tandis que Possum, un agent de la Griffe, nous fait pénétrer dans les arcanes du pouvoir. A Li Heng, la Malazéenne à l'honneur est la jeune Hurl, membre de l'escouade du vétéran Storo Matash, et c'est par elle que l'on vit l'essentiel du siège de la ville. Rillish, un capitaine Malazéen, nous fait vivre le front Wickain ; quant au garde côte Nait, il prend de l’importance à la fin du roman lors de l'affrontement ultime. Côté ennemis, la jeune Ghelel offre un POV naïf à souhait comme semble les affectionner Esselmont : la jeune duchesse Talienne se trouve embraquée dans un jeu de pouvoir qui la dépasse entre les vieux vétérans qui cherchent à la manipuler. Mais nous sommes également ravis de faire la connaissance d'un certain Toc the Elder (le père de) qui, par son expérience, apporte une vue stratégique sur les enjeux de la guerre civile. Enfin, plusieurs POV se succèdent dans la Crimson Guard, avec en premier lieu le jeune héros Kyle, lui aussi naïf mais désireux d'en découdre et de comprendre ce qui se passe autour de lui, et également la capitaine Avouée Shimmer qui va bien vite comprendre que les choses ne tournent pas aussi rond que ça dans la compagnie. Bref, il y a beaucoup de monde, et on vous passe la kyrielle de personnage secondaires avec un Dramatis Personae qui fiche proprement le vertige. Si Esselmont voulait battre son collègue Erikson au jeu de la complexité et de la cohue humaine, il a gagné sur toute la ligne. Il est souvent difficile de s’y retrouver, et bien malin celui qui comprend exactement le who’s who de la Crimson Guard. Je les ai comptés, il y a pas moins de… 66 membres de la Garde Pourpre dans le Dramatis ! Préparez-vous à activer vos neurones, donc.Mais étonnamment, Ian Cam Esselmont parvient assez bien à se dépatouiller de son intrigue et à gérer les différentes factions en présence. La carte aide beaucoup, c’est vrai, mais on finit assez vite par s’y retrouver. Enfin bon, on a été à bonne école après 7 volumes d’Erikson, évidemment. Et il faut bien reconnaître que le roman est palpitant. On piaffe de connaître le dénouement de tout ce conflit, on tremble avec les différents protagonistes, et Esselmont parvient bien à nous faire aimer tous les camps, ce qui rend les affrontement fatals d’autant plus déchirants. On apprend notamment à aimer les membres de la Crimson Guard, et on comprend mieux ce Serment prêtés par les Avoués et ce qui les rend si redoutables au combat. Par rapport à Night of Knives, la narration d'Esselmont s’est améliorée, fluidifiée. La présentation du conflit est claire, les dialogues coulent naturellement et sont souvent drôles, même s'ils ne sont pas encore au niveau de son collègue et ami anthropologue. Autre point très positif, l'élargissement de l'univers Malazéen avec la découverte d'un nouveau continent, avec nouveau climat, nouvelle végétation, nouvelles cultures etc... et si Erikson est souvent avare en descriptions, Esselmont se montre plus bavard et nous fait partager un background proprement abyssal. Difficile de revenir à des romans de Fantasy standard après une immersion d'une telle richesse.Mais même si la fin du roman nous assomme et remet les pendules à l’heure comme il faut, certains points restent encore obscurs, et c’est là-dessus que je vais conclure. Le plus gros défaut d’Esselmont dans ce livre, outre un recours anecdotique aux ascendants (à part Ryllandaras) et un style souvent confus dans les scènes d’action, c’est qu’il pèche par excès de mystères et d’omissions cryptiques. Il y a des pans de l’intrigue et certaines résolutions auxquels on ne comprend RIEN. Quid de l’axe tournant autour de Traveller ? On l’avait quitté dans House of Chains, on le retrouve dans Toll the Hound, mais… à quoi peut bien servir son périple dans RotCG ? Je me pose encore la question. Et qui est cette femme assassin qui parvient toujours à avoir le dessus sur Possum ? C’est d’autant plus rageant de ne rien savoir qu’elle se rend tout de même l’auteure d’un meurtre capital pour la suite du cycle à la fin du roman. Mais pour qui, pour quoi ? Sinon en vrac : comment un simple mage d’escouade peut-il ouvrir Kurald Galain ? A quoi rime le voyage d’Iron Bars et de son équipe ? Et puis bon sang, à quoi cela servait d’en rajouter encore et de balancer une guerre de mages, ex-prisonniers des mines d’otataral, à la toute fin de la dernière bataille ? A part verser dans un gros-billisme limite ringard et à jouer à celui qui a le plus gros warren, ce pan de l’intrigue n’apporte rien à une histoire déjà bien assez touffue comme ça. On a vraiment l’impression qu’Esselmont veut se prouver des choses, qu’il veut montrer qu’il est capable de créer un roman aussi voire même plus complexe que ceux d’Erikson. Mais si c’est pour perdre le lecteur au bout du chemin, ça ne vaut pas le coup. A ce titre, le dénouement laisse trop de place à des faits non résolus ou incompréhensibles, et ça gâche tout de même le plaisir globalement ressenti à la lecteur de ce très bon roman de Fantasy guerrière. C’est dit.J’ai déjà bien avancé Toll the Hound. Hum, je comprends les réticences de certains à la lecture de ce roman très particulier et dont la méthode de narration est très inhabituelle. Mais moi j’adore, vraiment. En tout cas pour le moment.