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Jordan a voulu en faire des tests initiatiques obligatoires pour que rand progresse. Et puis sur une série de 12 volumes, on se dit bien que le combat final n'aura pas lieu à la fin du livre 2.
Certes mais ce que je voulais dire précisemment, c'est qu'un simple combat contre un Réprouvé parmi les autres aurait suffit. Pas besoin de mettre à chaque fois un "double" du ténébreux :?C'est simplement que je préfère un "méchant" nébuleux, présent partout mais visible nulle part : Ineluki est en cela archétypique. Quant on le voit finalement apparaître, il n'en n'est que plus impressionnant, par le simple fait que le lecteur n'avait finalement que très peu d'informations directes sur lui. Chez Jordan, c'est plutôt "Ténébreux pour tout le monde" ce qui n'est pas forcemment un défaut, mais je trouve que ça minimise son impact par la force de l'habitude. Disons que je trouve que chez Jordan l'épique vient davantage de l'utilisation "d'effets spéciaux", i.e. les combats de fin de tome, qui sont à différencier de la relative lenteur d'autres auteurs qui préfère réserver le feu d'artifice pour le dessert :)

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Si tu ne l'as pas déjà fait, je te conseille d'écouter le podcast sur la fantasy française qui est sorti il y a quelques mois : le sujet y est abordé assez longuement.Si j'ai bien compris, c'est principalement à cause de la petite taille du lectorat et des structures, qui empêche la publication de sagas au long cours, avec malgré tout quelques exceptions avec des auteurs bien installés.

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Justement, je pense que c'est précisément l'une des raisons pour laquelle la fantasy française se concentre plus sur des one-shot à haute valeur stylistique (typiquement Jean-Philippe Jaworski, Justine Niogret, Alain Damasio, etc.), plutôt que sur les longues sagas étant donné que la place dans la liste d'achat du lectorat est déjà prise par les séries des auteurs anglophones traduits. C'est beaucoup moins risqué car la place est libre et le risque moindre.Mais encore une fois, il y a des exceptions.

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Pas tant que ça... Il y a bien Pevel avec le Haut-Royaume mais ce sera une saga au long court composé de.... dyptiques et deux fois 500 pages et de trilogies de trois livres de 220 pages... Tout cela est triste... :tetemur:

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Qu'un-Œil a écrit :Si tu ne l'as pas déjà fait, je te conseille d'écouter le podcast sur la fantasy française qui est sorti il y a quelques mois : le sujet y est abordé assez longuement.Si j'ai bien compris, c'est principalement à cause de la petite taille du lectorat et des structures, qui empêche la publication de sagas au long cours, avec malgré tout quelques exceptions avec des auteurs bien installés.
Ce qui m'amuse c'est de parler de petite taille du lectorat quand on la fantasy n'est présente que dans les librairies des villes de plus de 25 000 habitants. Quand on compare avec le polar et le thriller que l'on trouve partout, on se dit qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de la diffusion / distribution.Sinon on a eu Pierre Grimbert et Nicolas Cluzeau. Et on en a eu d'autres qui étaient prometteur au niveau des nouvelles et qui auraient pu devenir des auteurs de bonne fantasy épique. Mais on a préféré publier Goodkind, soit ce que la fantasy américaine a fait de pire.Je pense qu'on gagnerait à ne publier que le meilleur de ce qui se fait outre Atlantique ou outre Manche et en ce qui concerne la fantasy. Et pour ce qui est de la BCF, publier des francophones. Ne serait ce que parce que nous avons une culture différente plus latine et qu'il est clair qu'un Français n'écrira pas la fantasy épique comme un Américain. Nous avons des racines médiévales qui sont encore très présente, nous avons une culture latine, nous nous réclamons d'héritage comme ceux de Dumas ou de Rabelais. Les légendes sont encore très vivantes en province pour ceux qui savent chercher. Si l'on rajoute la fascination pour la Renaissance et les Lumières. Nous avons tout pour faire quelque chose de différent. Personnellement j'y crois.

