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Je comprends un peu mieux pourquoi c'est quasiment impossible de se traduire soi-même. :huh:Mais pour une personne à double culture et de surcroit bilingue, ce ne doit pas être évident de sacrifier la moitié de son pouvoir expressif...Autant boycotter la lecture de la traduction de son œuvre par un autre ! Si j'ai bien compris l'auteur original ne peut pas tout contrôler. Cela relativise le pouvoir que le lecteur lui accorde... Surtout dans le cas d'un auteur à succès.

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Mélanie Fazi a écrit :Mais par rapport à cette dernière phrase, "j'imagine que l'auteur a son mot à dire", je constate souvent que les lecteurs surestiment l'implication d'un auteur dans les traductions de ses livres. En réalité, autant ils acceptent généralement de répondre à nos questions, autant ils ne cherchent pas à s'impliquer davantage, ce qui me paraît plus sain pour tout le monde. Déjà, parce que l'auteur ne maîtrise pas forcément les langues concernées. Ensuite, parce qu'il n'en a pas forcément le temps ni l'envie (un auteur de best-sellers traduits dans le monde entier a autre chose à faire que de vérifier que des traducteurs ont bien fait leur boulot dans 25 langues différentes). Et puis à mes yeux, la traduction est un contrat de confiance : chacun son boulot et ses compétences, écrire est une chose, traduire en est une autre, le traducteur n'a pas à se prendre pour l'auteur et vice versa.
Je crois qu'ici -encore !- Tolkien est un cas particulier qu'on n'est pas près de revoir : d'une part, parce que sa démarche était autant celle d'un traducteur (des chroniques du 3° âge dans la langue des hobbits, des hommes et des elfes) que d'un auteur, qu'il a été confronté dès les épreuves -en anglais- à devoir reprendre la main (sur son pluriel atypique "dwarves" que l'éditeur avait réécrit "dwarfs" selon le dictionnaire) parce qu'une grande part de son texte n'était pas de l'anglais moderne même si ça pouvait y ressembler.Et pour les traductions, il écrivait à son éditeur "il est certainement compréhensible qu'un auteur, tant qu'il est encore en vie, soit profondément et immédiatement préoccupé par les traductions. Et celui-ci, malheureusement, est aussi un linguiste professionnel [...]", notamment parce que les traducteurs suédois et hollandais avaient cherché des substituts à ses mots à lui (hobbit était devenu Hompen et Hobbel) alors qu'ils n'ont pas d'équivalent historique comme elfe, nain ou troll.En contrepartie, il avait constitué des documents sur ces mots hors du vocabulaire commun. Mais on parle de quelqu'un qui passe 20 ans par livre à ce rythme.

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Oui, là, c'est une tout autre méthodologie, voire philosophie. :) Pour rebondir sur un commentaire précédent, je ne sais pas s'il faut du courage pour être traducteur, c'est aussi une question d'opportunités. Et puis une fois qu'on est lancé... il faut bien tenir ses engagements. ;)Personnellement, j'arrive plus ou moins à 10 ans de métier cet automne et je n'ai pas remarqué de grands changements. Mais j'espère aussi avoir été relativement chanceux, la plupart du temps.

