Concernant la tessiture de la magie en Terre du Milieu, il me semble bien avoir gardé le souvenir (merci les Jeux de rôles) que la plupart des sorts auxquels il est possible de recourir ont en commun de "pomper" grandement l'énergie du lanceur.Ceci suffit à expliquer pourquoi Gandalf, personnage par ailleurs habité
en permanence par la dimension stratégique de ses interventions, est visiblement très comptable de son usage de ce genre de munitions. Chaque fois qu'il le peut, il emploie d'autres moyens : son bâton quand cela suffit (Denethor, quelques orques de proximité), son discours, toujours persuasif et opportun, mais aussi ses choix stratégiques (plutôt que d'imposer par la magie à Théoden une stratégie moins risquée que la retraite au gouffre de Helm, il part chercher Eomer afin de gagner tout de même)Gandalf passe davantage de temps à être constamment attentif à ce qui se passe, qu'à sa propre magie, et il est surtout toujours soucieux de laisser les habitants de la Terre du Milieu eux-mêmes affronter leurs épreuves et les surmonter. Sans doute pourrait-il lever davantage de mousse, mais il risquerait de devenir alors une sorte de dieu et ce n'est visiblement pas du tout ce qu'il souhaite. A cet égard le parallèle est intéressant avec Saroumane, qui bien que dans l'ensemble son approche soit comparable (faire
avec les êtres, les éléments et la technologie), se laisse aller à la facilité de la dictature à partir du moment où il est possédé par le Palantir. Ce qui est remarquable dans l'univers de Tolkien, c'est que la magie n'y est jamais 'antinaturelle', mais qu'au contraire, elle réside tout entière dans la capacité de
maîtriser (et encore, dans une certaine mesure) les éléments naturels, car ce sont toujours
eux qui détiennent la vraie puissance. L'écrasement de Saroumane par les Ents est d'ailleurs totalement emblématique de ce parti-pris, qui s'exprime aussi, par exemple, par la façon dont Arwen se débarrasse des Nazguls, en réveillant un torrent furieux (qui la laisse d'ailleurs tout essoufflée), ou encore par la façon dont Saroumane attaque la communauté au col de Caradhras : il utilise surtout la force de la gravité pour faire tomber sur eux l'avalanche, mais s'est en réalité limité à projeter un peu de foudre (et encore, avec pas mal d'efforts et d'incantations pour convaincre les nuages) à l'endroit approprié.Sans la puissance de la nature, toute la magie réunie de la Terre du Milieu est réduite à rien, ce qui n'empêche nullement ses détenteurs (Gandalf, Saroumane, Sauron, Galadriel, Elrond) de faire grande impression sur leur entourage et par ce moyen de mobiliser des forces considérables.Ainsi Saroumane, malgré sa supposée puissance, a besoin pour faire exploser la forteresse de Helm d'une bombe presque artisanale et d'un uruk décidé, appliqués au point faible de la forteresse, par où s'écoulent ses eaux, de même Gandalf ne dispose que de lumière pour éloigner les Nazguls en les éblouissant, et les êtres les plus puissants de la Terre du Milieu (Gandalf, les Nazguls) ne peuvent voler qu'en chevauchant des créatures, aigles ou féroces ailées, tout ce qu'il y a de plus animales.D'autre part, pour ce qui concerne sa capacité d'influence elle-même, la magie dans le monde de Tolkien est largement tributaire des objets sur lesquels elle s'applique : ce qui la rend difficilement
contrôlable et souvent ambivalente : ce n'est pas toujours commode d'investir des énergies extérieures quand celles-ci conservent leur part d'autonomie.. Ainsi l'anneau : Certes Smeagol le convoite très vite et très intensément, mais comme c'est une convoitise à très courte vue, que Smeagol n'avait pas d'autre vie sociale que son frère et son petit peuple, qu'il a tué le premier et s'est fait chasser par le second, cette convoitise le conduit très loin du monde, dans la jouissance et l'onanisme, par conséquent à un endroit où l'influence de l'anneau, soi-disant tout-puissant, est strictement égale à zéro.. Même une fois l'anneau perdu, Gollum n'a aucune intention de le rendre l'anneau à Sauron et ne le veut que pour lui seul...Mais... au fond... ne sont-ce pas ces limites mêmes qui rendent cette magie-là, toute ténue, bien plus intéressante que celle qui consiste à
nier violemment (dans la fiction tout est permis n'est-ce pas) les lois de la nature ?
