Chez nous, à la différence des États-Unis, toute critique du « White Male of Life » (je vais y revenir) suscite d'emblée un procès – parfois virulent, souvent naïvement de bonne foi – en « communautarisme ». C’est-à-dire que, dans nos pays, le mâle blanc hétérosexuel, de préférence aisé et de plus de 50 ans, est la norme “naturelle” à partir de laquelle on regarde le monde. Hors, c’est tout le paradoxe (bon, je sais, la SF en est friande !), il s’agit en réalité… d’une minorité ! Mais cette toute petite minorité est à peu près à tous les postes de commande : direction des sociétés du CAC40, mandats électifs majeurs, etc. C’est vrai aussi en littérature, mais d’une moindre façon : les préjugés existent, mais nos lectorats sont généralement ouverts. Aux États-Unis, au moins, ces questions sont discutées.Les plus jeunes l’ignorent peut-être, mais je me souviens d’un temps où, lorsque je croisais une femme dans un festival de SF, je me demandais de qui elle était la petite amie… Aujourd’hui, fort heureusement, je me demande si elle est auteure, directrice de collection, traductrice, libraire, blogueuse… Mais si, en France, les femmes ont enfin acquis (il y a quelques années seulement !), l’égalité juridique totale, à défaut d’une égalité réelle, si le monde de l’imaginaire s’est nettement féminisé, combien voyons-nous, en 2016, d’auteurs noirs ou arabes dans nos maisons d’édition, revues, festivals, etc. ? Poser la question, c’est y répondre (et presque tous sont des moins de 35/40 ans). Pour dire net : en France, à la différence des États-Unis, le problème est nié au nom d’un prétendu « universalisme » cher au pays des droits de l’homme… N’oublions pourtant pas ce que soulignait récemment un certain : « La France n’est pas le pays des droits de l’homme, c’est celui de… la Déclaration universelle des droits de l’homme !J’ai donc tiqué en lisant certains messages (toujours courtois, et de bonne foi, ceci dit…). Prenons donc quelques exemples, et poussons un peu plus loin la discussion :La question […] ne se limite pas à la représentation ethnique. Elle se pose pareil pour la représentation des femmes, des handicapés, des personnes corpulentes ou que sais-je encore...C’est très juste. Ces critères sont d’ailleurs quelques-uns de ceux qui sont reconnus par nos lois comme critères de discrimination :
http://www.jeunes.gouv.fr/interminister ... iminationsJe rappelle aussi que, lors de la tentative de l’extrême-droite américaine d’éliminer ouvertement des nominations au prix Hugo toutes les personnes féministes, non blanches et LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres), ce sont malgré tout les progrès (cartes trop lents et insuffisants) de la diversité qui ont amené à faire échouer cette contre-offensive grossière, sexiste, raciste et homophobe.le fait d'être une femme ne m'empêche pas de m'identifier à un personnage masculin, et j'ose espérer que des lecteurs arrivent à s’identifier à un personnage féminin. Les lectrices s’identifient sans problème à un héros masculin, l’inverse étant nettement moins vrai. Il semblerait que cela commence à changer, en particulier chez les hommes de moins de 35 ans. Je parle bien sûr de ceux qui lisent (ceci dit, regardez combien il y a de blogueurs et de booktubeurs mâles… Pas des masses !).Du coup, je me demande pourquoi une personne noire, par exemple, ne pourrait pas s'identifier à un personnage blanc, ou autre (toutes les combinaisons sont possibles).C’est très juste. Et en soi, ça ne pose aucun problème. Une personne LGBT peut tout aussi bien s’identifier à une personne hétérosexuelle. Le problème surgit quand 100% des personnages principaux, ou peu s’en faut (un contre-exemple ici ou là ne change rien au problème… Ici, c’est la masse qui fait fond !), sont mâles, blancs, hétérosexuels. Regardez les couvertures des ouvrages d’imaginaire : c’est encore plus édifiant. Le problème des auteurs afro-américains c'est que leur minorité a ses propres maisons d'éditions et ses propres magazines.Les homosexuels aussi… La vraie question, c’est : pourquoi ? Par goût (inné ou acquis ?) du séparatisme ? Ou pour se protéger, s’organiser, et lutter contre les discriminations ? Ceux qui connaissent l’histoire de la SF américaine n’ont pas oublié ce rédac’chef de revue qui, face à une nouvelle de Theodore Sturgeon, ne s’est pas contenté de la refuser, mais a appelé tous ses confrères à boycotter l’auteur ! Sturgeon était blanc et hétérosexuel ; pourtant, dans les années 50/60, publier une histoire considérée comme « choquante » vous exposait aux réactions sectaires des puritains. Alors, imaginez si vous étiez membre d’une minorité…la discussion est quasi inexistante en France, la preuve : la plupart ne voit même pas ou se situe le problème. Pourtant il est bien là, toujours aussi présent, ailleurs comme en FranceLa première démarche pour améliorer une situation, c’est en effet de reconnaître qu’elle existe. Dans cette affaire, le grand mérite de Jemisin, c’est d’avoir posé publiquement la question. En bénéficiant de la reconnaissance personnelle que son talent lui a gagné, elle fait œuvre utile pour la communauté noire américaine, mais aussi, au-delà, pour toutes les minorités, et même pour tous les êtres humains.Deux anecdotes personnelles pour conclure. À mon usage (intentionnel) du néologisme « écrivaine », un jeune festivalier m’avait fait remarquer : « écrivaine, ça rime avec vaine ». Je lui ai simplement demandé avec quoi rimait écrivain… Plus tard, un ami auteur, hostile à l’adoption des couples homosexuels, m’a affirmé avec force qu’un « couple, c’est fait pour avoir des enfants ». Outre une vision très restrictive et traditionnelle du couple, le hasard fait que j’ai une fille et que son couple est sans enfants… Bien sûr, cet ami, mâle, blanc, hétérosexuel, est un fervent contempteur du soi-disant “communautarisme” !J’ajoute que mon expérience personnelle m’a obligée à revoir mes visions naïvement universalistes d’autrefois. Et de souligner désormais qu’un universaliste sincère se préoccupe du sort des minorités. C’est-à-dire, au final, de tous et toutes.Je remercie donc Elbakin de s’être fait l’écho de l’interpellation de Jemisin. Cela m’a donné envie de poser à mon tour la question de la place des minorités dans nos genres préférés, qu’il s’agisse des personnages ou des auteurs eux-mêmes. Je connais même un festival assez ouvert pour aborder très volontiers le sujet. En mai 2017, par exemple.