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Pourquoi des chefs d'oeuvres 'perdus' ? Il suffirait qu'un livre référent soit écrit pour que ses adaptations soient exclues du champ où fleurissent les chefs d'oeuvre ? Si c'est ça le principe, la faux balayerait au bas mot les 9/10èmes du cinéma mondial...Il existe des tas de chefs d'oeuvre du cinéma ayant dû tronçonner le matériau originel pour accéder au gabarit d'oeuvre filmée. C'était même la loi du genre du cinéma du 20è siècle, car adapter un livre in extenso, comme on en a une idée proche avec cette trilogie de 9 heures pour un livre de 300 pages, ça pousse en général à déborder du cadre horaire d'une séance de cinéma si le matériau est dense. Et puis une oeuvre a souvent besoin d'une certaine ampleur et singulariser ses prouesses aux yeux du métier, pour accéder au rang de chef-d'oeuvre. Trop limitée, elle serait juste une perle, un joyau plus qu'une vaste symphonie. Donc pour prétendre accorder à une oeuvre quelle qu'elle soit un rang de chef d'oeuvre, un substrat consistant est souvent de rigueur. Si la trilogie filmée du SdA s'est vu accorder le statut de chef d'oeuvre par l'immense majorité des acteurs du métier, elle le doit pour partie à la qualité de chef-d'oeuvre du livre qu'elle a adapté, qui a participé à son architecture et à la description de ses ornements visuels. Ce n'est pas pour autant que le livre détenait les clés techniques (son, image, musique, rythme etc.) qui restent le propre de l'art cinématographique.Il est vrai que le cinéma a toujours été contraint de mutiler une partie de ses substrats pour accéder à l'existence. Mais l'existence de 'mutilations' fait partie de l'essence de tout art : la Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgsky n'est ni une nuit ni un mont chauve, mais un morceau de musique, et ce n'est pas parce qu'il n'est pas un épisode étoilé dans un cadre montagnard que ce morceau n'est pas un chef d'oeuvre. Idem pour le Fantasia de Disney qui s'en est inspiré.Ce serait limite névrotique de ne jamais être capable de détacher l'appréciation d'une oeuvre de son substrat thématique pour apprécier ses caractéristiques propres d'oeuvre sculptée, peinte ou filmée.Le métier fait partie de l'art. C'en est même à mon avis la composante majeure. Un peintre sans oeuvres peintes, il est mal. Il arrive même que le substrat soit totalement évacué si l'on en juge par l'art abstrait, où l'art revendique d'être autorisé à s'en dispenser pour échapper à l'accusation de plagier la réalité.Ce qui n'est d'ailleurs pas le cas du SdA ni du Hobbit. P Jackson n'y répudie le livre, son projet d'artiste est même exactement le contraire d'un projet abstrait : il cherche par tous les moyens à s'approcher au plus près de la fidélité et de la cohérence, y compris en arbitrant sur des incohérences survenues au fil des décennies de création de Tolkien, comme le fait que les animaux ont le bavardage plutôt anthropomorphe à l'époque de Bilbo, alors qu'ils ne parlent que leur propre langue dans le SdA.Le défaut, si j'avais à en voir un, serait de donner trop d'ampleur aux décors, costumes etc. Tolkien vivait en Grande Bretagne et j'ai visité certains des paysages dont il s'est visiblement inspiré, notamment la région qui a inspiré le Mordor. On peut douter que le Gobelinville imaginé par Tolkien était aussi vaste que celui de Jackson. Idem pour Erebor. Mais dès lors qu'il est question d'un 'grand peuple' Nain dont le séjour se situerait dans une seule grotte, ce n'est pas absurde de filmer une bougrement grande grotte. Non seulement ce n'est pas désagréable à regarder, mais ça a un côté clin d'oeil.De même, côté trésor de piécettes, on n'est pas franchement dans le réalisme, mais plutôt dans le clin d'oeil à Onc'Picsou et à Disney, qui peuvent aller se rhabiller
ça pourrait même faire partie des arguments souterrains (c'est le cas de le dire..) qui ont valu le feu vert de la Warner aux facéties mégalo-farceuses de P Jackson, si ça peut répondre aux angoisses nocturnes de Druss.

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Restons sur Boorman veux tu, c'est son sujet, PJ en a bien d'autres.Mon message est le suivant : les projets artistiques avec des idées aussi...originales, ça peut faire un film intéressant en lui-même, sans se revendiquer la filiation d'un livre dont il emprunte le titre et quelques éléments.Si le magicien enterre le nain pour lui faire de la ..psychologie instinctive, c'est une idée intéressante.Prétendre avoir saisi la lettre de l'histoire et faire une adaptation cohérente, ce n'est plus pareil.Se servir du titre et de sa renommée pour faire oeuvre d'invention, c'est comme mettre la jaquette d'un Picsou sur un Tintin, ça ne fait honneur ni à l'un ni à l'autre.
