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Je pourrais répondre à ta prof de français en trollant un peu (encore que) que si elle à lu l'Illiade, l'Odyssée, l'Enéide, les chevaliers de la table ronde de chrétien de Troyes, le Beowulf ou même la bible, bien sûr que si elle a lu de la fantasy ^^ Je pense que les codes de la fantasy sont compréhensibles par tout le monde. Tout le monde n'y sera pas réceptif, mais je pense que c'est justement une littérature ancrée en l'homme bien plus profondément que les autres : toutes les histoires des débuts de l'humanité sont une forme de fantasy en fait. Les premiers romans qui n'en sont pas ( je veux dire par là qui ne peuvent clairement pas entrer dans le genre. Oui, Tristan et Iseult s'en éloigne, mais peut en faire partie) arrivent après l'invention de l'imprimerie. Ceci dit, je ne discute pas beaucoup lecture avec des jeunes qui ont 10 ans de moins que moi, ça pourrait être super intéressant. de voir si la "cassure" existe en fait simplement parce qu'on évolue. Pour ce qui est des plus âgés qui ont lu plus de classiques, je ne peux que te dire "ça dépend", parce que mes potes sont de gros lecteurs et que j'ai toujours été entouré de gens qui lisaient lesdits classiques. Ensuite je dirais que ces classiques étaient à l'époque bien plus mis en avant, que ce soit en librairie ou en cours.Justi, là je trouve que tu restes trop bloqué dans ta vision des "codes" pour expliquer tout... Pour encore reprendre Erikson, non justement je n'ai pas trouvé cette lecture aisée. Par après, et à la fin notamment je l'ai trouvée passionnante, mais tu peux retrouver mes impressions sur les dernières pages du sujet dédié : j'ai vraiment galéré au début. Alors que j'étais prévenu, etc. C'est uniquement parce que je suis un lecteur compulsif qui n'aime pas laisser les livres traîner que je l'ai terminé en moins d'une semaine, je dirais qu'aux 400 premières pages j'avais du mal. Tout en reconnaissant par après que c'était une très bonne lecture. C'est justement à la suite de cette "dichotomie" que j'ai lancé ce sujet :)

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On pourrait continuer à l'infini et je pourrais te répondre que tes codes t'ont freiné jusqu'à la 400ème page avant de rejoindre ta lecture. Ou que tu as mis 400 pages pour apprendre les codes d'Erikson. Il y aurait moyen de tenir cette position ;) La lecture par codes est une grille de lecture qu'il m'a semblé intéressant de proposer ici. Comme toute grille de lecture, elle a ses zones d'ombres et ses points aveugles. Mais c'est un outil intéressant, je pense, qu'il était surtout utile de mettre en évidence ici pour expliquer la vision des œuvres comme "complexes" ou non. Elle s'adapte à plein de choses, et, surtout, peut être utilisée pour affiner sa perception des ventes, des succès, des faveurs du public, des habitudes de lecture,... Elle permet d'envisager autrement la dichotomie simplicité/complexité et évacue les problèmes de valeurs esthétiques (entre autres, le problème assez désagréable de la supériorité ou infériorité supposée, consciemment ou non, d'un des types de lecture sur l'autre).Bref, ce n'est qu'un outil, j'espère juste qu'il permet de voir ce débat (passionnant), d'un autre œil, avec une nouvelle perspective.L'autre point que je voudrais aborder (sans parler de codes cette fois-ci, promis) est qui est un des lièvres soulevés dans les dernières réponses, c'est celui des classiques.Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les classiques sont lus par des jeunes. La plupart des enquêtes montrent que, parmi les auteurs les plus aimés par les jeunes lecteurs (16-25 ans), figurent des noms comme Jules Verne, Dumas ou Maupassant. Peut-être est-ce parce qu'ils leur parlent toujours aujourd'hui, peut-être parce qu'ils les ont lu dans le cadre de leur programme scolaire, peut-être par hasard...Un autre point à soulever concernant les classiques, c'est un glissement de perception : autrefois, on considérait généralement UNE œuvre d'UN auteur particulier comme UN classique. De nos jours, c'est L'ENSEMBLE d'une œuvre d'un auteur qui est considérée comme classique. Les rééditions généralisées des œuvres des dits auteurs par les éditeurs contemporains et financièrement accessibles (les catalogues de Folio Classique ou de Libretto en sont une preuve vivante) ont, me semble-t-il, changé cette perception. Ce qui fait qu'en réalité, on est dans une situation paradoxale où les grands auteurs classiques n'ont jamais autant été lus, chiffres de vente à l'appui, et où les classiques eux-mêmes (je veux dire les livres classiques, les grandes œuvres dont on nous a rebattu les oreilles) sont moins lus, un décalage d'intérêt se produisant et les gens devenant plus intéressés par les œuvres moins connues des auteurs classiques.Dernier point sur ce sujet : la perception du "classique" change avec le temps qui passe. Hemingway, Kawabata ou Tolkien sont désormais perçus comme classiques, alors qu'ils étaient des auteurs contemporains ou avant-gardistes il y a 50 ans. Certains auteurs rentrent donc dans cette catégorie avec le temps (50 à 100 ans), d'autres en disparaissent. Qui fait encore aujourd'hui grand cas d'écrivains comme Frédéric Mistral ou Roger Martin du Gard, considérés comme des classiques incontournables quand moi j'étais étudiant, dans les années 80 ?

