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par Tybalt
Elbakinien d'Or
Une déception pour moi après la belle découverte qu'avait été Port d'âmes.
Le point fort du texte est sans aucun doute son univers, rempli de bonnes idées : le XVIIe siècle alternatif fondé sur les combats d'énigmes, les règles liées aux questions qui s'imbriquent dans les lois physiques de l'univers, les inventions verbales sur les noms propres des lieux et des personnages. S'il n'y avait que ça, ce serait grandiose.
Le problème, c'est tout le reste.
L'intrigue, naturellement pas très développée pour un texte de cette brièveté, reste tout de même plus que classique. Pire : elle tourne peu à peu à la lovecrafterie. Et je dois dire qu'en dépit de mon affection pour les nouvelles de Lovecraft, il est si pillé depuis quelques années (aux Etats-Unis et désormais en France) que son univers est en voie de cliché-isation rapide et que ça commence à me sortir par les yeux de voir autant d'auteurs puiser allègrement chez lui plutôt que de faire l'effort d'inventer leurs propres références. C'est de la facilité.
Le style est le pire aspect du texte. Il essaie... à vrai dire, je ne sais pas ce qu'il essaie. Je crois qu'il veut faire ancien et ampoulé, un peu façon Jack Vance ou comme le jeu de rôle vancien Dying Earth. Mais quand on veut donner dans ce type d'exercice de style, il faut en avoir les moyens et, hélas, Davoust ne les a pas. Les phrases font des noeuds inutiles, les impropriétés menacent, il y a même des concordances de temps ou de mode qui grincent. On est très loin du soin apporté à la finition de l'écriture dans Port d'âmes.
La moitié du volume est occupée par un entretien avec l'auteur. Celui-ci explique qu'il n'a pas aimé Les Trois Mousquetaires, qu'il n'a jamais réussi à finir, et qu'il a voulu parodie les défauts du style de Dumas dans cette nouvelle. Là encore, quand on prétend parodier un auteur, il faut bien connaître son style et ses tics... ce qui n'est pas du tout le cas ici. Il y a deux ou trois généralités patriotiques ou sexistes censées faire anachroniques, mais ça ne rappelle pas spécialement Dumas. J'entrevois vaguement des tentatives dans la syntaxe de certaines phrases, mais rien qui casse trois pattes à un canard. Et accessoirement, une parodie est censée 1) rappeler l'auteur parodié 2) faire rire. Aucun des deux n'a fonctionné pour moi.
Je garde un sentiment tenace d'inachèvement, comme si l'éditeur avait voulu capitaliser sur le nom de l'auteur en publiant trop vite un fond de tiroir ou bien un texte pas assez travaillé ou pas suffisamment mûr. En effet, le texte semble se chercher encore : aventure de fantasy pulp et comique dans un univers alternatif lisible au premier degré ? Parodie de Dumas lisible au deuxième degré ? L'un et l'autre ne sont pas compatibles et l'auteur semble avoir hésité puis voulu tout faire à la fois : finalement, il n'arrive à faire aucun des deux. Le texte aurait gagné à trancher. En ce qui me concerne, puisque Davoust dit ne pas aimer Dumas et l'avoir très peu lu, c'était fichtrement casse-gueule de prétendre parodier son style et ça ne sert pas à grand-chose de nos jours où les gens n'ont plus les tics de style de Dumas en tête. Il aurait beaucoup mieux valu approfondir l'autre direction : celle d'un univers de fantasy basé sur un XVIIe siècle alternatif un peu vancien façon Cugel à la cour de Louis XIV, en virant les lovecrafteries paresseuses pour les remplacer par quelque chose de plus créatif, et en retravaillant le style qui est plus embarrassant qu'autre chose en l'état.