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En tant que grand lecteur devant l'éternel de Card, je voudrais apporter ma pierre à l'édifice (et être dans ce cas précis l'avocat du diable). Je ne remets pas en cause certaines dérives et positions de l'auteur, que je réprouve évidemment. Cependant j'ai pris l'habitude de toujours différencier l'oeuvre de l'auteur: certains livres peuvent être des ramassis de clichés homophobes et racistes, bien que l'auteur ne soit ni l'un ni l'autre (il s'emploie d'ailleurs en général à briser ces clichés dans la suite de l'écriture), et à l'inverse, comme dans le cas de Card, l'auteur peut avoir des positions personnelles rétrogrades et, pour autant, faire preuve d'une certaine objectivité, voire d'une certaine sensibilité sur la question.Dans le cas de Card, je pense surtout au Cycle de la Terre des Origines (plutôt en SF qu'en Fantasy donc). Pour résumer, le super-ordinateur Surâme gère une colonie humaine sur une planète lointaine, après que l'humanité eut quitté la Terre suite à un cataclysme. Voyant que l'humanité ne peut s'empêcher de s'entre-déchirer, Surâme sélectionne génétiquement plusieurs couples qui sont censés être les ancêtres de la nouvelle génération humaine qui va retourner peupler la Terre. L'un de ces couples est composé d'une scientifique peu portée sur le sentimental, et d'un bibliothécaire archiviste qui va s'avérer gay. Premier point: l'auteur s'est déjà autorisé au moins une utilisation claire et nette de personnage homosexuel dans ses écrits. La scientifique en question est au début de l'histoire plutôt homophobe, et a même publié des articles de biologie tentant de démontrer scientifiquement que l'homosexualité représente un cul-de-sac évolutif. Il s'agirait ainsi d'une manière pour l'évolution d'empêcher le porteur d'un matériel génétique défaillant d'être attiré par une personne du sexe opposé, et donc de transmettre ses gènes par reproduction. Puis, suite à de nouvelles découvertes, elle s'aperçoit que l'origine biologique de l'homosexualité s'expliquerait en réalité par une modification interne des taux de certaines hormones, qui a lieu de manière strictement aléatoire lors de la grossesse, et que l'homosexualité n'a donc rien de génétique, ni de prédictible (et donc ne peut pas être potentiellement "empêchée"). C'est la thèse qui est finalement acceptée à ce sujet. Je ne peux pas dire si ces théories sont fictionnelles ou non, n'ayant jamais travaillé sur ce sujet au cours de mes études en génétique, mais en tout cas les deux théories sont, à défaut d'être politiquement correctes, des hypothèses potentiellement vraisemblables qui mériteraient (et ont certainement mérité) des études plus poussées "en vrai". Deuxième point à retenir: Card s'est apparemment renseigné sur le sujet, et admet par la voix de ses personnages que l'homosexualité n'est pas une malformation ou une tare, mais un événement imprédictible n'ayant pas de répercutions réelles, d'un point de vue génétique, sur la société humaine. Mine de rien, considérant les dérives et les messages négatifs qui auraient pu être transmis sur ce thème, je trouve qu'on a évité le pire.Enfin, concernant le "couple" arrangé entre la froide scientifique et l'archiviste gay: les deux êtres finissent par tomber intellectuellement amoureux l'un de l'autre, sans pour autant abandonner leur inclination sexuelle. L'homme est toujours gay, la femme est toujours hétéro, mais ils sont quand même des "âmes soeurs". Ils ont malgré tout quelques relations sexuelles, dans l'unique but de procréer (c'est pour ça qu'on les a forcés à être ensemble), cependant l'auteur insiste lourdement sur le fait que c'est très difficile et que c'est un gros sacrifice que fait l'archiviste d'abandonner, même ponctuellement, ce qu'il est réellement. Troisième point, il reconnaît donc que l'homosexualité est une orientation qu'on ne peut pas "guérir", contre laquelle il est inutile de lutter, et qu'elle n'a rien de mauvaise (le personnage de l'archiviste est en outre l'un des plus sympathiques du bouquin). C'est à mon sens la preuve que Card n'est pas un facho homophobe de base dans toutes ses oeuvres, et on ne peut lui enlever le fait qu'il considère l'homosexualité d'une manière plus éclairée que beaucoup d'homophobes notoires. Pour moi, il s'agit davantage d'un attachement profond aux "valeurs sacrées" du mariage et d'une peur irrationnelle d'une évolution de la société dans ce qu'il considère comme le mauvais sens, que d'un réel mépris, d'un dégoût ou d'une haine des homosexuels, qu'il a d'un point de vue de lecteur plutôt pas mal cernés dans le Cycle de la Terre des Origines. A titre personnel, l'histoire d'amour platonique entre ces deux personnages qui doivent être ensemble sans jamais vraiment pouvoir l'être m'a touché beaucoup plus profondément que nombre de relations amoureuses décrites dans d'autres livres de Fantasy ou de SF, et j'ai du coup beaucoup de mal à croire à la prétendue haine des homosexuels de Card (même si je reconnais qu'il a des valeurs auxquelles je n'adhère évidemment pas du tout).