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Je n'ai pas encore décidé quelle version j'allais acheter. Chacun ses motivations. La mienne est simplement de parcourir la version du Bilbo de Tolkien qui fournit l'ossature de la trilogie filmée, celle sur laquelle l'équipe de réalisation a planché, donc celle par rapport à laquelle le travail du film pourra être apprécié. Dans l'absolu, cette version canonique est bien évidemment la version anglaise, avant toute version traduite. Comme il est toujours utile de fréquenter la langue anglaise par les temps qui courent, c'est peut-être le choix que je ferai, même s'il est un peu plus difficile.Il faut évidemment s'attendre à des divergences entre le Bilbo de PJ et le 'canonique' de Tolkien, pour des raisons adaptatives analogues à celles qui ont fait diverger par endroits le SdA de PJ et celui de Tolkien. Pour ce qui concerne les traductions du livre, il faudra s'attendre à une surimpression des divergences induites par l'exercice de traduction, en sus des divergences liées à l'adaptation filmée.Rien ne permet d'établir au jour d'aujourd'hui quelle version française apportera les éclairages les plus consistants à la trilogie filmée.A vue de nez :- La version originale anglaise tient la pole-position, mais seulement pour les anglophones- La traduction française la plus ancienne, appelons-là 'naïve', part avec le plus grand handicap.- La version annotée la plus récente, appelons-là 'érudite', peut avoir pour elle des atouts originauxMais cette version-là souffre d'un possible handicap : elle cherchera à puiser dans les annexes de Tolkien sans visibilité sur les choix adaptatifs de la trilogie filmée. Donc de deux choses l'une : - Soit PJ entend être très fidèle à Tolkien, en puisant rigoureusement dans les annexes au-delà de Bilbo. Auquel cas, il peut y avoir des recoupements éclairants entre la version 'érudite' et la trilogie filmée.- Soit PJ exploite sa latitude adaptative pour développer dans le rythme de la narration des personnages et des situations que Tolkien n'avait explicitement développé nulle part. Auquel cas, il ne faut pas s'attendre à ce que les annexes explorées par la version 'érudite' apportent un 'plus' : L'exemple-type de cette seconde situation est le rôle de playboy épris de Galadriel attribué à Kili. Comme cet insert ne figure évidemment dans aucune des versions originales ou traduites, il est probable que les bataillons de puristes, les érudits aussi bien que les naïfs, y trouveront matière à tempêter. Mais cela n'empêche pas des spectateurs non ligotés au Dogme de se questionner sur l'intérêt cinématographique intrinsèque de l'insert.Dans le cas de King Kong, la scène la plus belle - pour moi - est survenue quand une voix lisait un passage d'Au Coeur des Ténèbres - qui n'avait rigoureusement rien à voir avec la trame de Cooper et Schoedsack - tandis que tous les personnages franchissaient une passerelle étroite menant au village de l'Ile du Crane. La musique était sublime, alors qu'elle avait été composée en catastrophe quelques semaines avant le bouclage du film. Bref, la création cinématographique, ce n'est pas rien et je ne vois pas pourquoi elle devrait être indéfectiblement subordonnée à la création littéraire, et encore moins pourquoi je devrais subordonner mes propres émotions de cinéphile à un ricanement d'érudits, ou pire, de rémoras accrochés comme des pastilles de pub au prestige jacksonien.Je veux bien partir sans a-priori, mais pour moi les choses sont on ne peut plus simples : si l'auteur d'une traduction est d'humeur à traiter par un sarcasme lapidaire l'intérêt, mais aussi les traces d'inquiétude, manifestées par tel ou tel lecteur possiblement intéressé par son Beaujolais Nouveau, je n'aurai pas beaucoup à me tâter, car comment ne pas m'attendre à retrouver d'autres échantillons de son respect des lecteurs dans toute sa traduction ?PJ, lui, fait preuve d'une ouverture bien plus prononcée vers l'univers de ses publics, et je ne l'ai pour l'instant jamais vu céder au désir d'en expédier un pour le compte. Au contraire, il n'hésite pas à les sonder des siècles en amont pour flairer les erreurs à ne pas commettre, les reproches à ne pas endurer. Il ne débarque pas, lui, deux jours avant le bouclage, en criant "Evénement !" et en tapant à bras raccourcis sur les points de suspension.