7
par justi
Istar
Comme toute œuvre d'art, la fantasy est avant tout métaphore. Je ne pense pas, contrairement à ce que signale Piou-oi-oi un peu plus haut, que la fantasy soit un vecteur de nostalgie, malgré son cadre "moyenâgeux" et adhère donc plutôt à la théorie selon laquelle la fantasy - comme toute littérature ou tout art, je me répète - est une représentation de la modernité, du contexte de son époque.Evidemment, décrire les finalités, la philosophie et l'emprise de la modernité sur la fantasy en un post est impossible, on pourrait y consacrer des livres sans faire le tour de la question. Mais j'ai envie de lancer quelques pistes de réflexion ici.1. La fantasy est une littérature d'apprentissageLa plupart des héros de fantasy commencent leur aventure jeunes, découvrent la vie et le monde dans lequel ils évoluent. Outre qu'il s'agit d'un moyen commode mais efficace d'également initier le lecteur aux arcanes d'un monde imaginaire dont il ne connaît rien, il permet également de décrire un sentiment (un phénomène ?) applicable à toutes les époques, y compris la nôtre : la rupture entre l'idée du monde et la réalité du monde. Le héros est donc jeune et idéaliste, doté d'idées pures, parfois naïves, et fait face à un monde qui comporte pièges, horreurs et est envahi par le Mal. Il lui faut affronter ce monde inconcevable et en faire l'apprentissage. C'est là en partie une remise au jour du roman d'apprentissage (Bildungsroman, si vous voulez briller en soirée), un genre extrêmement populaire au 19ème siècle (un nombre incroyable de nos classiques scolaires en font partie : Le Rouge et le Noir, L'éducation sentimentale, Bel-Ami,...).La fantasy est donc : - une littérature de rupture (le monde et l'idée que nous nous en faisons sont deux choses distinctes)- une littérature d'initiation (le héros apprend, par expériences et aventures, des vérités sur le monde)2. La fantasy est une littérature de valeursDans le roman d'apprentissage comme dans la fantasy, après la série d'évènements qui amènent le héros à se rendre compte de l'"horreur du monde", celui-ci tente d'y répondre par divers moyens.Tout d'abord, les rencontres. Là où le roman d'apprentissage classique fait des rencontres un point de départ à la transformation intérieure, la fantasy en fait le point de départ d'une transformation du monde extérieur. La rencontre devient ici amitié et force : les héros sont secondés dans leur quête par des personnes auxquelles ils vouent une confiance absolue, des personnes qui renforcent leurs convictions et leurs volontés, des aidants. Ces personnages forment une unité, un groupe, tendant vers le même point et nous rappellent que cette perception de la dichotomie définie ci-dessus est une expérience commune et que l'acceptation du monde réel n'est pas obligatoire (contrairement à la leçon donnée par le roman d'apprentissage classique). Après sa propre volonté, la première force du héros en quête est avant tout les autres, ceux qui adhèrent à sa volonté de changement. Même les personnages les plus individualistes de la fantasy (je pense ici à Conan, par exemple), ne sont jamais réellement seuls. La solitude extrême d'un Conan, peut-être le personnage le plus essentiellement insatisfait et, partant, le plus essentiellement solitaire de la fantasy, est compensée par ses rencontres, pas toujours heureuses ou qui finissent mal, mais qui le modèlent, qui l'aident à refuser le monde tel qu'il est. Même si ses motivations sont au départ matérielles et égoïstes (trouver la richesse, le pouvoir, les femmes,...), Conan finit par se rendre compte que ce que ce monde a à lui offrir est autre. Ce qui m'amène à un second point. La fantasy véhicule un ensemble de valeurs, que j'ai envie d'appeler un "code d'honneur". L'amitié, le groupe (et ce malgré l'individualisation extrême des héros de fantasy) en est une. Ce "code" en est une autre, plus vaste. Tout d'abord, en fantasy, le renoncement est indésirable et impossible, les enjeux sont trop grands, le but à atteindre trop important. De même, certaines actions sont impensables. Le Mal est exclu. Si certaines actions, certaines morts sont inévitables, seuls les "coupables" y ont droit. Toute action négative envers les innocents est impensable. Les infractions au "code" sont le plus souvent punies.La fantasy nous apprend donc qu'il y a des valeurs personnelles qui priment sur tout, des états de faits et de choses que l'on ne peut accepter.Elle nous apprend aussi que nous ne sommes pas seuls face à l'adversité.3. La fantasy est une littérature de résistanceUne fois cette dichotomie idée du monde/monde réel établie, une fois la connaissance acquise, il s'offre deux choix au héros : accepter le monde tel qu'il est et se réconcilier avec celui-ci ou refuser le monde tel qu'il est et tenter de le changer, ne serait-ce qu'en partie.La littérature d'apprentissage classique nous offre généralement la première solution : après un long cheminement, le héros accepte le monde tel qu'il est et se construit un état d'âme intérieur harmonieux, équilibré, adulte... Il devient partie prenante de ce monde et y évolue sans rechercher de changement autre qu'intérieur.Le héros de fantasy, au contraire, n'accepte pas le monde tel qu'il est. Il cherche activement à le changer. Il se lance dans des quêtes afin de rétablir les valeurs auxquelles il croit, il cherche à effacer les torts commis, que cela soit à sa propre encontre ou à l'échelle du monde entier. La littérature de fantasy nous apprend que l'on peut changer le monde, que l'on est pas obligé de s'y conformer, que nous avons du pouvoir sur ce qui nous est extérieur. La fatalité, malgré la présence de pouvoirs supérieurs et censément intouchables (dieux, magiciens surpuissants, armées monstrueuses, mondes mourants...), n'est en fait que rarement présente dans la littérature de fantasy. La leçon que nous donne la fantasy est qu'on peut modeler son propre destin malgré les pressions extérieures, malgré le monde.En ce, la fantasy est un art rebelle, un art parfaitement adapté à notre époque (pour vous donner une idée, remplacez les dieux par les multinationales, les magiciens maléfiques par les dictateurs, mondes mourants par... euh pas besoin de le remplacer, nous vivons dans un monde mourant...). Une métaphore de notre vie et de notre situation. Mais, même la situation la plus désespérée peut être modifiée, peut être changée. Par le pouvoir de la volonté, certes, mais aussi par celui de l'amitié (Tolkien en est l'exemple le plus évident), par celui des valeurs, par celui de l'indignation qui amène à la résistance au monde.La fantasy, bien loin d'être une littérature archaïsante et nostalgique, est donc une littérature de la révolte. Un thème plus qu'en prise avec notre époque.