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On peut y voir une boucle qui revenait sur Boorman :rolleyes:J'avoue m'être plongé avec perplexité parmi les idées développées par Boorman en y cherchant une fidélité à l'oeuvre écrite, même si je ne connais celle-ci (le SdA-livre) qu'à travers les fidélités de retranscription de P Jackson et les commentaires de protestation des fans du livre contre les écarts de Jackson, et que je tiens pour une source assez fiable ;)Par exemple, à mon avis l'idée d'une union intime entre Galadriel et le hobbit Frodon tenait davantage de l'esprit Seventies que de l'imaginaire du puritain Tolkien, chez qui les personnages plus ou moins dénudés sont tous peu ou prou du mauvais côté de l'Anneau, à commencer par Gollum qui en dehors de son ring n'était vêtu que d'un string, mais aussi les gobelins, les trolls, etc.Je sais bien que de nos jours, certaines mauvaises langues seraient tentées de suggérer avec un sourire moqueur qu'une union intime, fut-elle platonique, d'une adulte avec un personnage partiellement identifiable à un enfant n'est pas à coup sûr antagoniste avec les valeurs chrétiennes si l'on en juge par ceux qui les représentent, mais bon, là encore, c'étaient les années 70 et pas les années 2010... 
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Il y a une marge entre apprécier une œuvre pour ce qu'elle est, en la détachant du substrat de départ, et la porter aux nues sans discernement comme tu le fais.Milieuterrien a écrit :Donc pour prétendre accorder à une oeuvre quelle qu'elle soit un rang de chef d'oeuvre, un substrat consistant est souvent de rigueur. Si la trilogie filmée du SdA s'est vu accorder le statut de chef d'oeuvre par l'immense majorité des acteurs du métier, elle le doit pour partie à la qualité de chef-d'oeuvre du livre qu'elle a adapté, qui a participé à son architecture et à la description de ses ornements visuels. Ce n'est pas pour autant que le livre détenait les clés techniques (son, image, musique, rythme etc.) qui restent le propre de l'art cinématographique.Il est vrai que le cinéma a toujours été contraint de mutiler une partie de ses substrats pour accéder à l'existence. Mais l'existence de 'mutilations' fait partie de l'essence de tout art : la Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgsky n'est ni une nuit ni un mont chauve, mais un morceau de musique, et ce n'est pas parce qu'il n'est pas un épisode étoilé dans un cadre montagnard que ce morceau n'est pas un chef d'oeuvre. Idem pour le Fantasia de Disney qui s'en est inspiré.Ce serait limite névrotique de ne jamais être capable de détacher l'appréciation d'une oeuvre de son substrat thématique pour apprécier ses caractéristiques propres d'oeuvre sculptée, peinte ou filmée.
Là, par exemple, tu parles sans discernement. Faire resurgir un personnage mort depuis 200 ans dans une adaptation, je n'appelle pas cela s'approcher de la fidélité et de la cohérence, même au nom du métier ou d'un pseudo projet artistique. Ça c'est juste s'approprier un substrat et le corrompre.Ce qui n'est d'ailleurs pas le cas du SdA ni du Hobbit. P Jackson n'y répudie le livre, son projet d'artiste est même exactement le contraire d'un projet abstrait : il cherche par tous les moyens à s'approcher au plus près de la fidélité et de la cohérence, y compris en arbitrant sur des incohérences survenues au fil des décennies de création de Tolkien, comme le fait que les animaux ont le bavardage plutôt anthropomorphe à l'époque de Bilbo, alors qu'ils ne parlent que leur propre langue dans le SdA.
Encore un manque de discernement flagrant, puisque c'est peut-être les seules choses qui rattrapent le scénario, les décors et les paysages... dont je disais plus haut qu'ils ne sont qu'un enrobage pour faire passer la pilule.Le défaut, si j'avais à en voir un, serait de donner trop d'ampleur aux décors, costumes etc. Tolkien vivait en Grande Bretagne et j'ai visité certains des paysages dont il s'est visiblement inspiré, notamment la région qui a inspiré le Mordor. On peut douter que le Gobelinville imaginé par Tolkien était aussi vaste que celui de Jackson. Idem pour Erebor.
