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par TB
Novice
J' ai découvert Tolkien, en 73/74, avec le SdA...Revenu, quelque peu perdu, d' un long séjour en Orient ( Le Laos, pour qui aime la précision ), je tentais une nécessaire restructuration, par une cure intensive de dope, de musique, et de littérature...Céline, Reiser, les Burroughs ( William S., et Edgar R...), Baudelaire, Gotlieb, Kerouac, Stirner, Arthaud, Tolkien...Allant de l' Electric ladyland, à la Cour du Roi Pourpre, tout en étant bercé par Nico, et le Velvet Underground!Il y a, pour chaque livre que j' ai lu, une même approche: je laisse à l' auteur le temps de me séduire...Et dès que j' ai lu l' allocution qui précédait sa surprenante disparition ( Je n' avais lu, ni le Hobbit, ni le prologue du SdA...), et savouré la (célèbre) phrase: " Je ne connais pas la moitié d' entre vous.."...C' était fait!- je ne vous citerai pas l' entièreté de la formule, gageant que la plupart d' entre vous la connaisse, et laissant aux autres, le plaisir de la découvrir par eux-même. -Entendons-nous bien: je vous parle d' un souvenir...Ma découverte du SdA, il y a trop longtemps. Depuis, le Silmarillon, l' HoME, les CLI, sont venus aider à la compréhension du roman, à son insertion dans l' oeuvre tolkienienne, de même les discussions ( je devrais dire, plutôt, les "écoutes"..! ), avec d' authentiques connaisseurs, comme E. Kloczko, V. Ferré, D. Lauzon ( Le Dernier Gnou, et le seul, en fait, de cette ex-province française du Canada...Toujours plus Dry que jamais! ), ainsi que de précieuses visites sur JRRVF, où sévissaient, et sévissent encore, fi de la nostalgie, tant de belles, bonnes, et savantes personnes ( En profitant de cet aparté explicatif, pour remercier Cedric Fockeu, Maître et gardien de ce lieu enchanteur. ), et Numénoréen, et Elostirion, partis vers les rivages étincelants, et même, à l' aube des temps anciens, sur Elbakin, tout jeune, et moins "volumineux" qu' aujourd' hui ( Sans dec', j' arrive à m' y perdre! )...Mais, lors de cette première lecture, il n' en était rien, j' allais découvrir une histoire comme, sans doute, j' en avais déjà lu: une histoire de preux chevaliers, d' armures étincelantes, de batailles toujours gagnées, et de princesse s' enamourant de quelque tueur de vilain lézard pyromane...Une histoire pseudo-médiévale, pleine de "Oncques, Messire", et "y-céans, Ma Dame"...De fait, le seul séant fut sur lequel, le livre lu, je "m ' asseyois" !Si j' osais affronter l' incrédulité consterné de Vincent Ferré, je dirais que Tolkien, c' est l' anti-Proust, du moins, tel qu' on le laisse à entendre aux scolaires indifférents de notre Nationale Education: point de longues phrases descriptives, qui vous narrent les malheurs conjugaux de l' armurier qui fondit la lame décapitant tel gobelin vindicatif...Un nom, une indication de sa longue existence, quelque roi échappé d' une ancienne légende, et voilà une part du monde qu' il vous offre à remplir...Avec Tolkien, vous apprenez à imaginer!Un exemple: Tom Bombadil, répondant à l' étonnement inquiet de Frodon, le questionnant sur son identité...