765
Ton travail de fond est super impressionnant !

De mémoire, dans Waylander 2 on a bien un siège.

Pour le reste, je ne peux que me rendre à tes arguments et avouer que lire de nombreux Gemmel d'affilée doit être un peu écoeurant. Il n'empêche, je trouve, que pris séparément, ses livres y gagnent. (plus d'incohérence entre eux, moins de ressenti de l'histoire toujours la même, le siège qui marche quand même toujours bien, etc...)

766
Merci, possible pour Waylander II mais je n'ai pas eu le courage de faire plus que quelques recherches de mots clés dans le fichier et ça n'a rien donné.

Sinon pour l'analyse : là je fais la liste des choses qui ne me plaisent pas chez lui et ça a l'air effectivement très négatif mais mon avis est tout de même un peu plus nuancé. C'est juste que ses qualités "vont de soi" mais j'en reparlerai dans ma conclusion.

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Batailles/combats

I have found that time and time again, whatever the period or war, the act of one individual or a relatively small group of people are the difference between victory and defeat.

Avant de lire les interviews, je comptais mettre dans la partie « Gemmell ne fait pas assez de recherches avant d’écrire » tout ce qui concernait les batailles et les combats. En effet, ses batailles sont, sur le plan tactique et stratégique, absolument épouvantables. C’est du pur film hollywoodien avec des Gros Bills qui massacrent des régiments entiers à eux seuls et des victoires impossibles obtenues à coup de Deus Ex Machina tous plus ridicules les uns que les autres. La seule exception est Le Lion de Macédoine pour lequel Gemmell a bien fait son travail et où il décrit de manière assez exacte les grandes batailles de l’époque.

Pour les combats de plus petite échelle on passe d’Hollywood à Hong Kong (les films des années 90 hein, pas la situation actuelle) avec des affrontements presque burlesques tant ils sont peu réalistes. Ses descriptions se contentent de parler de coups portés à une vitesse stupéfiante (c’est presque toujours ce qualificatif là qui est employé) ou de manière vicieuse, de combattants qui passent leur temps à bondir. Ses héros sont capables d’être déséquilibrés et dans le même mouvement de se relever, de sauter sur l’adversaire et de le tuer. La plupart de ses combats à l’arme incluent des coups à main nue et certains de ses duels durent des heures, même quand les personnages n’ont pas de boucliers et saignent de partout...

Sauf qu’en fait non, s’il est bien un domaine où Gemmell a beaucoup étudié c’est la guerre et les armes : il prétend avoir lu plus de 2000 livres sur le sujet (ça me semble assez absurde comme chiffre mais passons). En outre, il répétait dans son jardin (à l’aide d’une des nombreuses armes de sa collection), les mouvements qu’il incluait dans ses combats au corps-à-corps. Et en plus il a fait de la boxe et sait à quoi ressemble un combat à main nue.

Comment dès lors a-t-on pu en arriver à un tel raté ? Je n’en ai aucune idée. Un élément de réponse se trouve peut-être dans le petit extrait que j’ai mis en introduction montre que, pour lui, la plupart des batailles de l’histoire ont été gagnée sur base des actions d’un seul individu ou d’un petit groupe. Pour moi sa montre une chose : Gemmell ne lit que ce qu’il a envie de lire et est aveugle au reste. Son obsession est l’héroïsme donc il en voit partout. Sauf que non monsieur Gemmell : si en de rares occasions un seul homme (souvent le général) a pu faire la différence, la plupart du temps un petit groupe de héros ne change pas le cours d’une bataille.

S’il y a beaucoup de mes critiques qui sont purement subjectives, je suis par contre prêt à argumenter pendant des heures avec quiconque serait en désaccord avec moi sur ce point : Gemmell est un épouvantable stratège qui ne comprend rien à la guerre.

Contradictions

Gemmell, en tant qu’homme mais aussi en tant qu’auteur, est pétri de contradictions. Si certaines, sont purement anecdotiques, d’autres sont un peu plus gênantes à mon sens.

J’ai dit que je ne parlerais pas de l’homme mais, pour vous situer le personnage, Gemmell se définit comme un socialiste qui soutient Thatcher et dont les héros sont John Wayne et Ronald Reagan (je ne brode pas, il l’a dit tel quel). Comme un chrétien qui considère que le message du christ n’est pas pacifiste mais que, au contraire, il faut utiliser la violence contre le mal. Lui-même estime être contre la violence sauf qu’en c’est nécessaire.

Alors, certes, nous sommes tous de très mauvais juges de nous-mêmes mais, si globalement, j’ai trouvé l’œuvre de Gemmell très cohérente avec le contenu de ses interviews, il y a quelques points sur lesquels il est complètement aveugle.

