Je reviens juste de voir
La Jeune Fille sans mains, qui est un film d'animation de Sébastien Laudenbach adapté indirectement d'un conte des frères Grimm par l'intermédiaire d'une pièce de théâtre d'Olivier Py. Comme c'est sans doute le film d'animation le plus original que j'aie vu au cinéma depuis un bon moment, je vais vous en parler un peu :)C'est une jeune fille qui vit chez ses parents à la campagne au Moyen âge. Son père est meunier. Au début du film, on est en pleine sécheresse, la rivière est à sec, le moulin ne peut pas fonctionner et la misère menace. Le meunier coupe du bois dans la forêt quand il aperçoit un cochon noir. Au moment où il va le tuer avec sa hache, un vieil homme surgi de nulle part l'arrête et lui propose de le rendre riche s'il lui donne en échange ce qui se trouve derrière son moulin. Le meunier accepte, pensant que l'homme parle de son pommier, mais il ignore qu'à ce moment-là sa fille se trouvait dans les branches du pommier... Le vieil homme est évidemment le Diable, et le meunier vient de mettre le doigt dans un engrenage qui va entraîner beaucoup d'ennuis pour tout le monde. Elle va surtout, comme le titre l'indique, se retrouver privée de ses mains, d'une façon que je ne détaillerai pas pour ne pas trop en dire. Contentez-vous de savoir que, même si les contes mettent souvent en scène le Diable, j'ai rarement vu des films qui rendent ce personnage aussi flippant avec une telle économie de moyens. Un scénario implacable, sombre comme les contes authentiques savent l'être, doublé d'une mise en scène et d'un montage qui rappellent très régulièrement la présence du Malin aux moments où la jeune fille croit pouvoir l'oublier... Bref, le film a un excellent "méchant", ce qui est toujours un bon signe. La jeune fille, elle, va vraiment en prendre plein la figure... mais malgré la saleté, la fatigue, l'épuisement, etc. elle ne se laisse jamais démonter. Son personnage monte en puissance au fil du film.Ce qui frappe surtout dans ce film, c'est son style graphique unique : des graphismes épurés à l'extrême, radicalement différents du style habituel des grosses productions. On est ici dans un univers qui joue sur la suggestion, les creux, les vides, les tremblements, et qui n'a pas peur des couleurs non-réalistes. C'est un mélange audacieux et assez incomparable : selon les moments, on peut penser à une estampe japonaise, ou à une affiche de pop art très contemporaine et dynamique, ou à de la peinture moderne... J'avais été très surpris par
la bande-annonce et je me demandais vraiment ce que vaudrait le résultat. Eh bien, c'est déroutant au début, car chaque image prise individuellement semble "pauvre" et inachevée, mais on s'y fait, et on comprend vite l'avantage de choix (outre les contraintes budgétaires) : c'est qu'il donne beaucoup plus de force aux mouvements, à l'énergie des personnages. Et par moments on a tout de même droit à des images superbes, des visages, des costumes...Pourtant, paradoxalement, l'image est moins envahissante, puisqu'elle fourmille moins d'informations, et cela laisse plus d'importance à la bande-son, dont les multiples ambiances sonores, les bruitages et les voix sont vraiment très bien faits et donnent une présence physique forte à l'univers. La musique, assez planante, renforce l'aspect étrange de ce monde de conte, onirique au sens fort du terme, tour à tour rêve, cauchemar ou vision hypnotique.
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Est-ce un conte pour toute la famille ? Ce qui est sûr, c'est que les adultes ne s'y ennuieront pas une seconde. Les enfants ont assez d'imagination et d'ouverture d'esprit pour voir le film, mais pas e trop jeunes enfants non plus, je pense. L'histoire est assez sombre et certains moments effrayants. Les choix graphiques du film l'autorisent à montrer tout un tas de choses qu'un film aux graphismes plus détaillés ne pourrait pas montrer de cette façon, mais malgré cela il n'y a pas vraiment de violence graphique. Il y a pas mal de scènes de nudité, mais dans la mesure où les personnages tiennent en quelques lignes et ne sont que rarement des dessins "complets", ça ne peut vraiment choquer personne, et en plus ces scènes sont très saines. Ce sont plus certains moments métaphoriques ou lyriques dont les images ne sont pas réalistes qui risquent de déconcerter les enfants vraiment jeunes (ça et quelques plans effrayants).Seuls quelques moments aux allures "primales" trahissent le côté Olivier Py de l'histoire (l'accouchement, l'allaitement). Pourtant, j'ai trouvé que tout ça s'équilibrait plutôt bien sans tomber dans le trash gratuit ou le malsain, et que le résultat renoue avec les contes non disneysés, qui étaient souvent effrayants... tout en dégageant une grande poésie et (en l'occurrence) une belle force de vie et d'espoir. Et en montrant des scènes qu'on ne verrait jamais dans une production à gros budget qui ne peut risquer de fâcher personne.J'ai été vraiment surpris en bien de voir que malgré ces partis pris graphiques très audacieux, on se laisse très vite prendre par l'histoire et on suit les personnages avec beaucoup d'émotion.Il faut savoir enfin que le film a été fait avec un budget extrêmement limité et que ses choix graphiques viennent de là. Comme quoi, il n'y a pas besoin de centaines de millions d'euros pour proposer quelque chose de novateur et de puissant.
La Jeune Fille sans mains est un film dont l'audace graphique et scénaristique ne manquera pas de diviser, parce qu'il a un style fort qu'on peut aimer ou non. Mais je vous conseille vraiment de le voir pour vous faire votre propre avis !