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Hahaha oui je vois bien que le concept est assez maléable pour être appliqué à tout, mais comme tu dis il a aussi ses faiblesses :p puis je vais y réfléchir un certain temps pour voir comment l'intégrer à ma façon de penser ^^ Sinon d'accord avec toi pour la vision des classiques, effectivement avant on me parlait de telle ou telle oeuvre, alors qu'aujourd'hui on me parlera plutôt de tel ou tel auteur et de son oeuvre globale.C'est encore plus récurent en fantasy (quoique pas uniquement) où les auteurs aiment à créer un univers et à y retourner pour une histoire qui s'étends sur plusieurs livres. Mais on a également ça avec les policiers : Le commissaire maigret de Georges Simenon a une histoire qui évolue de façon très minime entre ses NOMBREUX livres. Pareil pour Hercule Poirot chez Agatha Christie, mais on peut citer d'autres romans comme ceux de Maxime Chattam dans un style qui ressemble plus à de l'intrigue/aventure avec une grosse réflexion sur la nature humaine. Dans l'historique avec les rois maudits, ou le chevalier panthère...Et surement chez d'autres que je ne connais pas ou que j'oublie ^^ On peut remarquer cette ambition de plus en plus marquée qu'on les auteurs à construire quelque chose qui ne tient pas dans un seul livre. Parfois plusieurs livres qui se suffisent à eux-même font tous partie d'un ensemble plus grand comme ceux de Gemmell dans le cycle drenaï par exemple. C'est peut-être ce qui explique cette évolution de la vision des classiques. (et d'une certaine manière c'est aussi une façon de complexifier son propos en y apportant plus de nuances ou de poids avec de nouveaux livres)

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J'aime beaucoup l'exemple donné plus haut de la vulgarisation scientifique. Pour moi, un auteur est un vulgarisateur: il est là pour rendre son monde, quelle que soit sa complexité, accessible et agréable pour le lecteur.Si l'oeuvre complexe n'est pas accessible, c'est qu'il y a un souci au niveau de l'auteur ou du travail éditorial.Par ailleurs, surtout en fantasy, je lis beaucoup d'oeuvres qui semblent apprécier la complexité pour le plaisir de la complexité.Prenons un exemple tout bête, une scène d'action lambda:Le héros pénétra dans la salle du trône. Lord Ingtar se tenait au centre de la pièce.- Te voilà fait, dit le héros.- Je ne me laisserai pas vaincre aussi facilement, dit Ingtar en tirant son épée.L'action est décrite mais le style est plat et on a du mal à se représenter les lieux. Du coup, on peut étoffer le passage, par exemple en insistant sur les émotionsLe héros essuya ses mains moites sur son bliaut. Il ne transpirait pas, d'habitude, mais la simple idée de franchir cette porte lui nouait l'estomac. Puis le visage d'Esther flotta devant ses yeux, pâle comme lorsqu'il l'avait retrouvée, si belle et pourtant déjà morte. Aussi facilement que ça, la colère remplaça la peur. Il serra les dents, dégaina son épée et ouvrit la porte à la volée.- Te voilà fait, gronda le héros en avisant son ennemi au centre de la pièce.Ingtar devait se douter qu'il n'avait aucune échappatoire; le château était tombé, ses hommes en déroute. Pourtant, il ne montrait pas le moindre signe d'inquiétude. Il se permit même le luxe de boire une dernière gorgée de vin avant de faire face à son adversaire.- Je ne me laisserai pas vaincre aussi facilement, murmura-t-il, un sourire cruel aux lèvres.Certains vont au contraire accentuer les descriptions.Pour la première fois de sa vie, le héros pénétra dans la salle du trône. Large de plus de cent pieds et longue de trois cents, c'était un véritable prodige d'architecture. Les Nains Sous la Montagne avaient posé la première pierre sous le règne de Heru III, dit "le pacifique", qui avait cherché à rapprocher les différentes nations en partageant son savoir de bâtisseur. L'oeil expert pouvait reconnaître sans grande difficulté leur travail, tant l'alignement des blocs semblait parfait, jusqu'à former une muraille tellement lisse qu'on n'en voyait pas les jointures. Cinq larges fenêtres donnaient sur l'extérieur et permettaient au roi de contempler l'arrivée des bateaux en contrebas, dans les quartiers mal-famés de Port-Famine. D'habitude, ces ouvertures laissaient pénétrer la lumière à flots et les rayons du soleil jouaient sur les statues des cinq rois précédents, alignés devant le trône comme pour conseiller leur successeur. Mais, dans un élan mélodramatique, Ingtar avait ordonné qu'on installât d'épaisses tentures pour étouffer la lumière, et la pièce baignait désormais dans une semi-pénombre inquiétante.Et enfin, il y a le développement de scène par la préciosité/richesse du vocabulaire, choisissez le terme qui vous convient selon si vous aimez ou non.La lueur purpurine d'une aube moirée vint se refléter maintes fois sur l'armure damasquinée de notre valeureux héros avant qu'il n'osât pousser l'huis qui contrariait son avancée. De bois chuintant, point, l'huile fort opportunément versée sur les gonds étouffant toute vélléité d'avertissement de la part de cette porte traîtresse. Au bas bout d'une large table se trouvait le maître des lieux, l'évanescence de sa posture soulignée par l'étoffe languide qui reposait sur ses épaules décharnées. On eût dit que la Mort avait pris corps en cet homme, rongeant ses orbites en ce lent soubresaut que connaissent et redoutent toutes les âmes captives, étirant la peau sur son crâne hâve jusqu'à le laisser ressembler, par un funèbre jeu de miroir, à son défunt père tout juste enterré dans le caveau familial..La complexité dans l'écriture peut du coup venir de l'accumulation de ces trois points. Si chaque scène commence à refléter les pensées des personnages et les descriptions alentour, le tout dans un style précieux, le livre finit par devenir indigeste. Et ce n'est pas une question de complexité mais juste de boulot éditorial mal fait.