- "...L' Ainé, voilà ce que je suis. Notez mes paroles, mes amis: Tom était ici avant la rivière et les arbres. Tom se souvient de la première goutte de pluie et du premier gland. Il a tracé des sentiers avant les Grandes Gens, et il a vu arriver les Petites Personnes. Il était ici avant les rois et les tombes et les Êtres des Galgals. Quand les Elfes sont passés à l' ouest, Tom était déjà ainsi avant que les mers ne fussent infléchies. Il a connu l' obscurité sous les étoiles quand elle était sans appréhension - avant que le Seigneur Ténébreux ne vint de l' extérieur. " -Je vous laisse imaginer la stupéfaction que j' ai ressenti, à l' énoncé d' une semblable tirade, quand je ne savais rien de l' existence d' une Terre du Miliieu, et encore moins, de son histoire! Et que dire du passage où il jongle avec l' Anneau, en refusant de disparaître, alors qu' à cet instant de l' histoire, et même sans connaître l' origine de l' Anneau, on commence à avoir une idée bien précise de la nocivité de l' artéfact...Et voilà qu' un lutin bougon, qu' on ne reverra plus, met à bas les quelques certitudes que nous avions acquises! En nous laissant rêver sur les rois déchus et les mers infléchies...Encore un procédé coutumier de Tolkien, qui vous offre, sans que ça nuise au rythme du récit, pléthore de chemins de traverse, en plus de la route principale...Et, peu à peu, le monde se construit, sans qu' on remarque, comme souvent, le travail laborieux de l' auteur: finesse, discrétion, subtilité, au service de votre imaginaire!Ma première lecture se fit sur le registre de la pure émotion: ne connaissant ni l' auteur, ni l' oeuvre, je n' étais pas distrait par un savoir qui peut être, quelque fois, un obstacle à une lecture brut..Pas de renvois à quelques sagas inconnues, Oxford restait loin d' Imladris et de Minas Tirith...Bref, le texte, et rien que le texte! Mais le premier livre n' est pas achevé, que vous avez, déjà, la connaissance, partielle et fragmentaire, évidemment, de l' histoire de la Terre du Milieu...C' est, pour moi, la qualité première du livre: ne pas vous enfermer dans l' espace d' un récit, mais vous ouvrir au monde dont il est sorti.La deuxième qualité, qu' on peut éprouver dès les premières pages, c' est la formidable capacité d' immersion du texte...Si il existe des "road-movies", le SdA est un"road-book", et cette déambulation s' effectue sur plusieurs niveaux: géographique et événementielle, bien sûr, mais aussi intérieure, et personnelle...Ce n' est pas exclusif à cet ouvrage, ni même à Tolkien, mais, de mon expérience de lecteur, suffisamment original, pour être souligner ici. Le fait est qu' il me semble plus facile d' intégrer la TdM, que le terrier sans fond d' Alice...Ou notre monde contemporain de "moldus", en mal de connaissances magiques, fusse par le biais d' une scolarité à Poudlard!Enfin, et il faut, pour l' entendre, que vous fassiez abstraction de toute idée de morale, c' est le caractère addictif, de ce roman, à l' oeuvre de Tolkien: un spécialiste de la question ( De la dépendance toxicologique, pas de Tolkien..) disait, parlant de la toxicomanie, et je cite de mémoire, " qu' elle était le résultat d' un instant T, d' un produit, et d' une personnalité.."...En remplaçant "produit" par "livre", j' ai trouvé que cette formule définissait, on ne peut mieux, l' état de curiosité, assorti d' un désir de connaissances toujours grandissant, résultant de la lecture du livre! Je laisse à chacun le droit d' aimer, ou pas, l' ouvrage, mais il y en a peu qui peuvent vous pousser à franchir les portes de l' INALCO ( Langzo, pour respecter la tradition..), pour parfaire son finnois, ou/et se plonger dans moults essais, commentaires, critiques, thèses, exégèses, études, analyses...Et autres meta/neo/proto/para/littératures!Et, ne serait-ce que pour ça, le SdA restera à jamais dans mon coeur, et dans celui, je l' espère, du lecteur qui, tel le hardi hobbit ouvrant sa porte à l' aventure, ouvrira les pages du génial roman de J.R.R. Tolkien !C' est tout le mal que je lui souhaite...Carpe diem.