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Fabien Lyraud a écrit :Ce qui m'amuse c'est de parler de petite taille du lectorat quand on la fantasy n'est présente que dans les librairies des villes de plus de 25 000 habitants. Quand on compare avec le polar et le thriller que l'on trouve partout, on se dit qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de la diffusion / distribution.
Oui, je suis tout à fait d'accord avec toi, je résumais juste de mémoire ce qui avait été dit dans le podcast.En dehors du rayon fantasy de Gibert (et encore on ne retrouve que les grosses sorties) et de quelques autres endroits parisiens, je suis toujours ébahi quand j'entre dans une librairie, même parisienne, de constater que le rayon fantasy est souvent réduit à la portion congrue : un espace large comme dix livres, réparti sur deux petits étages de rien du tout... souvent relegués au ras du sol.Ça donne une bonne idée de la considération qu'on donne au genre.Et je parle de librairies parisiennes, toutes jeunes, et très certainement dynamiques dans les autres genres, mais leur rayon fantasy se réduit principalement aux intégrales J'ai Lu de Martin, Hobb, un peu de Tolkien, et le reste n'est que de la SF qui a l'air de redevenir à la mode.J'en ressors à chaque fois très déçu :( alors la province, je n'ose même pas y penser...L'avenir est peut-être à regarder du côté d'Internet avec un système d'impression à la demande et/ou de livraisons à domicile, mais je ne suis pas libraire donc je ne sais pas si l'idée serait viable.
Nous avons des racines médiévales qui sont encore très présente, nous avons une culture latine, nous nous réclamons d'héritage comme ceux de Dumas ou de Rabelais. Les légendes sont encore très vivantes en province pour ceux qui savent chercher. Si l'on rajoute la fascination pour la Renaissance et les Lumières. Nous avons tout pour faire quelque chose de différent. Personnellement j'y crois.
C'est clairement ce que Pevel a fait avec les Lames du Cardinal, Wielstadt ou même le Paris des merveilles, Jaworski avec sa trilogie en six tomes Roi du monde, la trilogie d'Estelle Faye la Voie des Oracles, etc. On sent que l'histoire occupe une place importante dans la création de la fantasy française et quand on voit l'intérêt des gens pour l'histoire en ce moment (même si je ne sais pas si c'est forcément pour les bonnes raisons), il y a sans doute une place à se faire.J'ai personnellement de plus en plus de mal avec cette tendance d'une fantasy historicisante qui penche parfois trop vers l'historique et plus assez vers la fantasy ; j'ai parfois l'impression que l'histoire impose trop de contraintes à l'auteur alors que la fantasy devrait justement être le genre de la liberté, sans autre contrainte que l'imagination. J'ai l'impression que c'est la fantasy au service de l'Histoire et non l'inverse.Pour le coup je trouve que Greg Keyes, un Américain pour le coup, s'en était très bien sorti dans la série L'Âge de la déraison où l'Histoire avec un grand H prenait à la fin du premier tome un tour totalement épique.Je n'ai pas connaissance d'un auteur français qui ait autant malmené l'Histoire de cette façon.Mais je suis d'accord que le folklore français reste très largement inexploité, sans doute du fait d'une certaine méconnaissance, je suppose.D'un autre côté, cela me fait penser à la mode des romans de terroir des années 80 (je me trompe peut-être), je ne sais pas si certains de ces romans faisait intervenir des éléments magiques etc., mais il y a peut-être à creuser de ce côté-là...De manière générale, tout ça manque d'épique, et en même temps je me demande si c'est vraiment ce qu'attend le lecteur français qu'il soit fan de fantasy ou non : quand on voit l'échec d'Erikson en France (alors peut-être est-il trop ambitieux et exigeant je ne sais pas), on se demande quand même si le prochain Erikson français (qu'il se dénonce !) parviendrait à vendre sa série de dix tomes...

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De manière générale, tout ça manque d'épique, et en même temps je me demande si c'est vraiment ce qu'attend le lecteur français qu'il soit fan de fantasy ou non : quand on voit l'échec d'Erikson en France (alors peut-être est-il trop ambitieux et exigeant je ne sais pas), on se demande quand même si le prochain Erikson français (qu'il se dénonce !) parviendrait à vendre sa série de dix tomes...
A coté de ça le petit jeune de province il a kiffé l'adaptation du Seigneur de Anneaux de Jackson et il connait la fantasy par les jeux vidéo. Il ne sait même pas qu'il y a une littérature derrière. C'est le problème. Il faut vraiment lutter contre les zones blanches et viser un public plus prolétarien. J'y crois. Donc il y a des choses à faire. Quand je vois les occasions ratées avec des auteurs très valables, je me dis qu'il y a des choses à faire.

