J’ai profité de mes vacances pour achever la lecture du dernier roman Malazéen, The Crippled God, et j’en sors ravi, tout comme je sors ravi de cette saga. Un seul mot : épique, évidemment !Ce dixième roman apporte une conclusion à quasiment tous les arcs narratifs soulevés par Erikson. Un roman très riche, donc. La convergence finale approche, et le Dieu Estropié en est le centre. Mais qui est-il réellement ? Quel rôle joue-t-il dans toute cette intrigue ? Comment faut-il le traiter ? Tous les protagonistes vont tâcher de répondre à ces questions, chacun à leur manière. Si certains l’exploitent (dont un nouvel ennemi redoutable, bien décidé à éradiquer toute forme de vie sur la planète), d’autres veulent le détruire tandis que d’autres encore souhaitent le protéger… et pas forcément ceux qu’on croit. Vont donc converger Bonehunters, Letheriis, Barghasts, Bolkandos, Grey Helms, Shurq Ellale et ses pirates (avec un “passager clandestin” digne de ce nom !), Anciens dieux aux abois, légion d’Eleints prêts à répandre le chaos sur le monde, Olar Ethil et ses enfants kidnappés, membres de la Trygalle Trade Guild, Draconus et ses deux compagnons d’infortune, mais aussi T’lan Imass (avec un Tool remonté comme une pendule), Jaghuts et K’Chain Che’Malle, tous unis ou presque face à la menace des Pure Blood. Oh, j’allais oublier un certain dragon d’Otataral… et au milieu de ce capharnaüm, Tavore Paran, seule face au destin du monde, entraînant à sa suite ses légions de Malazéens renégats dans une odyssée désespérée à laquelle ils ne comprennent rien mais qu’ils s’efforcent d’accomplir au-delà d’eux-mêmes. Sans rien attendre en retour : ni or, ni gloire, ni même remerciement. Le dépassement de soi érigé au rang d’objectif vital.Je reviens d’ailleurs à mon avis “mitigé plus” sur Dust Of Dreams dans lequel je signalais que le livre se bonifierait certainement à la relecture et à l’aune de sa suite - puisque les deux romans sont directement enchaînés. C’est confirmé : les pans d’intrigues introduits dans DoD trouvent souvent un beau, voire même un magnifique dénouement dans TCG. Les plans de Tavore dévoilés, on comprend pourquoi il aura fallu aux Malazéens traverser toutes ces épreuves en apparence inutiles. Et j’ai revu d’un tout autre regard le Snake, ces enfants abandonnés à leur propre sort et devenus trop tôt des adultes qui, dans DoD, erraient déconnectés de tous les autres protagonistes. Les rencontres qu’ils font dans ce roman-ci sont à fendre l’âme. Et que dire de certains événements en apparence anodins : une naissance chez les Khundryl qui bouleverse l’armée rebelle autant que les parents de ce bébé inespéré et quasi-condamné à peine son premier cri poussé. Le désespoir transpire par toutes les pages de The Crippled God tellement les situations affrontées par les protagonistes semblent inextricables, poussant ces hommes et ces femmes à se transcender, à dépasser leur propre statut d’humain mortel, et ce même si personne ne se souviendra d’eux, même si personne ne sera témoin de leurs exploits. Cette notion que je qualifierais sauvagement d’“unwitnessing”, déjà bien abordée dans Dust Of Dreams, trouve ici son plein accomplissement, et de quelle manière.Mais The Crippled God n’est pas qu’un livre émouvant, c’est aussi et surtout un livre épique, un livre où des batailles se livrent parmi les plus belles de la saga. On pensera bien sûr à l’ultime dénouement entre les armées de Kolanse et les forces coalisées, et ce en plusieurs lieux et temps. On pensera à certains sacrifices / morts héroïques qui parviennent à nous extirper quelques larmes, parmi lesquels des personnages que l'on avait appris à connaître depuis le début de la saga ou presque.
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Gesler et Stormy. Mince, quoi, pas eux ! Et Cuttle !