All my characters are real people dealing with unusual situations – that’s where the drama lies. There’s nothing more boring than a character with massive muscles, a brilliant brain, and who never loses. (…) Druss for example – a bad knee and a bad back. Someone else has toothache, or doubts and fears. (…)

J’ai halluciné en voyant ça. Druss est l’archétype ultime du gros bill invincible. Il a un mauvais genou ? La belle affaire, cela ne l’empêche pas de découper du Nadir par centaines alors qu’il a passé l’âge de la retraite. Et s’il n’y avait que Druss… À part Waylander qui tue surtout à distance, pratiquement tous ses héros sont des monstres au combat. Dans ses interviews il passe d’ailleurs son temps à dire que tout le monde peut faire la différence et que ceux qui ne font rien sont des lâches ; que ses héros sont des personnes ordinaires qui décident de lutter avec courage. Sauf qu’en fait non, ses héros sont tous des bêtes de combat surentraînées. Il aime raconter la fois où il aurait mis en fuite trois gars agressant une fille. Je ne remets pas en cause la véracité de l’anecdote (on s’en fiche) mais lui insiste pour dire que tout le monde aurait pu faire pareil. Ah oui ? Tu conseillerais donc à un gamin de 12 ans (je rappelle que Gemmell écrit avant tout pour les jeunes) d’aller défier trois adultes ? ...

Stories are living things, like people. Some you like, some you don’t. I figure that if I do my fans the courtesy of giving a novel every ounce of energy, passion and belief that I possess then they’ll forgive me if an individual tale doesn’t appeal to them. In my experience readers tend to go off authors when the writers start churning out poorly written, cliche ridden novels. As long as the author cares enough about his readers to give them the best he can they’ll stick by him/her.

Passons sur le fait de donner le meilleur de soi au lecteur (même si Gemmell a lui-même admit bâcler au moins un livre pour respecter une deadline), ce qui m’intéresse c’est le fait qu’il critique les auteurs qui, d’après lui, ont une écriture pauvre et utilisent beaucoup de clichés.



Et le bouquet :

(…) One of the things that has fascinated me for years is the way heroes and villains are mostly interchangeable, depending on perspective. Crazy Horse, the Sioux chieftain who destroyed Custer at the Battle of Little Big Horn was a villain to Americans and a hero to the Sioux. Napoleon was a villain to the British and a hero to the French. Knights of Dark Renown played with this theme. It has always been one of my favourites.

On retrouve la sa vieille rengaine présente dans tant de ses romans sous forme d’une discussion sur la nature du bien et du mal. Ah je suis tout à fait d’accord avec vous monsieur Gemmell, le bien et le mal sont avant tout une affaire de point de vue mais, heu, comment dire, n’avez-vous pas l’impression de montrer l’exact inverse dans vos livres ?

Toute son œuvre n’est qu’une ode au combat du bien contre le mal, au fait que, tous, nous pouvons devenir des héros et aider les faibles. Rien n’est ambivalent dans ses histoires et certainement pas ses héros.

Les seuls personnages un peu plus nuancés sont (hormis Énée dans Troie) Wulf (L’Étoile du matin) et Attalus (Le Lion de Macédoine) qui pour le coup sont de vrais salauds qu’on pourrait retrouver dans du Grimdark. Sauf que ce ne sont en aucun cas les personnages principaux.

Femmes, amour, sexe

Ce livre est dédié avec amour à trois personnes qui me sont chères. Mon père, Bill Woodford, sans qui Druss la Légende ne se serait jamais dressé sur les murs de Dros Delnoch. Ma mère, Olive, qui a su instiller en moi l’amour des histoires où les héros ne mentent jamais, le mal ne triomphe que rarement, et l’amour est toujours vrai. (Remerciements de Légende)

C’est peut-être lié à son côté chrétien ou à sa vision du héros qui est avant tout un combattant mais Gemmell a toujours eu du mal avec les personnages féminins. Il n’y en a presque pas en personnage principal et les rares exceptions sont assez lamentable. Karis (Dark Moon) et Sigarni (La Reine Faucon) se résument à être des nymphomanes égoïstes qui adorent tuer. Il dit lui-même dans une interview qu’il déteste Sigarni et il pense probablement la même chose de Karis vu la proximité des personnages (c’est sans doute moins fort pour cette dernière vu qu’elle n’est pas le seul point de vue de Dark Moon).

Il y a quelques exceptions à cela, les plus belles étant Maev (Rigante) et Andromaque (Troie) mais aussi Jianna (Drenaï) et Halysia (Troie) mais, de manière générale, ses personnages féminins sont ratés. Elles sont monolithiques, tombent amoureuses du premier beau venu, doivent tout le temps être sauvées et sont inintéressantes.

Il n’y a pas que les femmes qui tombent amoureuses au premier coup d’œil ceci dit : le héros gemmellien est extrêmement superficiel. Toutes les femmes (qui ont des relations) de son œuvre sont d’une beauté à couper le souffle et les rares dont il nous dit qu’elles ne sont pas vraiment belles (Karis et Andromaque) n’ont, pour l’une, aucun mal à se taper la moitié de l’armée et, pour l’autre, se révèle finalement magnifique… Les histoires d’amour commencent au premier regard et il n’y a aucune place pour l’évolution des relations.