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Je trouve que les éditeurs français manquent d'ambition pour les auteurs francophones, et les incitent à viser "petit", "modeste", à s'inscrire dans une prétendue "culture française" (mais j'aimerais bien qu'on m'explique ce que recouvre ce terme : Clovis ? les Gaulois? les châteaux forts?). Je ne sais pas si c'est un moyen de promouvoir une fantasy "à la française", mais je n'imagine pas expédient plus efficace pour museler l'imaginaire et la créativité.Dès leur plus jeune âge, les petits anglais sont invités à développer leur créativité, puis incités encore à le faire durant leurs études. En France, on préfère la dissertation ou l'explication de texte. C'est formateur aussi, et sans culture on ne peut rien. Mais un jour ou l'autre il faut s'en affranchir.La fantasy historique est pour moi une quasi antinomie : les cadres contraignants de l'histoire étouffent les élans de l'imagination, et s'il faut connaître la littérature, l'histoire et la mythologie pour écrire un (bon) roman de fantasy, en faire les limites de son univers, n'est- ce pas absolument inhibant? Personnellement, Pevel m'ennuie, et les jeunes auteurs qui ancrent leurs romans dans un "passé" bien français aussi. La littérature n'a pas de frontière, l'imagination encore moins. Pourquoi lui en imposer en fantasy? Pourquoi en faire un critère de sélection de manuscrits? Sans culture, on écrit médiocrement (ou naïvement) ; mais arrivé à un certain stade, la culture est paralysante, à moins qu'elle soit vivante, inspirée, habitée par un réel renouvellement. Comment avancer si on continue à ancrer la fantasy dans le passé? La France est hantée par les fantômes de sa "grande" histoire et du considérable panthéon de ses auteurs, qu'elle affiche si orgueilleusement à l'étranger. Très bien. Les anglos-saxons n'ont pas toutes ces prétentions, et en fantasy, cela fait merveille.

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C'est vrai que Pevel fait trop dans le "français françois". Même quand il s'échappe un peu de tout ça comme les Lames du Cardinal ou Ambremer, avec Haut-Royaume, il fait vraiment une "françisation" si on peut dire, du Trône de Fer. C'est mon ressenti en lisant Haut-Royaume...

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C'est un peu la question de l’œuf ou la poule.Est-ce que ce sont les éditeurs qui manquent d'ambition, ou est-ce qu'il n'y a pas d'auteurs écrivant ce type de texte ?Je n'ai pas trop aimé les Lames du Cardinal, parce que pour moi ça a manqué de profondeur dans le décor et les personnages. Mais si on prend La voix des oracles d'Estelle Faye, l'immersion historique sert plutôt bien l'imaginaire à mon goût. Idem dans Le protectorat de l'ombrelle (je sais, ce n'est pas français). La fantasy historique, dans la fantasy française, ce n'est pas la norme, mais ça permet aussi d'amener en fantasy, des gens qui n'y seraient peut être pas allé de prime abord. Et puis au final, la fantasy épique anglo-saxonne et appelé "med fan", soit médiéval fantastique. Pour ma part, j'en ai assez de la fantasy de châteaux et de magiciens, d'hommes en bottes et d'armées en armures... Et pour revenir sur le jeune de province, il aborde la fantasy plutôt par Harry, l'épouvanteur, les chevaliers d’émeraude pour aller vers Hunger Games, les mangas et consort... En paysannerie, le jeune est loin d'être en manque de support imaginaire. Par contre l'adulte... c'est une autre histoire.Franchement, (ré)écoutez le podacast, feuilletez les catalogues de parutions, parcourez elbakin, discutez avec les auteurs, vous verrez que la francophonie est bieeeeeeeen loin d'être derrière les pays anglo-saxons en terme de création.

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"C'est un peu la question de l’œuf ou la poule.Est-ce que ce sont les éditeurs qui manquent d'ambition, ou est-ce qu'il n'y a pas d'auteurs écrivant ce type de texte ?"C'est exactement la question que je me posais : il faut "avoir les épaules" pour se lancer dans une saga à plusieurs tomes (le style, l'inspiration, le sens de la narration), plusieurs points de vue qui tiennent la route, ce qui inclut aussi une certaine expérience de l'écriture, de croire assez en soi pour écrire des années durant un seul roman, en dépit de ce qu'on peut entendre, de tous ceux qui convainquent les jeunes auteurs de ne pas le faire. Donc la plupart renoncent. Mais est-ce qu'ils auraient été le "Martin" ou "Robin Hobb" français s'ils avaient persévéré, si on les avait encouragés? Ou bien la tâche est-elle trop rude pour... des français? Non, ça paraît vraiment absurde. J'ai peur que le problème vienne de plus loin. L'histoire, comme le référent culturel explicite dans la genèse d'une oeuvre, sont un moyen, conscient ou non, de trouver des béquilles. Il me semble qu'un auteur inspiré doit finir par ne plus en avoir besoin. Il doit croire qu'il le peut. Les grands auteurs de fantasy partent d'un matériau de départ et le tordent à leur manière, jusqu'à en faire leur monde, et le réservoir de nouveaux mythes. Peut-être aussi la peur de ne pas plaire à l'éditeur, de ne pas être publié, impose à l'écriture des normes qui la limitent. Dans un contexte de crise du livre, ces normes deviennent de plus en plus commerciales : on calcule les bénéfices et les risques, ce qui est normal quand on veut vendre un livre. Mais l'est-ce aussi quand on crée?