On pensera surtout à ces scènes anthologiques, marées humaines, bain de sang, fureur des armes et des assauts. Rarement Erikson nous aura fait vivre à ce point l’horreur de la bataille, une bataille ou même le médiocre parvient à se transcender et à livrer le meilleur de lui-même.
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Blistig. J’ai adoré le traitement qui lui est réservé, ce pardon implicite, cette honte de ne pas être exécuté, et au final ce rachat dans la gloire. Vraiment, Erikson arrive à trouver le bien dans la pire des ordures.
Une bataille enfin où même les ennemis les plus farouches peuvent être capables d’enterrer leurs différends pour aller dans le sens commun. Par quelques retournements de situation d’ailleurs accessoires pour le déroulement de l’intrigue, l’auteur fait montre non seulement de bienveillance envers le genre humain (voire même envers les genres humanoïdes doués d’intelligence), mais aussi d’optimisme, d’empathie et de compassion pour ses héros malmenés par le sort et l’Histoire (avec un grand H).
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L’alliance entre la poignée de Jaghuts et les Imass redevenus de chair et d’os… est d’une force émotionnelle insurpassable.
Mais la bataille ne se livre pas que sur terre (ou sur Wu, puisqu’il paraît que c’est comme ça qu’Erikson et Esselmont ont nommé leur monde). À Karkhanas, la lutte fait également rage entre les Ténèbres et la Lumière, et le Shake, à peine parvenu à bon port, s’engage dans une lutte désespérée pour protéger coute que coute le First Shore qu’il a juré de défendre. Si je me suis passionné pour les batailles de Kolanse, j’ai encore préféré les vagues d’assaut qui se brisent sans cesse sur le premier rivage et l’armée aux abois qui le défend, la folie des assaillants comme des défenseurs. Épique est même un mot encore trop faible pour décrire la bravoure de certains personnages.
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Yedan Derryg et sa Hust Sword, le comble de l’héroïsme. Et Yan Tovis. Le frère et la sœur les plus tragiques du cycle.
The Crippled God est également l’occasion pour Erikson de nous faire retrouver de vieilles connaissances, soit au fil du livre (cf un host Malazéen et son commandant qu’on avait perdus de vue depuis quelques tomes), soit dans l’épilogue. Un épilogue absolument parfait, parvenant à refermer le livre pour quasiment tous les personnages recensés, hormis quelques uns qui, j’imagine, réapparaîtront dans la trilogie Karsa Orlong. Ce que j’ai surtout aimé, c’est la logique d’écriture faisant que le Livre Malazéen s’achève comme il a commencé, avec les bridgeburners, ces bons vieux vétérans éclatés par-delà les domaines et les continents, par-delà la mort elle-même, et qui finissent ensemble - du moins autant que possible ! - ce qu’ils ont commencé.
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Quel plaisir de revoir Paran (plus fort que jamais avec ses pouvoirs de Master of the Deck), le duo Kalam - Quick Ben toujours aussi fantastique, quelle joie de voir Fiddler et Hedge se réconcilier, de voir Crokus retrouver Apsalar pour une happy end qui m’a vraiment émue, de voir Whiskeyjack tendre la main à Korlat par-delà la mort.