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Effectivement, ton exemple est plutôt parlant ! Ceci dit, ces descriptions et ces effets de styles, aussi sympa soient-ils sont, il me semble, soit mal placés, soit mal introduits :p C'est à dire que décrire précisément le nouvel endroit ou on arrive, ainsi que les nouveaux perso des qu'on les voit, je trouve ça un peu maladroit. Une phrase suffit pour donner une 'ambiance" à un lieu, genre dans ton exemple "Ingtar avait ordonné qu'on installât d'épaisses tentures pour étouffer la lumière, et la pièce baignait désormais dans une semi-pénombre inquiétante." c'est largement suffisant pour que le lecteur saisisse l'ambiance du lieu, c'est clair, c'est rapide, on peut passer à l'action. Après, la description de la pièce peut se faire par petits ajouts subtils genre "Ingtar survola les marches devant le trône avant de se jeter sur le héros", Ou bien même "Surpris par la charge d'Ingtar, le héros trébucha et emmena un brasero dans sa chute. Les charbons ardents se répandirent sur les tapisseries et les flammes eurent tôt fait de répandre leur lueur mordorée dans toute la pièce. Sous cet éclairage tremblotant, Ingtar ressemblait à un démon sorti des enfers."Je trouve que ça casse largement moins le rythme (par contre on s'éloigne du sujet, mais je suis incapable de résister à la tentation de ce genre d'exercices stylistiques ^^)Pour y revenir un peu, oui il est clair que le style fait énormément pour la clarté d'une scène et la facilité à rentrer dans un univers, et c'est souvent ce qu'il est le plus difficile à maîtriser.

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Temliw a écrit :Effectivement, ton exemple est plutôt parlant ! Ceci dit, ces descriptions et ces effets de styles, aussi sympa soient-ils sont, il me semble, soit mal placés, soit mal introduits :p
C'est un peu le but, de montrer ce que ça donne quand on pousse le style à l'outrance :mrgreen:De la même manière, je pense petit-suicider le premier auteur qui utilise "purpurine", "moirée" et "damasquinée" dans la même phrase :DMais en effet, tu rejoins ma théorie qui est que la plupart des oeuvres considérées comme "non accessibles" ou "difficilement accessibles" le sont rarement en raison de la complexité du propos mais bien d'ingrédients mal mixés au moment de l'écriture.Le Trône de Fer en VO, par exemple, est une oeuvre très accessible malgré le nombre important de personnage, parce que la maîtrise de l'auteur permet de facilement de suivre l'histoire et l'action.

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Cela dépend aussi du lecteur. Pour certains Tolkien ou Holdstock sont difficiles d'accès de par la simple présence d'un vocabulaire riche et de descriptions tenant la route. Le parcours du lecteur, ses habitudes en matière de lecture, jouent pour beaucoup dans de tels qualificatifs.