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Tu y vois un problème, pour moi c'est un autre choix que de ne pas faire des romans fleuves (la littérature dite blanche, ne s'en prive pas elle). Se taper les mêmes personnages et le même univers pendant 20 ans peut ne pas faire rêver un auteur aussi.Les grosses sagas med-fan qui durent, même anglo saxonnes, ne sont pas légion (on site d'ailleurs toujours les mêmes). Une fois encore, l'histoire n'est pas plus présente dans la fantasy française qu'ailleurs, et on a notre lot d'auteurs francophones qui font de "l'épique".

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Il y avait quelques auteurs prometteurs. Leurs noms ne vous dirait rien. Mais ils avaient je pense les épaules pour écrire de la fantasy épique de qualité. Dans les années 90, on a osé, ça a payé. Dans les années 2000 on s'est mis surtout à regarder les comptes en banque. Stéphane Marsan dit aussi que les auteurs français aurait été pour certains d'entre eux réfractaire aux travail éditorial. Je pense qu'il devait peut être y avoir des divas dans le lot, mais bon ce ne devait pas être le cas de tous, loin de là.Par contre j'ai entendu Fabrice Colin qui a été un temps slush reader chez Mnémos période Marsan, dire qu'il avait reçu beaucoup de manuscrits avec des univers très originaux mais des intrigues un peu trop classiques ou bateau. Une intrigue classique avec un univers qui sort des sentiers battus c'était peut être ça la fantasy épique française à la fin des 90 et au début des 2000. Ça valait peut être le coup d'en publier quelques uns.

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Merci pour ces précisions, Fabien, je l'ignorais. Je suis d'accord avec toi sur l'intrigue classique et l'univers original. C'est tout ce que je demande à un livre de fantasy, avec un peu de fond si possible en terme de réflexion, et de la poésie dans l'écriture.Sciezka, je parlais de l'histoire en fantasy puisque c'était aussi le sujet, mais je suis d'accord avec toi, ce n'est pas l'apanage de la fantasy. Je trouve seulement que le genre s'y prête particulièrement peu. Après, c'est sans aucun doute une question de goût : personnellement, je regarde à peine les romans de fantasy en dessous de 500 pages, et la plupart du temps je lis des séries. Je trouve que les romans brefs en fantasy n'ont pas l'espace pour développer leur univers, et en général ça me déçoit ou me frustre de quelque chose quand le roman est court. Mais il y a aussi de notables exceptions.Je retrouve dans les grandes sagas de fantasy ce que j'ai aimé dans la Comédie humaine de Balzac, les romans de Tolstoï ou la Recherche... de Proust : un univers à côté du notre, ni même ni autre, qui nous accompagne longtemps et dont on ressort soi-même changé.Sans parler des sagas sur 20 ans, il me semble que la trilogie est beaucoup plus fréquente chez les anglo-saxons, et se vend plutôt bien, non? J'ai aussi l'impression que c'est ce qu'attend majoritairement le public. Mais ce n'est qu'une impression.

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L'histoire, comme le référent culturel explicite dans la genèse d'une oeuvre, sont un moyen, conscient ou non, de trouver des béquilles. Il me semble qu'un auteur inspiré doit finir par ne plus en avoir besoin. Il doit croire qu'il le peut. Les grands auteurs de fantasy partent d'un matériau de départ et le tordent à leur manière, jusqu'à en faire leur monde, et le réservoir de nouveaux mythes.
Je pense qu'en France on a des auteurs qui sont capables de créer des œuvres vraiment "freestyles", en mélangeant des éléments d'époques différentes, de civilisations différentes, en saupoudrant le tout d'éléments baroques ( on a ça chez Mathieu Gaborit ou Nicolas Cluzeau par exemple) ou même en introduisant des choses un peu fun. Je crois qu'on les moyens de sortir de la servilité historique. Les éditeurs ont certainement peur de publier des œuvres populaires ambitieuses.

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Merci des références, Fabien, je ne connais Mathieu Gaborit que de nom, et pas Nicolas Cluzeau. Je vais aller y jeter un œil ! Entièrement d'accord avec toi pour le reste. En espérant vivement que cela change...