Ah !Ceux qui connaissent un peu mon parcours (le JdR
Qin, les fascicules
jiang hu du Carnoplaste, un
Dimension Chevalerie chinoise chez Rivière blanche et même mon dernier roman
les 81 Frères) se doutent qu'on parle sur ce topîc d'un genre de cinéma que j'adore entre tous. Histoire de se lancer sur le sujet, je vais présenter un réalisateur que j'affectionne énormément et qui officiait à l'époque bénie de la
Shaw Bros : Chu Yuan. Il a livré quelques perles qui ont vraiment marqué le genre et ce qui constitue mon
wu xia pian préféré :
le Sabre infernal.
Mais pourquoi Chu Yuan est-il si bon ? Premier point, et duquel presque tous les autres découlent : il réussit le tour de force de tirer profit de l'artificialité des productions
Shaw Bros (décors en carton, tournage en studio, acteurs très théâtraux) pour renforcer l'implication du spectateur dans ses films.En cela, il est bien sûr bien aidé par un matériau de base prenant pour cadre le monde des arts martiaux, soit une société parallèle intemportelle dans laquelle chevaliers volants, amazones coquines et moines androgynes s'opposent pour savoir qui possède le meilleur kung-fu. De telles histoires, dans un tel univers, pourraient fortement tomber à plat mais Chu Yan transcende ce côté casse-gueule en jouant à fond sur le décalage induit : puisque nous sommes dans un monde artificiel et fantasmé, poussons la logique jusqu'au bout et acceptons les décors en carton comme faisant partie du contexte, comme rendant ce contexte acceptable.En cela, les films de Chu Yan font penser à du
comic book, ceux des années 50/60 dans leur mise en scène d'un univers
bigger than life auquel on ne peut qu'adhérer grâce au choix des codes utilisés.A partir de là, Chu Yan construit sa mise en scène de façon très ludique. C'est particulièrement visible sur
le Sabre infernal mais c'est aussi le cas dans bien de ses films, comme
le Tigre de Jade ou
l'Île de la Bête. Ainsi, chaque décor, chaque cadre presque, est pensé comme une scène de théâtre, sur laquelle va se jouer la scène, vont s'entrecroiser divers protagonistes, vont se dérouler des événements qui toujours feront avancer l'intrigue. Et bien souvent, chaque décor ne sert qu'une fois (deux au maximum) car dès la scène jouée, on passe à un autre décor selon une fausse linéarité permettant de suivre au mieux des intrigues souvent bien alambiquées. Je m'attarde un instant là-dessus car c'est aussi un des points forts du cinéma de Chu Yan : bien que ses intrigues recèlent moult péripéties et personnages aux noms imprononçables pour nos palais occidentaux, on n'est jamais perdu grâce à cette progression dramatique qui utilise le passage de décor en décor comme élément-clé de la mise en scène et de la progression dramatique.En fait, ce type de réalisation préfigure ce que sera la construction de certains jeux vidéos, de tableaux en tableaux. Une des scènes fortes du
Sabre infernal, qui nous montre le héros piégé sur un échiquier géant, affrontant divers ennemis figurant les pièces du jeu, est très représentative de cela.Les scénarios mis en scène par Chu Yan (sans doute écrits par un nègre, parait-t-il, et adaptés systématiquement de romans de Gu Long) sont souvent très bien écrits, plein de rebondissements (
la Guerre des Clans : un retournement de situation par minute) et mettent en avant des personnages forts. Que ce soit le westernien héros du
Sabre infernal ou le détective 'jamesbondien' du
Complot des Clans, ce sont des icônes consacrées quasiment dès leur première apparition. A ce sujet, il est à noter que Chu Yan utilise presque toujours les même acteurs dans ses films (et quels acteurs : Ti Lung, Lo Lieh, etc.), ce qui renforce l'idée de répétitivité non pas des scénarios mais de l'univers : on est dans une éternelle variation sur un même thème. L'important n'est pas de savoir qui a les meilleurs arts martiaux (puisque de toute façon, c'est généralement le héros et ce dès le départ du film), mais quel usage doit-on en faire ? Le héros du
Sabre infernal préfère mener une vie solitaire et libre, celui du
Complot des Clans vit une existence de dilettante, celui du
Tigre de Jade se met au service de la vengeance de son Clan, etc.Il y aurait encore beaucoup à dire (notamment sur le rôle des femmes dans les œuvres de Chu Yuan, à l'opposé de la misogynie d'un Chang Cheh.La grande qualité de Chu Yan selon moi est d'avoir saisi un matériau peu évident à bras le corps, au premier degré, et d'avoir pensé sa mise en scène pour rendre celui-ci crédible sur grand écran, grâce à des codes de mise en scène simples (réutilisation des même acteurs, décors et tournages en studio, surréalisme assumé, progression linéaire de l'intrigue) mais parfaitement utilisés.Je vous conseille de le découvrir, plusieurs de ses films sont disponibles en France chez
Wildside (et on en trouve à très bas prix dans des magasins comme Noz).