Non, c'est vrai que Tolkien n'a pas dessiné Smaug couché sur son trésor de pierres et de pièces d'or...De même, côté trésor de piécettes, on n'est pas franchement dans le réalisme, mais plutôt dans le clin d'oeil à Onc'Picsou et à Disney, qui peuvent aller se rhabiller
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Commentaire très utile s'il en estça pourrait même faire partie des arguments souterrains (c'est le cas de le dire..) qui ont valu le feu vert de la Warner aux facéties mégalo-farceuses de P Jackson, si ça peut répondre aux angoisses nocturnes de Druss.
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ça n'a rien à voir avec Warner, Druss.Les 'possibles' dont je parle concernent les personnages susceptibles de jeter l'anneau dans la lave. A moins de faire débouler à la dernière minute un aigle, une grive, Arachnê avec un pansement sur le thorax, un Porte-Nazgul ou un orque détaché des bataillons dépêchés du côté de la porte où Aragorn a décapsulé la Bouche de Sauron, le choix se limite à trois : Frodon, Sam ou Gollum : Cinématographiquement, c'était intéressant de caresser les 3 hypothèses comme PJ l'a fait, y compris en s'écartant un chouïa du scénario du livre, car cela faisait surgir le suspense même pour ceux qui ont lu le livre, avant qu'on s'aperçoive que les choses rentrent finalement 'dans l'ordre'.Il est aussi question du projet d'adaptation de Zimmerman dans les années 50, qui pensait abréger la fin de l'anneau en autorisant Sam à le récupérer après que Frodon ait été piqué par Arachnê. Au dernier moment, Sam se serait fait attaquer par Frodon et Gollum. Je crois que ça n'aurait pas bien fonctionné, car cela signifierait soit que Frodon se libère de son cocon par ses propres moyens (comment ? Mystère...), soit que Gollum libère lui-même Frodon d'Arachnê et qu'ils fassent cause commune pour galoper sur les traces de Sam avant qu'il jette l'anneau. L'idée d'une alliance entre Frodon et Gollum l'un et l'autre privés de l'anneau et donc dévorés par l'ardent désir de le récupérer n'est pas absurde, mais elle dégraderait l'intégrité de Frodon sans même attendre qu'il soit au pied du mur, et elle ne fait pas franchement gagner de temps, car il faudrait alors filmer à la fois la libération de Frodon et sa 'négociation' avec Gollum.PS - Je n'ai pas trouvé ce que proposait Boorman sur ce passage. Vu le reste de ses idées, ça s'annonçait exotique...Druss a écrit :Tu as des actions chez Warner ou bien ?Finalement, on s'aperçoit que la fin choisie par le film effleure tous ces possibles d'un zeste de vertige, avant de basculer dans le destin qu'on lui connaît. Ce qui en fait probablement la meilleure fin possible.
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Ouais, enfin, on évite l'unique royaume humain, le rite de renaissance spirituellle de Gimli, Frodon qui se fait Galadriel, une petite sœur à Boromir.... Là c'est plus que des choix d"adaptations, c'est carrément autre chose.Quelle fidélité ? Jackson n'est pas plus fidèle que tous les autres, il a juste bien mieux enrobé la pilule.
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La comparaison la plus nette que je vois, c'est que le "pire", c'est en réalité aussi différent que les dizaines d'illustrateurs qui se sont sentis inspirés par le Seigneur des Anneaux : on voit tout et n'importe quoi, et un artiste peut aussi reconnaître après coup qu'il s'est loupé (et qu'avec le recul, ça rend moins bien qu'on n'aurait voulu).Avec un même texte, chacun y va de son idée, et un impressionniste fera un truc assez loin du néo classique et du réalisme. C'est pareil au cinema.Et l'original peut ne se reconnaître dans aucun cas, pas avant la production d'un nouvel artiste, ou jamais s'il est difficile à représenter -il y a des concepts qui sont férocement abstraits, au-delà du visuel.
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Au fait, on parle du projet Boorman ou bien de généralités indifférentiables entre on ne sait qui et on ne sait qui ?Allez, pour revenir dans le vif du sujet, je vais dire mon mot sur le projet de tabasser Gimli pour que son moi profond crache une formule secrète de Nain Ancien mémorisée quelque part dans son paléocortex.Je trouve l'idée assez curieuse pour 1970. Voyons voir. Bon, on serait en 2010, tabasser un barbu pour qu'il révèle un secret profondément enfoui dans les ténèbres de son arriération, on voit assez bien à quel genre d'imaginaire ça ferait allusion, mais en 1970 ???Ah ben oui ça me revient ! Fidel Castro, Che Guevara ! Eurekâ ! 