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Foradan a écrit :Je crois qu'ici -encore !- Tolkien est un cas particulier qu'on n'est pas près de revoir : d'une part, parce que sa démarche était autant celle d'un traducteur (des chroniques du 3° âge dans la langue des hobbits, des hommes et des elfes) que d'un auteur, qu'il a été confronté dès les épreuves -en anglais- à devoir reprendre la main (sur son pluriel atypique "dwarves" que l'éditeur avait réécrit "dwarfs" selon le dictionnaire) parce qu'une grande part de son texte n'était pas de l'anglais moderne même si ça pouvait y ressembler.Et pour les traductions, il écrivait à son éditeur "il est certainement compréhensible qu'un auteur, tant qu'il est encore en vie, soit profondément et immédiatement préoccupé par les traductions. Et celui-ci, malheureusement, est aussi un linguiste professionnel [...]", notamment parce que les traducteurs suédois et hollandais avaient cherché des substituts à ses mots à lui (hobbit était devenu Hompen et Hobbel) alors qu'ils n'ont pas d'équivalent historique comme elfe, nain ou troll.
Je ne sais pas si Tolkien était une exception, beaucoup d'auteurs ont sans doute un rapport similaire aux traductions, mais j'insistais surtout sur le fait que ce n'est pas systématique. Je ne suis pas sûre que les gens se rendent bien compte du travail que demande le simple fait de relire une traduction de son propre texte dans une autre langue, même quand on maîtrise ladite langue : ça prend un temps et une énergie conséquents, même pour une simple nouvelle, et on se creuse la tête à chaque phrase en se demandant "Est-ce que cette phrase sonne juste, est-ce que le sens est le bon, etc". Honnêtement, c'est un casse-tête et une expérience assez épuisante, et pendant ce temps-là, on n'est pas en train d'écrire. J'admire Aliette de Bodard de l'avoir fait sur la longueur d'un roman.Je ne sais pas pourquoi l'idée que les auteurs préfèrent parfois le lâcher-prise au contrôle absolu étonne autant les gens, mais l'image de l'auteur qui veut absolument avoir son mot à dire sur tout a la peau dure. C'est le cas de certains, mais pas tous.

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Kik a écrit :Autant boycotter la lecture de la traduction de son œuvre par un autre ! Si j'ai bien compris l'auteur original ne peut pas tout contrôler. Cela relativise le pouvoir que le lecteur lui accorde... Surtout dans le cas d'un auteur à succès.
Non seulement il ne peut pas tout contrôler, mais il ne le veut pas toujours (cf réponse précédente).Et ça me semble salutaire, justement, de relativiser le "pouvoir" en question. Un auteur n'est pas un dieu omnipotent, juste quelqu'un qui s'efforce tant bien que mal de faire tenir des bouts de phrases et des bouts d'intrigue ensemble et qui est lui-même surpris quand ça marche. ^^Je crois l'avoir dit plus haut mais pour en avoir reparlé avec des collègues lors des récentes Utopiales, on est toujours étonnés que les gens demandent si souvent si c'est l'auteur qui a choisi le traducteur. C'est le métier de l'éditeur, et on ne voit pas très bien comment ce serait concrètement possible que l'auteur s'en occupe lui-même : ça supposerait qu'il dispose d'un temps infini et d'une excellente connaissance du marché de l'édition dans chacun des pays où il est traduit (sans parler de la langue). En gros, ce serait un boulot à temps plein. :)

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C'était vraiment cool ce podcast, merci beaucoup !Etant à moitié dans ma thèse sur la trad de la fantasy il y a bien plein de questions qui me brûleraient les lèvres comme les tarifs pratiqués (quels sont-ils ? sont-ils très variables ?), l'évolution des pratiques dans le temps (retraductions de classiques, premières traductions de textes séminaux, évolution des conditions de travail et influence de l'aura du genre sur les "stratégies" de traduction), l'interventionnisme de l'éditeur (vous en avez un peu parlé cela dit), etc.

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J'ai écouté ce podcast avec du retard par manque de temps, mais je l'ai trouvé très intéressant.Maintenant, je crois que je vais regarder un peu plus le nom du traducteur des livres que je vais lire. Et j'ai découvert que Mélanie Fazi a traduit certains des livres que j'ai appréciés.;)Il me restait une question (et si le traducteur n'aime pas le livre sur lequel il travaille ?), mais j'ai trouvé la réponse dans le forum.

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J'ai écouté votre podcast et j'ai vraiment été très intéressée ! J'ai appris beaucoup de choses. Voilà, je n'ai pas énormément de choses à dire mais la traduction a toujours été quelque chose d'intriguant pour moi, alors merci pour vos lumières !