J'ai fini par craquer et le lire en anglais. Je ne vais par ailleurs faire que répéter ce que j'ai dit pour le tome 2 et les nouvelles : si Aliette de Bodard a, avec cette série, eu une très bonne idée et est extrêmement douée pour les "tranches de vie" (et pourtant dieu sait que je suis difficile en terme de nouvelles), je ne comprends pas très bien où elle essaye d'aller avec cette série et je suis, dans l'ensemble, assez déçu par le déroulement de l'intrigue principale.
Petite remarque avant de commencer : la longue nouvelle (60 pages) "Of Birthdays, and Fungus, and Kindness" parue un peu plus tôt cette année dans un recueil de nouvelle dédiée à l'autrice me semble presque indispensable pour pouvoir bien apprécier certains éléments de l'intrigue. Même avec elle, j'ai eu du mal à vraiment m'intéresser à certains personnages qui sont introduit dedans, je n'ose imaginer ce que ça aurait donné si je les avais découvert avec le tome 3. Leurs actions auraient vraiment semblé étranges.
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La série s'appelle Dominion of the Fallen et nous invite à découvrir un Paris dominé par des anges déchus organisés en puissantes Maisons qui régissent toute la vie parisienne (et des alentours). C'est pour ça que j'ai "signé" en commençant la série or plus on avance, plus l'autrice s'en éloigne. D'une part, les anges déchus ne sont (presque) plus rien à la fin du tome 3 (et pourquoi pas mais donnez m'en un peu plus avant de les atomiser) et, d'autre part, le casting est de plus en plus vietnamien et de moins en moins parisien et/ou angélique. Alors je comprends tout à fait qu'Aliette veuille mettre en avant ses racines et les éléments introduits sont assez originaux mais il y a une limite à ce que je peux avaler.
Les acteurs principaux (toujours plus nombreux par ailleurs) de ce troisième tome sont :
Asmodée (marié à un Annamite)
Isabelle (en couple mais pas vraiment avec un Annamite)
Darias (mariée à une Annamite)
Lucifer
Emmanuelle
Philippe (Annamite)
Thuan (Annamite)
Aurore (Annamite)
Dan Chai (Annamite)
Hoa Phong (Annamite)
Soit 50% et je ne parle même pas des personnages secondaires puisqu'on passe l'essentiel de notre temps dans le quartier vietnamien de Paris. Alors, dans l'absolu, ce ne serait pas un problème si l'autrice pouvait justifier la présence d'autant de Vietnamiens à Paris à cette époque mais ce n'est absolument pas le cas. On nous évoque à tout casser un africain et deux maghrébins dans tout le roman, coloniaux pourtant présents en un peu plus grand nombre dans le Paris (historique) de la fin du XIXème siècle que les Indochinois.
De plus, cette sur-représentation des Annamites n'a fait qu'accentuer un des gros défauts du bouquin : l'univers n'a aucun sens une fois sorti de Paris. Il se passe quoi dans le reste du monde ? Il ne reste que Paris et le reste est un immense désert aride ? Ce n'est pas ce que les allusions au Vietnam laissent penser. Le reste de l'Europe est organisée comme Paris ? Quelques anges dans les grandes villes qui tyrannisent les campagnes ? Si c'est le cas, pourquoi rien n'est-il mentionné ? Pourquoi n'y a-t-il aucunes relations entre eux et Paris ? Même les campagnes sont à peine mentionnées or elles doivent être là puisque pratiquement rien ne pousse à Paris.
Et c'est quoi cette magie ? Pourquoi diable les seuls ayant de la magie hormis les anges sont-ils les Annamites (et leurs dragons) ? Pourquoi ne dominent-ils pas le monde s'ils sont si puissants (j'y reviendrai). Bref, l'autrice ne semble pas avoir réfléchi plus loin que Paris (et le Vietnam) à son univers et nous le rappelle dans ce roman de façon extrêmement maladroite.
Ceci étant dit, ce n'est pas là mon principal problème avec ce troisième tome, c'est tout au plus un constat agaçant. Mon principal problème concerne le scénario qui n'est qu'une variante de celui des deux premiers qui se ressemblaient déjà beaucoup trop à mon goût. Dans ces deux-là, nous avions en effet eu droit à la chute d'une maison que tout le monde croit puissante mais qui a en fait des faiblesses et qui est presque détruite par du sabotage magique (l'arbre géant dans le 1, le dragon de glace dans le 2). On nous refait le coup cette fois-ci avec la Maison Harrier qui, suite à la chute de Silverspires et Hawthorne, est a priori la plus puissante sauf qu'en fait tout explose (littéralement). Si on en était resté là ce n'aurait été qu'une redite pas très intéressante des tomes 1 et 2 mais l'autrice a décidé d'aller encore plus loin et de faire carrément exploser tout Paris dans la deuxième moitié du roman si bien que Silverspires est la dernière maison encore debout et que l'ordre angélique tel qu'on l'a connu jusque là est terminé.
C'est d'une facilité scénaristique confondante (tout comme le coup de l'amnésie d'ailleurs) mais cela me frustre surtout profondément. Au final, on en sait toujours très peu sur les anges déchus et l'univers hors de Silverspires et Hawthorne (on ne peut pas vraiment dire qu'on apprenne à connaître Harrier). J'aurais aimé que l'autrice continue à explorer son univers avant de tout faire exploser au profit, a priori, des Vietnamiens (la série s'appelle Dominion of the Fallen pas Dominion of the Annamites...).
En parlant des Vietnamiens, revenons à leur magie. La raison pour laquelle Hoa Phong débarque à Paris est qu'elle essaye de retrouver Dan Chai afin de tenter de sauver l'Empereur de Jade qui est en train de plier sous les assauts des Fallen (donc il y en a ailleurs qu'à Paris). Sauf qu'on nous dit aussi que Dan Chai n'est qu'un immortel parmi des tas d'autres au service de l'Empereur et que, à une époque, Philippe était au moins aussi fort que lui. Donc a priori les Fallen sont plus forts que les magiciens annamites puisqu'ils sont en train de battre l'empereur. Comment diable Dan Chai peut-il, dès lors, mettre à lui seul à genoux toutes les maisons de Paris en une journée ? ... Et s'il est finalement vaincu par une alliance entre Fallen et magiciens Annamites, ce sont quand même ces derniers qui l'ont tenu en respect pendant plusieurs jours. Bref, tout comme le world building, le magic building manque cruellement de cohérence et de réflexion selon moi.
Une dernière remarque : la mort de Morningstar, on est d'accord que c'est une blague ? Non parce que l'autrice passe deux romans à nous parler de son aura terrible et à en faire un personnage vraiment intriguant, puis elle le ressuscite de façon un peu facile (mais passons) pour lui donner une mort grotesque un tome plus tard sans qu'on n'ait absolument pas exploré plus avant le personnage. C'était bien la peine de le ressusciter bon sang...