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Bon, me voilà, plongé tardivement (que ce soit par rapport à l'heure ou par rapport à tout le temps que j'avais pour le faire ce week-end...) dans mes révisions pour l'oral blanc du BAC de français que je passe DEMAIN OH MON DIEU JE VAIS MOURIR.Alors je commence à me faire des petites fiches, à analyser, j'ai pas trop de problèmes avec La Fontaine, je m'en sors remarquablement bien avec Orwell, j'enchaîne très vite sur Zadig et je freine à temps sur Le Pouvoir des Fables (je ne sais même plus l'auteur).Non content d'en avoir terminé avec messieurs les apologues et les fabulistes (ESOPE! PUTAIN J'AI OUBLIE ESOPE §§§) j'enchaîne sur Alcools: entre tradition et modernité et je me lance tête baissée vers Apollinaire. Et là: C'EST LE DRAME.Pas le fait que pour la première fois de ma vie j'ai réussi à écrire Apollinaire correctement, mais celui, indéniable, qui me chuchote: tu t'es PLANTE, minable.Déjà je ne pige RRRRRIIIIEEEN c'est assez affolant (si je ne reviens pas c'est que je me serais suicidé apprenant le résultat du bac blanc) mais étrangement, en me fondant vraiment dans le poème, en me cassant le cul à parcourir chaque vers de ce foutu poème (que dis-je, ce putain de recueil), ben j'adore ça. J'adore analyser, j'adore me plonger dedans, pourtant c'est tellement dur!Je ne comprends pas plus le propos (thèmes résolument romantiques, donc "classiques"? Forme entre les conventions alexandrines et la modernité elégique? SOS!) mais je me sens porté par les mots de l'Apo, même s'il n'a pas encore réussi à m'arracher de bons sentiments.J'ai juste compris quelque chose, et vient le propos du message après son hypertrophiée introduction: y a-t-il une façon particulière de lire?Je suis un "fantasyste" dans l'âme. Mon premier roman c'était L'Île du Crâne d'Anthony Horowitz, dont je garde le souvenir émerveillé propre à la première lecture des enfants, celle qui les abîme vers la bibliothèque une décennie après.Depuis, je suis passé du Eragon (dont mon opinion s'est changée en prudente aversion, après quelque relecture) aux Hal Duncan, Christopher Priest, Pierre Bordage, Glen Cook, en passant par Bartiméus, Elric, Terremer.Ce sont presque tous des romans qui se lisent "d'une traite", on parcourt les lignes rapidement et une seule fois, on assimile descriptions, dialogues, actions, réactions, ellipses qui savent changer sous le doigt des auteurs talentueux. Et quand j'ouvre un Balzac s'ouvre le néant. Apollinaire, pareil. Je ne ressens rien.Dans Les Magiciens, il y a cette fin où le héros atteint plus ou moins un objectif viscéral, ancré dans son être, ce besoin de trouver un monde à sa hauteur, ce besoin de savoir qu'on a le pouvoir de vivre par toutes les fibres de son corps, mais alors que ce rêve se réalise, son essence pourrie par les ans et les fruits du désespoir, une terrible machination, et l'aboutissement des péripéties décousues montrent à notre héros quel est le prix à payer pour vivre ce genre de rêve. Et il en ressort grandi.Et j'adhère à donf', c'est peut-être pas super bien écrit (quoique, Brèque à bien travaillé en tout cas, merci mec!) mais ça fait vraiment de l'écho, et je me demande pourquoi je suis pas autant réceptif aux messages "anciens" de nos pères Zola, Hugo, Stendhal, Flaubert (quelle horreur, Flaubert, quand même), qui sont tout aussi intéressants.Chaque bouquin, amas de papier ceinturé de cartonné, a sa forme propre dans l'énergie littéraire qu'il dégage, et pourtant on ne peut s'empêcher de dire, quand on a seize ans, qu'on aime Daniel Pennac et que le lycée nous impose un terrifiant Bel-Ami (et pourtant, Maupassant est vraiment l'auteur le plus conciliant avec notre génération), on ne peut s'empêcher de dire donc (je vais y arriver) que c'est pas écrit pareil, koi, lolEt c'est vrai, chaque amas de papier à son énergie propre, pourtant il y a des chakras qui s'ouvrent à chaque ère, alors oui ma métaphore est tout ce qu'il y a de plus détestable, mais franchement c'est pas vrai ce que je dis? Un Maupassant, un Balzac, un Hugo, c'est écrit différemment qu'un Houellebecq, un Beigbeder ou un Pennac (c'est un peu mon chouchou, Pennac, surtout quand je le compare n'importe comment). Et je parle pas de plus anciens! Même si au-delà le roman est en sévère disgrâce.L'époque a sa langue propre et l'on peut regrouper tous les livres d'une période pour voir qu'ils s'en nourrissent. Pourquoi j'adhère pas à Balzac? Ce soir, piqué de curiosité, je relis trois pages et je trouve qu'il écrit quand même vachement bien ce con. Et Céline? Voyage au Bout de la Nuit, c'est une narration assez particulière, et j'ai du mal à y entrer.Vous voyez? Allez au théâtre, on vous montre un Molière et si c'est bien foutu on apprécie vraiment l'expérience, mais collez-moi devant un Ionesco ou un Beckett et je commence à piquer du nez ou à m'enfoncer dans ma gargantuesque incompréhension. "Il faut se laisser porter", dit M. Mairie (nom modifié), le prof de théâtre qui me dit que j'ai l'esprit trop rationnel.Le problème est-il là? Est-ce ma "culture geek" (dans le sens où ma seule expérience de la littérature, car c'en est, vient de l'Imaginaire que nous chérissons) qui m'imprègne trop? Est-que le fait d'avoir été "élevé à la Fantasy" m'aurait rendu, comme dans un cours d'allemand, face à un abîme trop dur à franchir?Je l'ai dit, tous les livres ont leur identité propre. Enfin, tous les BONS livres, entendez par là que Lévy n'a pas d'identité du tout (désolé, c'est gratuit). Mais la Fantasy, c'est la Fantasy, et quand on lit la Fantasy depuis tout gosse on connaît toute la Fantasy comme je connais toute ma Rochelle, mais si je lis un Polar, ben je me rends à Aurillac et je suis paumé. Alors comme j'ai un grand sens de l'orientation (et un esprit ouvert), je retrouve facilement le chemin du conseil général pour choper un plan des rues (là par contre je sais pas quoi coller à cette suite de métaphore douteuse).Mais faut pas abuser non plus, autant à Aurillac/Polar je me débrouille comme je peux en lisant les auteurs clés (Créance de Sang...) autant au Japon/postmodernisme là je suis en terre inconnue et je me noie!Vient la question: est-ce que mes seules lectures plus ou moins cloisonnées m'ont enlisé dans un schéma de lecture précis? Faut-il, pour apprécier Apo, pour apprécier Balzou ou, plus téméraire encore! pour apprécier Flaubinou, changer sa façon de lire?(Entendez par là Apollinaire, Balzac et Flaubert.)Je me" laisse porter" par un roman de Fantasy (sauf Anne Robillard) mais dois-je me "laisser porter" différemment par un genre nouveau pour moi? Dois-je lire La Peau de Chagrin avec un œil différent?Donc: y a-t-il différentes façon d'apprécier un livre, que ce soit d'engloutir les pages une à une comme chez Le Guin et Gentle ou de les savourer, s'y attarder, les expédier?Voilà. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, tout ça pour cette question misérable, mais j'espère avoir lancé le débat. Éclairez-moi! Et Apollinaire le Parrain saura se montrer reconnaissant!