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Dans un instant d'égarement, j'ai essayé de visualiser cette scène...Je peux comprendre que des passages soient suprimés pour "faire rentrer" un film dans une durée raisonnable, mais j'ai toujours eu du mal à comprendre l'intérêt de rajouter des scènes sorties de nulle part dans une adaptation.C'est vraiment intéressant de voir parmi ces 9 idées celles de Tolkien. On voit que ses histoires sont le fruit d'une longue maturation.une scène où Frodon est étendu, nu sur une table en cristal au milieu d’un vaste amphithéâtre d’elfes chantant
Et vice versa.Milieuterrien a écrit :Ce serait limite névrotique de ne jamais être capable de détacher l'appréciation d'une oeuvre de son substrat thématique pour apprécier ses caractéristiques propres d'oeuvre sculptée, peinte ou filmée.
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Non Eldermê, pas tout à fait vice-versa,vu que j'ai évoqué les caractéristiques propres de l'oeuvre sculptée, peinte ou filmée, ce qui met de côté ses caractéristiques strictement adaptatives. Il n'est pas rare qu'un substrat thématique soit tellement mis à distance par l'oeuvre adaptative que l'examen de leur lien réciproque soit superflu.Dans l'exemple de Boorman, la mise à distance aurait d'ailleurs été si flagrante qu'il aurait été sérieusement préférable d'examiner le film dans sa cohérence interne plutôt que dans sa 'fidélité' à l'oeuvre écrite. Pour preuve, trop nombreux ont été ceux qui ont louangé l'oeuvre Excalibur sans éprouver le moins du monde le besoin d'en appeler à la lettre de la Légende du Roi Arthur, pour que tous ces oublieux puissent être taxés de tangenter la névrose.Pour autant, il ne s'agit pas de prétendre, tout au contraire, qu'il est superflu pour une oeuvre se réclamant fortement de la fidélité, comme c'est le cas du Hobbit, d'examiner de près cette fidélité comme une composante même de son ambition artistique.On peut même davantage le faire pour le Hobbit que pour le SdA, car la première trilogie, en dépit de son ample format, était tout de même contrainte de tronquer de nombreuses sections du livre comme Tom Bombadil ou le Sac de la Comté pour des raisons de commercialisation en salles plus que pour des raisons artistiques.Le Hobbit a ceci de particulier qu'à peu près tout y est adapté. Je ne connais pas d'autre exemple de film de 9 heures consacré à un livre de 300 pages.
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Je ne vois pas en quoi c'est une preuve de quoi que ce soit. la lettre de la Légende du Roi Arthur ?Milieuterrien a écrit :Pour preuve, trop nombreux ont été ceux qui ont louangé l’œuvre Excalibur sans éprouver le moins du monde le besoin d'en appeler à la lettre de la Légende du Roi Arthur, pour que tous ces oublieux puissent être taxés de tangenter la névrose.
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C'est vrai que la légende du Roi Arthur n'est pas une oeuvre au sens droits d'auteur du terme.Mais j'aurais pu prendre pour prémisses moult autres exemples d'adaptation filmée d'une source sans avoir à changer ma conclusion.Car quand le lien est distendu entre la réalisation filmée et sa source légendaire ou littéraire, peu importe au fond si la source est légendaire ou littéraire, vu qu'elle se perd dans les limbes de la distanciation..Dans le cas du Hobbit, on a une adaptation qui prend à bras-le-corps le défi de l'adaptation. Et moi ça me dérange que tous ces efforts brillants soient mitraillés par le dénigrement pour non-conformité ou non-fidélité, alors qu'au contraire, la fidélité va bien au-delà de tout ce que le cinéma a coutume de proposer.
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Quoi que je dise, tu avais raison même quand tu avais tort, c'est une compétence étonnanteMilieuterrien a écrit :C'est vrai que la légende du Roi Arthur n'est pas une oeuvre au sens droits d'auteur du terme.Mais j'aurais pu prendre pour prémisses moult autres exemples d'adaptation filmée d'une source sans avoir à changer ma conclusion.
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C'est ta vision et certains ne la partagent pas, mais d'autres vont plutôt dans le même sens que le tien. Est-ce que tu peux arrêter de faire comme si l'opinion de ces certains était tellement influente qu'elle empêcherait les films de connaitre le succès mérité qui te semble légitime ? Ceux qui aiment défendent, ceux qui n'aiment pas descendent et personne ne se prend pour un leader d'opinion. On se détend, on va se mettre au soleil et on sourit.Dans le cas du Hobbit, on a une adaptation qui prend à bras-le-corps le défi de l'adaptation. Et moi ça me dérange que tous ces efforts brillants soient mitraillés par le dénigrement pour non-conformité ou non-fidélité, alors qu'au contraire, la fidélité va bien au-delà de tout ce que le cinéma a coutume de proposer.
