

Petite rectification : la suspension consentie d'incrédulité n'est pas un concept inventé par Tolkien, mais, selon toute vraisemblance, par Samuel T. Coleridge, au début du XIXème siècle. Si Tolkien en parle effectivement dans Du conte de fées, c'est pour disqualifier ce phénomène qui représente, pour lui, un échec partiel de l'œuvre à enchanter son public.Il note en effet, à propos de la capacité des enfants d'entrer dans le monde du conte :Foradan a écrit :Comment !! Quoi !! Que lis-je ??Petite sorcière, il va falloir qu'on cause...Cette expression "suspension temporaire de l'incrédulité" prend sa source dans l'essai "du conte de fées" (on fairy-stories) de JRR Tolkien, que l'on trouve en général regroupé avec "Leaf, by Niggle, Smith of Wooton major et Farmer Giles of Ham", avec d'ailleurs une version re et mieux traduite récente (mais je donne les titres d'origine parce que je sais que ça ne te fait pas peurEt d'ailleurs, une ancienne critique de Faërie, sachant qu'une version récente dudit essai se trouve dans Les monstres et critiques et autres essais dont j'ai fait la critique enjouée il y a quelques mois.Rendons à César ce qui appartient à Tolkien !!Witch a écrit :J'ai adoré apprendre qu'en lisant de la Fantasy, je pratiquais sans le savoir non pas la prose mais la "suspension d'incrédulité" (selon le directeur Fantasy de chez Calmann Lévy)
Du Conte de fées, in Faërie et autres textes, Christian Bourgois éditeur (1996 et 2003), p.95-96Soit dit en passant, je suis pour ma part assez réservé sur la résurgence de plus en plus forte de la fantasy dans les collections jeunesse. En France, elle s'opère pour des raisons économiques : la littérature jeunesse se vend mieux que la littérature adulte, et publier en jeunesse est souvent plus rentable pour l'auteur. J'ai croisé un certain nombre d'auteurs français, d'ailleurs, qui affirment qu'ils n'écrivent pas spécialement pour la jeunesse quand ils publient en littérature jeunesse. C'est très bien pour le jeune public, me direz-vous, ce en quoi je suis parfaitement d'accord.Non, ce qui me gêne, c'est qu'on est en train d'assister à un renfermement possible de la fantasy dans un ghetto juvénile, à cause des préjugés que peut faire (re)naître cet étiquetage en littérature jeunesse.( Allez lire, par exemple, la condescendance de certain public SF pour la fantasy sur des forums de Science Fiction…) Puisqu'on parle de Tolkien, c'est précisément ce qu'il déplorait dès les années 1930, toujours dans Du Conte de fées :Tolkien a écrit :On a appelé cet état d'esprit "suspension consentie de l'incrédulité". Mais cela ne me paraît pas une bonne description de ce qui se passe. Ce qui arrive vraiment, c'est que le conteur se montre un "sous-créateur" qui réussit. Il fabrique un Monde Secondaire dans lequel l'esprit peut entrer. A l'intérieur, ce qu'il relate est "vrai" : cela s'accorde avec les lois de ce monde. Dès qu'intervient l'incrédulité, le charme est rompu ; la magie, ou plutôt l'art, a échoué. On est alors ressorti dans le Monde Primaire, et l'on regarde du dehors le petit Monde Secondaire avorté. Si la bienveillance ou les circonstances vous obligent à rester, l'incrédulité doit être suspendue (ou retenue), sans quoi il deviendrait intolérable d'écouter ou de regarder. Mais cette suspension de l'incrédulité n'est qu'un substitut de la chose authentique, un subterfuge quand on condescend à jouer ou à faire semblant, ou quand on essaie (plus ou moins volontiers) de trouver quelque qualité dans l'œuvre d'un art qui, pour nous, a échoué.
Du Conte de fées, in Faërie et autres textes, Christian Bourgois éditeur (1996 et 2003), p.92 & sq.Tolkien a écrit :L'association des enfants aux contes de fées est, à vrai dire, un accident de notre histoire domestique. Dans le monde lettré moderne, les contes de fées ont été relégués à la chambre des enfants comme on relègue à la salle de jeux les meubles médiocres ou démodés, principalement du fait que les adultes n'en veulent pas et qu'il leur est égal qu'ils soient maltraités. Ce n'est pas le choix des enfants qui en décide. […] Les contes de fées, bannis ainsi et coupés d'un art adulte complet, seraient en fin de compte gâchés ; ils l'ont été, en fait, dans la mesure où ils ont été ainsi bannis.
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