Je viens de finir le sixième tome et c'est avec une certaine émotion que j'ai refermé le livre.
Deux adjectifs me sont venus pour décrire cette fin. Pathétique et grandiose. Je ne vois pas comment la qualifier autrement. Et en même temps je me dis que la série entière est à son image : pathétique et grandiose.
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Pathétique parce la mort de Fitz est tout ce qu'il y a de plus misérable. Il est défiguré, mourant, le corps dévoré par des vers, son esprit ne peut même pas suppléer son corps défaillant puisque petit à petit il devient une coquille vide, incapable d'empathie à force de déverser son âme dans le dragon-loup.
Rien ne lui aura été épargné. J'ai du mal à me souvenir d'un héros dans d'autres séries qui s'est fait autant malmené sur autant d'années que lui. Et Robin Hobb a poussé le vice d'une dernière mortification en faisant assister à tous ses proches son ultime déchéance.
Et le plus ironique c'est que Fitz continue encore de se rabaisser et de se dégrader alors qu'il avait sous ses yeux les meilleurs motifs de se réjouir de sa vie. Abeille, Devoir, Kettricken, le Fou, Ortie... il leur avait tous sauvé la vie un moment ou un autre. Tout le résultat de son œuvre se tenait devant lui, le futur des Six (Sept) Duchés était assuré grâce à lui et pourtant il continue de se déprécier et d'éprouver des remords.
Voilà pourquoi c'est pathétique. Parce que même à la fin de sa vie, Fitz a été incapable de trouver un minimum de bienveillance et de paix envers lui-même. Il faut que son âme se perde dans le dragon pour qu'il trouve enfin une sérénité. En fin de compte, le Loup aura été la meilleure version de lui-même.
Au delà de ça, si on peut aisément se douter que Fitz ne va pas mourir coincé dans le souterrain de Clerres ( désolé pas assez de pathos pour ça, pensez-vous), la décision de l'auteur de le fondre dans un dragon m'a surprise. Jusqu'au bout j'ai voulu qu'il rentre à Castelcerf et mène une vie remplie de cette paix qu'il a tant cherchée et jusqu'au bout l'auteur a su maintenir ma frustration.
Un dernier aspect que je voudrais développer sur le côté pathétique ( mais il y en a tant à dire), c'est la faculté de l'auteur à rester dans ce que j'appellerai de la low-fantasy ( en opposition à la high-fantasy

) Ce que j'entends par là c'est que même si on a des dragons, des royaumes qui s'écroulent, des guerres et de la magie, rien n'a une ampleur épique. Prenez n'importe quelle paragraphe d'Erikson et là vous goûterez à de l'homérique même si on capte pas très bien pourquoi. Hobb a la capacité de transformer n'importe quelle victoire en conclusion douce-amère.
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D'accord, les Six-Duchés arrivent à se débarrasser de l'invasion des Pirates Rouges mais ce n'est pas pour autant que Vérité retourne sur le trône.
D'accord, Devoir révèle l'existence de Fitz à la cour mais ce n'est pas pour autant qu'il est accepté.
D'accord, ses ravisseurs sont morts mais ce n'est pas pour autant qu' Abeille retrouve sa vie d'avant.
C'est incroyablement amer quand on y pense. Ne cherchez pas de hauts faits ou de gloire. Même si l'Assassin Royal se déroule sur plusieurs années et met en balance la survie de plusieurs royaumes, ce n'est pas une épopée.
Alors quel est le côté grandiose me direz-vous ?
Le fait que Hobb nous emmène sur des milliers de pages suivre les pérégrinations d'un homme pas particulièrement brillant, pas particulièrement talentueux, sans que notre intérêt ne s'émousse, accroché éternellement au bout de page grâce à ses formidables talents de conteuse. L'Assassin Royal pour moi ce sont les nuits presque blanches, les devoirs de l'époque bâclés, les minutes de lectures grappillées n'importe où, le livre dissimulé dans le tiroir du bureau, bref cette avidité de lire, de savoir la suite, d'enchaîner les lignes.
J'ai beau me creuser la tête, je ne connais aucun cycle de fantasy où l'on suit quasi uniquement la vie d'un seul homme à la première personne de sa naissance à sa mort sur autant de pages et de tomes. Même la Roue du Temps qui est pourtant un cycle ambitieux ne nous donne pas autant de matière à lire au sujet de la psychologie de Rand.
Ce qui est d'autant plus frappant, c'est que Robin Hobb ne dévie pas de son chemin quand il s'agit de la psychologie de son héros ( ce qui peut entraîner quelques critiques j'en conviens). Le premier tome est paru en 1995 et le dernier en 2017 soit 22 ans d'écart. 22 ans durant lesquels l'auteur aurait eu un million d'occasions de varier la psychologie, le caractère, le style d'écriture que ce soit par lassitude, envie de changement, évolution de ses capacités d'écrire... et il n'en est rien. Hobb suit sa voie, les Six-Duchés connaissent des bouleversements mais la forme ne change pas, Fitz reste Fitz. On vit l'histoire par son prisme et c'est peut-être cela qui nous rend le héros si attachant. Peut-être parfois agaçant mais définitivement proche de nous. Cette série est grandiose parce qu'elle transforme un personnage banal en un
héros de fantasy. Il y a une réplique (du Fou il me semble) qui m'a marquée : «Les prophéties n'ont jamais garanti la compétence seulement la persévérance ». Voilà c'est la trame du roman et c'est la vie de Fitz. Pathétique et grandiose. Un peu comme nous tous en fait.