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En somme, sous prétexte que c'est beau, que ça semble fidèle (et j'insiste sur le semble), et surtout que ça semble plus fidèle que la plupart des autres adaptations de romans, on devrait se contenter d'applaudir devant la faiblesse de la fidélité ? C'est un peu l'histoire de l'élève qui sait qu'il est meilleur que les autres mais comme le second n'a que 12/20, il peut se permettre de n'avoir que 13/20 à son devoir alors qu'il aurait les moyens d'avoir 19 s'il s'en était donné les moyens. Non, je suis désolé, c'est un argument inacceptable pour moi.
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Ah mais Druss, si le reproche que tu adresses au film est de ne pas valoir 19/20, il faut le dire tout de suite !Parce que si je décompte la proportion des critiques que tu lui adresses de la proportion des louanges que tu lui concèdes, on est loin loin loin des 13 sur 20 !Tu es sûr que tu ne veux pas partager un ou deux des rayons de soleil qui inondent le débat depuis que Witch a tiré les rideaux ?Witch, la compétence dont il est question, ce n'est pas un pouvoir magique (j'en ai, rassure-toi ! Sauf que je n'en connais pas la recette), c'est juste la tolérance acceptable par une approximation. J'ai vu dernièrement à Loches l'oeuvre d'un paysagiste du XIXè siècle dégageant une extraordinaire impression de fidélité et de précision dans ses représentations panoramiques. Mais quand on regarde de près les silhouettes qui peuplent son décor, la plupart sont réduites à une point-virgule de peinture et ne ressemblent à rien sous la loupe. Quand la photographie est arrivée, ces peintres-là ont peu à peu disparu au profit d'autres qui ont fait fortune en ne peignant qu'UN point-virgule sur TOUTE la toile, et en se vantant d'avoir accompli une révolution copernicienne en mettant leur point-virgule à l'envers. Leur truc ? Réussir à faire croire au spectateur que la beauté du tableau est dans son regard et que s'il ne la voit pas, c'était qu'il a des toiles d'araignée sous la paupière. C'est avec cette farce que les banquiers et vendeurs de frigos américains ont réussi à vider les domiciles européens de plusieurs siècles de toiles de maîtres et à remplir leurs propres galeries en y mettant autre chose que de la toile de jute. Le Pot de Chambre de Duchamp célébré à New-York ? Juste un poing brandi contre cette grandiose arnaque. Les carrés ton sur ton qui pullulent sur les murs de nos musées de province ? Juste l'industrialisation de cette arnaque. Bref, quand l'adaptation se situe à trois kilomètres du modèle original, peu importe que le modèle soit une grue cendrée ou une cendre de grutier.Mais ça, c'était Avant. Avant le DVD. Avant l'arrêt sur image grâce auquel, quand on voit un bouton doré briller au loin sur le bras du personnage d'une vaste foule et qu'on zoome, on voit que le bouton doré est gravé aux initiales du personnage dont le nom est cité fugacement à la page 257 et dont on sait qu'il s'est fait chiper le bouton par le personnage dont on apprend à la page 478 que son clan entier monte la garde sur la tour Ouest filmée une demi-seconde durant avant que tombe le crépuscule de la grande bataille. Alors que dans un film de Boorman, repiqué à l'ère du DVD/arrêt sur image, le château qu'on aperçoit au loin, ben c'est juste un pylone d'EDF.Bon j'exagère un peu mais l'idée c'est presque ça.Si on regarde de près le Hobbit, on s'aperçoit bien souvent que ce qu'on croit être des trahisons sont en réalité des fidélités ou des raccourcis ingénieux.Je vais donner un exemple parmi cent : J'ai sursauté quand j'ai vu Bilbo commencer son bouquin d'un "Au commencement était un trou de hobbit", car normalement celui qui écrit cette phrase est Tolkien et non pas Bilbo.Ce que je n'avais pas repéré, c'est que Bilbo commente cette phrase tout haut en énonçant : "As you might expect... etc.". Par ces quelques mots, Bilbo se met devant le spectateur du film (qui connaît déjà son avenir dans le SdA ET qui connaît la façon dont Bilbo le Hobbit débute) dans le rôle d'un conteur s'adressant à des lecteurs ignorant tout de son univers et non pas dans celui de quelqu'un qui entame ingénûment son autobiographie !On peut tourner ça dans tous les sens comme un Rubik's Cube, on arrive à la conclusion que c'est bigrement adroit et multidimensionnel.Après, qu'on prenne ça pour du grand art, pour un panard ou pour un nanard, ça dépend Duchamp qu'on veut se donner.