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par Littlefinger
Elbakinien d'Or
Mon petit coup de coeur de fin d'année, une vraie surprise mais quand même difficile d'accès, Les Hauts de Hurlevent d'Andrea Arnold :Angleterre – XIXème siècle. Heathcliff, un enfant vagabond, est recueilli par M. Earnshaw qui vit seul avec ses deux enfants, Hindley et Cathy, dans une ferme isolée. Heathcliff est bientôt confronté aux violences de Hindley, jaloux de l’attention de son père pour cet étranger. Le jeune garçon devient le protégé de Cathy. A la mort de M. Earnshaw, Cathy est courtisée par le fils de riches voisins, laissant peu à peu Heathcliff à la merci de Hindley. A l’annonce du prochain mariage de Cathy, Heathcliff s’enfuit. L’attachement fraternel qu’il vouait à Cathy se transforme alors en un amour obsessionnel.Andrea Arnold avait fait forte impression avec son très bon Fish Tank.Pourtant, l'imaginer en tant que réalisatrice d'un classique de la littérature anglo-saxonne, voilà bien quelque chose qu'on voyait mal. Plus habituée à l'espace urbain et contemporain qu'à la lande et au XIXème siècle, on attendait presque rien de cette énième adaptation. C'était sans compter avec le talent de la réalisatrice, et quel talent !Pour cette relecture du roman d'Emilie Brontë, Arnold a choisi de nous raconter la version la plus noire qui soit. Plongé dans une obscurité presque continue - les séquences nocturnes de toute beauté, la demeure des Earnshaw... - et battue par la tempête - le climat violent et orageux de la lande anglaise -, le long-métrage affiche clairement cette volonté de réalisme cru et noir. Mais rien ici n'est fait pour l’esbroufe, tout y dégage une ambiance ténébreuse et mystérieuse, plus que tout propice à l'épopée amoureuse entre Heathcliff et Cathy. Surtout, Arnold fait la preuve durant deux heures d'une maîtrise absolue de sa caméra, de ses plans et de sa mise en scène, simplement extraordinaire. Tout est minutieusement calculé, les plans sont magnifiques et recherchés, le film s'avère un plaisir pour les yeux, une sorte de clair-obscur marquant qui happe de la première à la dernière minute. Non contente de plonger le spectateur dans une fresque d'une beauté sauvage et cruelle, Arnold joue à fond la carte du non-dit, le film contient très peu de dialogues, toujours laconique et juste, et fait tout passer par la vision et l'ouïe, par l'alchimie muette entre les acteurs. Une sorte d'Anti-Twilight total et absolu.Ajoutons à cela des scènes d'une beauté rare, fulgurances d'un instant qui marquent durablement - les deux jeunes, Cathy et Heathcliff, observant la lande battu par les vents, Heathcliff se fondant dans le noir à son départ, Heathcliff épiant la confession de Cathy ou la scène du baptême...L'histoire, elle, fait figure d'archétype romantique, prise et reprise par toutes les époques. Sous la houlette d'Arnold, on assiste à une tragédie amoureuse lancinante, où les mots blessent, les absences tuent et les regards émeuvent. Bien qu'un peu longue, nous sommes devant une passionnante et impossible histoire d'amour, déchirante au possible, cruelle par moments mais d'une beauté intemporelle. Le "couple" formé par Cathy et Heathcliff, de leur enfance dans la ferme jusqu'au tombeau, est un flamboyant tableau romantique, avec ses moments forts et ses tragédies, toujours traité avec une sobriété extrême par Arnold et sans cesse magnifier par sa caméra.Si l'alchimie prend si bien c'est notamment grâce à ce duo d'acteurs qui portent près des trois quarts du films, à savoir Cathy jeune interprétée par l'excellentissime Shannon Beer et Heathcliff jeune joué par le très bon Solomon Glave. Les personnages adultes s'avèrent un poil moins convaincants, notamment James Howson alors que Kaya Scodelario resplendit à chaque apparition. La relation entre les deux enfants restent le point fondateur du film, et Arnold l'a bien compris, elle y met une importance cruciale qui conditionne tout le reste, l'apparition muette de flash-backs "subliminaux" dans la partie des adultes achève de convaincre du talent pour la narration visuelle de la réalisatrice. Elle conclut son film avec un plan simple, aux allures Malickienne - comme son film d'ailleurs -, d'une classe et d'une sobriété qui force le respect. Les Hauts de Hurlevent version Andrea Arnold, c'est un peu le côté obscur jamais montré de l'histoire archi-connue. Petite pépite de réalisation et de narration, le film divisera ceux qui veulent et s'attendant à de l’esbroufe façon Hollywood ou du classicisme façon BBC, les autres verront un petit chef d'oeuvre en puissance. Choisissez votre camp.