À une seule exception près (la première scène de Rigante, lorsque Connavar va chez la Fille-de-la-terre pour faire son éducation sexuelle), les scènes de sexe sont aussi calamiteuses que les batailles : la description se bornant à dire si le rapport a été doux ou passionnel. Il y a une autre exception vers la fin de Troie mais elle ne compte pas vraiment puisqu’elle a été écrite par sa femme mais il aurait de toute évidence dû la laisser en écrire davantage parce qu’elle au moins a l’air de savoir de quoi elle parle.

768
Je ne comprends pas l'intérêt de chercher le réalisme dans les romans de Gemmell. Il ne le cherche pas lui-même (comme il le dit ) et je ne le cherche pas en tant que lecteur.

Papy Druss au mauvais genou décime une armée avec une Snaga qu'il ne devrait même plus savoir porter ? Très bien, j'en redemande.

On lit du Gemmell parce que c'est épique et parce que c'est un bon divertissement.

Gemmell m'a donné beaucoup de plaisir il y a des années, quand j'étais ado. C'est sûr qu'en le relisant, c'est beaucoup plus grossier que dans mon souvenir, mais ça reste divertissant et je ne pense pas qu'il faille chercher plus chez lui.

770
Rek a écrit :Je ne comprends pas l'intérêt de chercher le réalisme dans les romans de Gemmell. Il ne le cherche pas lui-même (comme il le dit ) et je ne le cherche pas en tant que lecteur.

Papy Druss au mauvais genou décime une armée avec une Snaga qu'il ne devrait même plus savoir porter ? Très bien, j'en redemande.

On lit du Gemmell parce que c'est épique et parce que c'est un bon divertissement.

Gemmell m'a donné beaucoup de plaisir il y a des années, quand j'étais ado. C'est sûr qu'en le relisant, c'est beaucoup plus grossier que dans mon souvenir, mais ça reste divertissant et je ne pense pas qu'il faille chercher plus chez lui.

Amen !!

771
Bien sûr qu'on lit Gemmell pour le côté épique et badass, mais l'analyse qu'en fait Shalmy est très intéressante et permet de porter un autre regard sur l’œuvre entière de l'écrivain.
Memento mori

773
Tes textes sont très intéressant en tout cas Shalmy.
Par curiosité quelles sont les romans/cycles de fantasy que tu préfères ? (ce n'est pas de l'ironie, je suis curieux :p )

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@Rek : Je ne vois pas ça comme une question de réalisme mais de cohérence ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Je n'ai pas de problème avec papy Druss qui massacre une armée si c'est assumé. Sauf que Gemmell prétend que ses héros sont "monsieur tout le monde" et que tout le monde peut devenir Druss s'il en a envie ; que c'est un héros avec plein de points faibles et une part d'ombre.

Non non et non. Druss est Druss parce qu'il a gagné à la loterie générique et qu'il a une hache magique.

Si Gemmell n'était pas prosélyte (je ne parle pas de son message religieux mais bien héroïque) ça ne me poserait pas de problème, ce n'est juste pas trop ma cam. Sauf qu'en l’occurrence il le dit et le redit à longueur d'interviews : il écrit pour une seule raison, inspirer la jeunesse afin qu'elle se bouge. Et là ça me pose un problème.

@Eldwyst : Merci et je n'y vois aucune ironie rassure-toi. Rien de très original mais : Le Trône de fer, la compagnie noire, l'assassin royal (le premier cycle) pour des raisons très variées, Gagner la guerre, Rois du monde et Rigante (si si).

Dans un registre un peu plus confidentiell peut-être : Le Chevalier-Mage de Wolfe, le Livre de Cendres de Gentle et l'âge de la déraison de Keyes.

Edit : Pour élaborer un peu plus. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que Gemmell doit être vu comme une lecture pop corn sans prise de tête et c'est dans cette optique là que je l'ai (re)lu. C'était mon auteur préféré quand j'étais ado sauf qu'en fait je n'avais, à deux exceptions près (Dark Moon et la Reine Faucon) lu que ses meilleurs ouvrages. À son meilleur, Gemmell est un auteur génial et je me régale en le lisant. Je ne reproche absolument pas à Gemmell sa simplicité ou ses thèmes. Ce que je lui reproche c'est d'avoir écrit 33 livres en 27 ans dont la plupart sont au mieux médiocres. Pourquoi ne pas avoir davantage pris son temps pour nous proposer plus de Lion de Macédoine, Rigante et autres Échos du Grand Chant plutôt que de nous pondre les Pierres de Pouvoir, La Quête des héros perdus et autres romans tout à fait oubliables ? Ou plutôt, c'est ce que je lui reprochais avant de découvrir ses chiffres de vente (étonnamment bas) mais ça j'en parlerai dans la quatrième et dernière partie de mon analyse.

775
Je ne vois pas ça comme une question de réalisme mais de cohérence ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Je n'ai pas de problème avec papy Druss qui massacre une armée si c'est assumé. