Mon temps est précieux, alors je n'en ferais qu'un. Disons Tywin puisque c'est par lui que tu commences. Tu le décris comme un meneur d'homme dont la fin justifie les moyens. Ce qui est vrai bien entendu, mais il n'est pas que ça, et en faire une caricature du meneur d'homme froid sans ambivalence ni psychologie derrière serait une gageure.
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Pour le petit rappel historique. Remontons au père de Tywin, lord Tytos. Lord Tytos était un seigneur incompétent affable et faible, raillé par ses vassaux les plus puissants et qui n'osait s'attirer l'inimité des autres maisons. Tywin n'avait pas le choix, pour grandir en acquérant du respect, il fallait qu'il fasse disparaitre l'ombre de ce père. Leur relation père-fils est à rapprocher grandement de la même relation qui lie Tywin à Tyrion où Tyrion essaye par même de grandir en sortant de l'ombre d'un père cette fois trop compétent. Mais là on s'éloigne du sujet.Tywin s'oppose une première fois sans succès à son père lorsque ce dernier cède aux pressions de Walder Frey et donne la main de Genna à ser Emmon, faisant par là montre d'un courage et d'un sens des réalités déjà fort aguerri. Il prend plusieurs fois parti contre les décisions de son père, en particulier lors de la rébellion d'Elyn Tarbeck, mais chaque fois sans succès. Il en conçoit énormément d'amertume. Il se sait meilleur gestionnaire et bien plus compétent que son père et pourtant ce dernier n'écoute aucun de ses avis et conseils, ainsi il ne peut trouver l'approbation de son père qu'en lui prouvent "de facto" que c'est lui qui avait raison. Le paradoxe dans cette affaire veut que malheureusement, Tywin ne pourra prouver à son père qu'il avait raison qu'après la mort de celui-ci quand il lui succédera. En attendant, las d'être déconsidéré chez lui, Tywin part pour la capitale où son ami d'enfance Aerys II vient d'être couronné roi à seulement 19 ans. Roi jeune et prometteur, entouré de conseillers vieillissant, Aerys veut rajeunir la cour, et Tywin a déjà montré à plusieurs reprises qu'il avait "des couilles" politiquement parlant et qu'il était très compétent. Aerys fait de lui sa Main, rôle dans lequel il se lance à fond et avec un succès florissant, prouvant à ce père qu'il méprise qu'il est un dirigeant capable et puissant, en dirigeant le royaume à défaut de diriger l'Ouest.Finalement, lord Tytos meurt. Obèse, peut enclin à l'exercice, il fait un infarctus alors qu'il court rejoindre la prostituée qu'il avait prise pour maîtresse. Cette dernière fait d'ailleurs main basse sur les bijoux de la mère de Tywin et ce dernier en conserve une compréhensible rancœur à l'endroit des prostituées qui transparait nettement dans sa relation avec Tyrion. Dès la mort de son père, Tywin s'empresse de redorer le blason de la maison Lannister, notamment en réduisant en cendres les maisons Reyne et Tarbeck.Tywin maintient un pouvoir ferme et de poigne sur l'Ouest, non par plaisir, mais par nécessité. Il a besoin que la maison Lannister soit à nouveau considérée comme politiquement puissante après plus de vingt ans passé au ban du royaume. Il sait qu'au moindre signe de faiblesse, les vassaux si rétifs qui raillaient son père pourront se retourner contre lui et que le meilleur moyen de maintenir paix et puissance dans un contexte pareil est la poigne. (On peut à ce titre faire une petite parenthèse et remarquer la différence marquée entre les deux rivaux militaire, Tywin et Robb Stark, le premier cherchant à s'accomplir en se sortant de l'ombre de son père en agissant de manière totalement opposé, et l'autre cherchant à s'accomplir en se sortant de l'ombre de son père en suivant la même voie mais en mieux. Ce qui d'un point de vue de l'analyse littéraire de l'œuvre est loin d'être anecdotique.).Mais cette réussite ne plait pas à tout le monde et le roi commence à se méfier de lui. Grandes et petites gens gens du royaume, tous savent et disent que c'est Tywin, et non Aerys qui gouverne en réalité. La schizophrénie et la paranoïa d'Aerys débutent vers cette époque, et Tywin est obligé de le suppléer sur le trône de plus en plus souvent pour régler les affaires courantes. Aerys commence à trouver la popularité de Tywin gênante (et décide par exemple de traiter certaines affaires importantes sans lui, ce qui aboutira à la tragédie de Sombreval, mais ça c'est un peu hors-sujet). Ainsi en 276, alors qu'il est Main du Roi depuis 15 ans, la Main la plus efficace et reconnue, leader d'une des plus grandes maisons du royaume, chef militaire hautement craint et respecté, et meilleur ami du souverain, Tywin propose au roi la main de Cersei pour Rhaegar, son fils. Jaloux de sa notoriété, le roi lui refuse publiquement de façon particulièrement humiliante, le renvoyant à sa position de simple serviteur, chose qui renvoie Tywin à son enfance et à la façon dont son père ignorait ses remarques et conseils. Il digère très mal la chose et l'amitié entre les deux hommes est