J'ai lu avec beaucoup d'intérêt
Lire J.R.R. Tolkien ; avec d'autant plus d'intérêt, en fait, que j'ai un excellent souvenir de
Sur les rivages de la Terre du Milieu, lu il y a une dizaine d'années déjà.Bien sûr, dans son projet comme dans sa forme,
Lire J.R.R. Tolkien diffère pas mal du livre précédent. Composé à partir d'une compilation d'articles, le fil rouge y est moins net, les objets abordés sont plus divers, et je dois confesser avoir ressenti une certaine frustration devant des études qui n'apparaissent qu'ébauchées. En fait, c'est surtout le chapitre I de la deuxième partie,
Tolkien juge de Peter Jackson (…), qui me donne ce sentiment : dommage d'avoir arrêté la critique à l'adaptation cinématographique du premier volume de la trilogie, sans traiter les suivants. Certes, une critique
littéraire des deux autres opus se serait transformée en blâme de l'adaptation jacksonienne et aurait pu alimenter d'interminables flamewars ici ou là, ce qui n'est pas forcément très utile à l'étude de l'œuvre tolkienienne…

Mais la lacune se fait sentir, malgré tout.Cela étant, les analyses de Vincent Ferré restent très intéressantes, en particulier parce qu'elles font ce qu'on trouve rarement dans l'exégèse française de Tolkien : de l'analyse littéraire. Elles ne se penchent pas seulement sur le contenu du texte, mais sur le texte à proprement parler, sur sa genèse et sa réception. Même si cela reste un peu secondaire dans l'étude de l'œuvre, les chapitres consacrés à la réception française de Tolkien sont ainsi très éclairants pour le lecteur chauvin.

Certains axes d'étude sont passionnants parce qu'ils sont, en revanche, indispensables : la collaboration posthume, filiale et philologique de Christopher Tolkien avec son père est un phénomène littéraire si exceptionnel que c'est vraiment une excellente idée de l'avoir traitée. J'ai été ravi de trouver une étude sur la voix narrative du
Seigneur des Anneaux, qui traite avec clarté un des procédés énigmatiques, paradoxalement négligé, de la composition du roman. Sur le plan génétique, les notions d'expansion et de pulsation fictionnelles m'ont paru très pertinentes. Le caractère tristanien des héros amoureux chez Tolkien est aussi un axe passionnant, qui montre que la mythologie de Tolkien, même si elle se voulait avant tout anglo-saxonne, restait nourrie de mythes exogènes, et particulièrement celtiques.Pour l'anecdote,
Tobold Sonnecor est un nom qui avait toujours éveillé un écho chez moi, évoquant vaguement l'olifant d'Olivier, mais je n'avais jamais fait le rapport direct avec
La Chanson de Roland. Cela dit, la paronymie (signifiante chez Tolkien) entre Tobold et Turold et la date de 1070 sont effectivement très éclairantes ! Quel plaisir de retrouver un des innombrables clins d'œil de médiéviste de Tolkien grâce à l'érudition de Vincent Ferré. En plus, le manuscrit le plus ancien de la
Chanson de Roland est conservé… à Oxford. Le lien est évident.Allusion surprenante quand même chez Tolkien, qui reprochait aux Normands d'avoir détruit la littérature anglo-saxonne. Après tout, Taillefer chanta
La Chanson de Roland à Hastings pour galvaniser l'armée de Guillaume le Conquérant… Tolkien avait donc mis de l'eau dans son vin de vieux Saxon !
