Je reviens de voir le très beau
Minuscule : La Vallée des fourmis perdues, d'Hélène Giraud et Thomas Szabo, adapté de leur série animée. La technique reste la même : des personnages en images de synthèse incrustés dans des décors filmés en prises de vue réelles. Aucun dialogue, aucun en humain en tout cas, mais d'innombrables bruitages. Et la musique, bien sûr, composée par Hervé Lavandier.
Minuscule, en très gros, c'est un peu comme si
Microcosmos et
1001 pattes décidaient d'avoir un enfant ensemble, et c'est un très bel enfant. Il tient de
Microcosmos pour les décors naturels filmés à l'échelle des insectes, pour l'apparence très "réaliste" des personnages (hors de question d'avoir des fourmis à 4 pattes comme dans
1001 pattes par exemple : en dehors de leurs yeux et des bruitages, les insectes de
Minuscule sont très proches leur vraie apparence), mais aussi pour l'absence de toute parole humaine, un choix qui, même s'il n'est pas inédit, reste audacieux, surtout pour un film censé toucher un public très large. Comme dans
Microcosmos, je suis resté scotché devant les très beaux décors naturels (que ce soient les paysages de végétation ou les plans rapprochés sur les pierre, graviers, eau, etc. dont les textures sont un régal pour les yeux). Et comme dans
Microcosmos aussi, j'ai ressenti ce sentiment de profonde étrangeté qu'on éprouve quand on se trouve plongé dans le quotidien d'êtres vivants complètement différents (ce qui n'aurait pas été possible dans un film d'animation plus classique avec dialogues "humains").Mais le film tient aussi de
1001 pattes, parce que de l'anthropomorphisme, il en reste tout de même un peu, comme on le découvre progressivement au fil du film. Il se fait plus explicite dans la seconde moitié du film, lorsqu'on voit les insectes récupérer des objets de fabrication humaine et s'en servir à leur façon - c'est là que la comparaison avec les dessins animés classiques (représentés ces derniers temps surtout par Pixar et ses suiveurs du genre Dreamworks) saute le plus aux yeux. On le voit aussi dans le comportement des personnages et leurs sentiments : surprise, peur, amitié, moqueries, revanche, etc. Mais l'absence de dialogues fait des miracles : dans les quelques scènes de "dialogues", on devine ce que veulent dire les personnages, mais en restant libre d'imaginer le contenu exact des répliques et le sens précis des échanges ; l'ensemble y gagne énormément en puissance évocatrice.Je ne connais pas très bien la série (seulement un ou deux épisodes), mais la différence avec la série d'origine saute aux yeux, pour le meilleur : le film n'est pas du tout une simple suite de gags très courts, comme les épisodes de la série, mais bien une aventure épique. On en a plein la vue, on voyage, on file aussi bien sur terre que dans le ciel et dans et sous l'eau... Je n'ai pas vu le film en 3D relief et pour une fois je le regrette, ça doit être superbe. En dehors de ces partis pris originaux et ambitieux, le fond de l'intrigue reste simple et a un côté
high fantasy : d'un côté les bons (en sous-nombre et poursuivis), de l'autre les méchants (évidemment nombreux et moches). On songe parfois à
Star Wars ou au
Seigneur des Anneaux, bien sûr. Mais, grâce aux choix formels audacieux dont j'ai parlé, l'ensemble arrive à construire un univers à l'identité bien affirmée, ce qui n'était vraiment pas évident étant donné l'assez grand nombre de films d'animation mettant en scène des insectes sortis ces dernières années (
1001 pattes, mais aussi
Fourmiz,
Bee Movie...). J'avais lu beaucoup de choses sur les références/hommages/clins d'oeil à divers films censés apparaître dans celui-ci : soit j'ai tout manqué, soit il n'y en a pas tant que ça, ou alors trop subtils pour moi... et ce n'est pas plus mal ! J'avoue que j'en ai assez de cette mode des "hommages" ou "clins d'oeil" lourdement appuyés dans les grosses productions animées récentes, ils finissent par tourner en rond et ne plus avoir aucun intérêt.
Minuscule dose mieux les choses et c'est tant mieux.Un film pareil, sans dialogues humains, ne peut tenir le coup sur la longue durée que s'il est accompagné d'une bande-son impeccable et qu'il est très adroitement rythmé. A mon avis, la réussite est presque complète. Elle est complète pour la bande-son : la musique d'Hervé Lavandier accomplit son rôle avec virtuosité, tandis que les bruitages, extraordinairement variés, sont tour à tour une source d'étrangeté, de souffle épique, ou (souvent) de comique. Reste le rythme, le plus difficile. J'appréhendais un peu après avoir lu certaines critiques, mais, finalement, je suis resté scotché pendant deux bons tiers du film sans le moindre problème ; ce n'est que dans le dernier tiers que certaines péripéties m'ont paru casser un peu le rythme alors qu'elles étaient assez dispensables (et avaient pour certaines un côté "formule du voyage du héros" un peu lourd quand on connaît ce genre de ficelle).
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La coccinelle qui part récupérer "urgemment" une boîte d'allumettes, mais qui doit affronter sa peur pour entrer dans un monde souterrain (touss, touss, Campbell, voyage du héros) où elle affronte un gros monstre en la personne d'une grenouille et se fait presque tuer (touss, touss !) avant de ressortir et de... filer à la fourmilière ? Non, de se venger des méchants qui l'ont brimée quand elle était petite (ça, ce n'est même plus du Campbell ou de la ficelle, c'est de la grosse corde de mauvais film américain). Heureusement tout ça ne dure pas, mais on reste trop longtemps éloignés de la grande bataille qui avait de faux airs de final.
L'originalité et les qualités du film sont telles que, personnellement, je ne lui tiens pas rigueur de ces quelques défauts. En dehors de ça, le rythme est très soutenu, c'est bien ficelé et surtout le film prend aussi le temps de ménager quelques moments poétiques - pas mièvres, hein, et d'ailleurs il n'y a pas de grande romance violonneuse - dans la contemplation de la nature.
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Comme cette scène où les deux personnages principaux, la nuit, contemplent la lune... avant d'essayer de se comprendre malgré leurs langues différentes pour commenter sa beauté. (Enfin, c'est ce que j'ai compris !)
Ah oui, autre chose : le film est très, très accessible. Peut-être un brin long pour les vraiment tout petits, mais en dehors de ça, accessible aux petits enfants jusqu'à l'âge que vous voulez (et à entendre les réactions dans ma salle, tout le monde en profitait bien). L'humour fait beaucoup penser à ce qu'on pourrait trouver dans un vieux film muet, avec pas mal de comique de gestes et de cascades (le "slapstick" comme on dit). Personnellement j'aime bien, mais je suppose que ça dépend des goûts.Bref, c'est un fort bon film, très beau à regarder et très beau à écouter (à part les pétarades des vols de moucherons), et aussi une belle réussite d'un studio français qui montre une originalité nette par rapport aux produits manufacturés qu'alignent les gros studios d'animation américains :)Courez donc vite le voir avant que des âmes chagrines ne s'avisent qu'à aucun moment dans le film on ne peut savoir le sexe des différents personnages et ne s'imaginent alors que
Minuscule véhicule une terrifiante idéologie post-genre !