42
par Malkus
Istar
Reparti sur l'Ombre du Bourreau, et sur la Griffe du Demi-Dieu...La vérité est que tout le monde parle de cette série comme d'un chef d'oeuvre, et que lorsqu'on se met en tête de découvrir pourquoi, on ne trouve que des éloges évasifs louant les qualités de style (très bien), puis, plus régulièrement, autant de tentatives gênées d'expliquer à quel point Sévérian est un narrateur "particulier". On raconte qu'il est incohérent, ailleurs qu'il ment, ici qu'il évoque toutes ces expériences sur le même "ton" monocorde, achevant de nous convaincre que ses aventures ont bien quelque chose d'ennuyeux, et nous questionnant en même temps sur ce que nous lisons.C'est effectivement un peu tout ça à la fois. Il ment, il fabule ; il fabrique sa vérité, omet volontairement de raconter certaines choses, les passe sous silence comme on pourrait imaginer que tant de choses le sont dans un roman. Tout manque de renseignements, de descriptions, inhérent à la subjectivité du lecteur, existe, qu'il en veuille plus, ou regrette qu'il n'y ait pas davantage de ces moments qu'il a le plus appréciés, peut-être même de ceux qui l'aidaient à comprendre. Il ne peut qu'y en avoir ; et le narrateur de l'Ombre du Bourreau, selon son bon vouloir, nous dispense parfois d'explications jusqu'à laisser des trous.C'est ainsi qu'on ne trouve par exemple, c'est ce qu'il y a de plus visible, que très peu d'indications sur son état psychologique, ou émotif pour être plus précis ; ce sont les indications cliniques, dont il parsème ses développements, qui peuvent nous renseigner à ce propos.Quelle est l'expérience à laquelle il se livre en racontant son histoire ? Lui même avoue à plusieurs reprises "s'immerger" dans ses pensées et souvenirs au point de les revivre dans sa chair. Il lui suffit, autrement dit, de les évoquer pour s'y retrouver irrémédiablement plongé, au point d'être victime de leurs relents, qu'ils soient cauchemardesques ou heureux.Il a une mémoire parfaite, "éidétique", qui lui permet de se rappeler absolument tout de ce qu'il a vécu, tout en fournissant une quantité invraisemblable de détails visuels, auditifs, et il n'est finalement capable de raconter quelle fut sa vie d'une seule et unique manière ; en revivant des scènes, en anticipant, lors de leur retranscription dans son journal, sur la signification d'évènements qui à l'heure où ils lui arrivent ne signifient pas grand chose.Sa mémoire est un recours, mais aussi un filtre qui nous empêche de cerner exactement ce qui se passe, comme il insiste pour donner le plus souvent un éclairage déterministe à ses actions.En y rajoutant nos propres interrogations sur son personnage, son conditionnement dont on ne peut ignorer qu'il joue un rôle important dans ses relations avec son entourage, on se trouve face à ... une conséquente somme de questions. La nature de l'exercice peut laisser perplexe, et comme le dit Neil Gaiman "faites confiance à l'implicite du texte", et "ne vous laissez pas influencer au delà du raisonnable par le narrateur".Ce sont, avec quelques autres conseils qui frisent le private joke, les clés qu'il nous donne pour lire Gene Wolfe.Pour moi, en attendant demain, ce sera "bonne nuit", avec ou sans rêves !