On ne trouve pas ici le désespoir ou la noirceur désabusée d’un GRR Martin : Erikson a vraiment chahuté ses personnages, leur en a fait voir des vertes et des pas mûres, en a tué un grand nombre, en a fâché pas mal d’autres, mais au final, cet esprit de corps, cette amitié née sur le champ de bataille triomphe de tout, et c’est beau. Tout simplement.Il y a beaucoup à dire sur les personnages, ceux qui meurent comme ceux qui survivent. Tavore est certainement le plus tragique de tous, femme incomprise qui s’enferme derrière sa froideur pour mieux nous surprendre par la chaleur de l’amour qu’elle voue à ses hommes mais aussi à ses ennemis d’hier. Tavore dont le plan machiavélique rattrape celui du Crippled God, conjonction de deux destins qui, l’un sans l’autre, n’auraient pas été capables de sauver le monde, du moins la civilisation - moyennant un bon coup de pouce de Shadowthrone et de Cotillon, bien sûr. Tavore qui, d’un seul regard, peut faire basculer l’esprit d’un militaire dans une abnégation sans borne. Tavore, LE chef que l’on suivrait jusqu’en enfer. Autre personnage fort, Brys Beddict qui peut encore une fois prouver sa valeur et ses impressionnants pouvoirs, d’autant que l’on vit le personnage à travers son amante craignant sans cesse pour la vie de son Prince. J’ai aussi particulièrement aimé tout ce qui tourne autour des Grey Helms et de la “trahison” de Khrugava, sachant que l’arc liant ces mercenaire se résout d’une façon tellement inattendue et choquante qu’on en a l’estomac retourné. Aimé également la reine des Bolkandos et ses chipies de fille, Withal et sa femme Sandalath Drukorlat qui bascule dans la folie, le duo Gesler - Stormy parfait dans son “nouveau rôle” (n’en disons pas plus)... et un certain dieu de la mort qui ne manque ni d’humour, ni de détermination. Impossible de tous les citer, bien sûr, c’est dire la richesse scénaristique de ce livre.Côté négatif, pas de gros défauts en vue, si ce n’est que certains arcs se terminent un peu en eau de boudin.
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Icarium et Mappo, voire même Calm : tout ça pour ça ? Gruntle et Kilava : WTF ? Hetan de nouveau indemne et réunie avec Onos T’oolan et leurs enfants à la fin… euh, j’ai loupé un truc ou quoi ? Mieux : Karsa Orlong, à Darujhistan, plante son épée dans l’autel de Fener au moment opportun, tuant Fener meurt et faisant pleuvoir son sang sur les T’lan Imass en leur redonnant chair. Really ???? Mais ce sont aussi ces passages hallucinants qui font le charme du cycle
Même si j’ai aimé l’absence de deus ex machina (je crois que c’est d’ailleurs l’un des seuls bouquins Malazéens où il n’y en a pour ainsi dire pas), je regrette en revanche quelques oublis qui se rappellent à notre bon souvenir au petit bonheur la chance.
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Heboric, qui s’était noyé dans The Bonehunters et qui en fait ne s’était pas noyé, ou en fait si mais pas vraiment, jouant le rôle qui tue dans la fin du CG. Ouais, c’est quand même gros, monsieur Erikson. Genre : “Ah mince, je l’avais oublié celui-là. Bon qu’est-ce que j’en fais ? Bah, on n’a qu’à dire qu’en fait il était pas mort…”
Par ailleurs, c’est bien beau de réserver des morts ou des destins glorieux au plus grand nombre, mais dès que la tension baisse, on reste un peu sur sa faim. Sans parler d’une “légère” tendance (euphémisme) à surexposer le caractère impossible de l’exploit accompli par les Bonehunters, à sans cesse bien appuyer sur leur dépassement inhumain tout en sachant qu’ils vont évidemment y arriver...
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Un exploit ? Quand on pense que Tavore n’a qu’à s’entailler la main avec la dague de Mael pour faire jaillir de l’eau du désert de verre et ainsi sauver toute son armée d’une horrible mort déshydratée… alors je vous le demande : pourquoi attendre autant ?
Mais l’un dans l’autre et malgré quelques menues réserves, The Crippled God est un très grand roman, concluant un immense cycle de fantasy. En terme de préférence, TCG arrive pour moi quatrième sur dix derrière Toll The Hound, Memories Of Ice et The Bonhunters - de sacrées références, au passage. Je ne peux donc que vous confirmer mon enthousiasme pour cette saga splendide et mon désarroi face aux lâchages éditoriaux dont elle a fait l’objet ces dernières années. C’est à n’y rien comprendre…Et sur ce dernier point, je reviendrai bientôt vers vous. Je devrais avoir du neuf d’ici quelques semaines, l'été ayant malheureusement fait traîner les choses… en espérant que ça marche. D’ailleurs j’ai déjà des news, mais autant faire un tir groupé. Je croise les doigts sur les quelques pistes qui s’offrent à moi !
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