consommée. Finalement ce sont les petites intrigues de Cersei pour faire venir son frère à la cour en le faisant nommer membre de la Garde Royale qui auront raison de la charge de Main du Roi de Tywin, Aerys prenant foutrement plaisir à priver lord Tywin de son héritier.Parallèlement à ça, un événement d'une importance cruciale a lieu dans la vie personnelle de Tywin. Sa femme Joanna, qu'il aimait du plus profond de son cœur, meurt en mettant au monde une sorte de monstre. Punition des dieux pour un homme qui s'est élevé plus haut que sa condition dit le peuple. Tywin rumine. Tyrion s'avérera un fils plus que décevant. De condition physique plus que médiocre, son goût pour les futilités, son absence de sens martial, sa nonchalance et son goût pour les prostituées... Tout en Tyrion rappelle à Tywin son père, avec pour circonstance aggravante le fait d'être un nain difforme. Tywin voue une admiration sans borne à son aîné, Jaime, qui transparait largement dans les premiers tomes, et dans la décision tardive des Lannister à rallier la rébellion de Robert. Jaime incarne tout ce que le successeur de Tywin doit être. Imposant, de port royal, courageux, stratège et meneur d'homme accompli, tout ce qu'il faut pour prendre dignement la succession de la lignée Lannister et faire définitivement oublier l'ère des lions édentés. Tyrion en est tout l'opposé, et même si Tyrion a des compétences bien plus étendues que Jaime quant à la gestion d'un royaume, ou d'une guerre, Tywin ne le reconnaitra jamais, même quand sa propre sœur, lady Genna, lui fera remarquer que Tyrion lui ressemble au final bien plus que Jaime au niveau caractère.L'entrée de Jaime dans le Garde Royale l'empêche d'hériter, et c'est donc Tyrion qui se retrouve héritier du Roc. Cela, Tywin ne peut le supporter, il démissionne et se retire. Il mettra cet aspect de côté, la rébellion de Robert et sa montée sur le trône lui permettant de participer d'une autre façon au renforcement de la maison Lannister, en mariant Cersei à Robert, et en foutant son petit-fils sur le trône, prenant ainsi sa revanche sur Aerys.Tywin est un homme à poigne par nécessité comme par nature, mais il n'est pas que ça. Il a ses démons, sa psychologie, ses ambivalences. Il aurait pu faire tuer Tyrion et régler le problème. Il aurait pu se remarier et engendrer un autre héritier légitime en envoyant Tyrion au Mur comme le fait Randyll Tarly de son Samwell. Au final Tywin se résout tant bien que mal à "éduquer" son nabot de fils, certes à sa façon dure et sans pitié (cf les épisodes avec Tysha et autres joyeusetés), partagé entre le dégoût de ce fils qui lui rappelle tant son inconséquent de père et la réalité qui fait de Tyrion son héritier et la seule façon pour lui de perpétuer non seulement sa lignée, mais surtout celle de sa défunte et tendrement aimée épouse.Au final Tywin est victime de sa trop grande compétence. Déçu par ses trois enfants (Cersei qui se montre incapable de faire de Joffrey un roi décent et lui refuse les remariages proposés, Jaime qui préfère sa charge de lord Commandant de la Garde Royale, et Tyrion... Tyrion quoi), il est l'incarnation même de la puissance des Lannister qui n'était rien avant lui, et n'est plus rien après lui comme cela transparait clairement dans Feast avec le déclin croissant orchestré par Cersei.Loin du dirigeant compétent, capable et sans-cœur qu'il peut paraître à la première lecture, Tywin est un personnage tout en nuances, nuances aussi subtiles à déceler que déceler la joie en lui vu qu'il ne sourit jamais.Ce n'est pas un PoV, moins facile donc de s'y attacher où de comprendre le personnage en entier au premier abord, mais le reléguer à un archétype de personnage sans nuance est une gageure assez grotesque, Tywin étant le centre de plusieurs grandes thématiques littéraires présentes au sein de l'œuvre telles que rapport de l'homme au pouvoir, les relations père-fils ou la perpétuation de l'héritage familial. Il est haut en couleur, jamais caricatural, rarement prévisible, très bien écrit... j'ai franchement du mal à voir comment on peut ne voir en lui que l'archétype d'un homme de poigne sans chercher plus loin dans sa psyché et ses motivations. Pour Tywin la fin justifie les moyens en effet, ça je pense que n'importe qui peut le dire, en particulier ceux qui sont morts pendant les Noces Pourpres (et encore, comme il le dit lui même, en quoi est-ce moins noble de tuer 30 clampins à table que 10,000 sur le champ de bataille ?), mais l'important quand on veut analyser un peu plus que superficiellement, c'est de s'intéresser à quelle est sa "fin" justement, quel est son but et pourquoi. Et là on se rend compte qu'avec un auteur aussi perfectionniste que Martin (pas pour rien qu'on l'attend notre DWD), rien n'est jamais si simpliste qu'il ne peut y paraître à première vue quand on aborde une chose aussi subtile noyée dans une masse aussi énorme d'informations qu'est la saga.
Merci d'avoir pris la peine de lire jusqu'au bout.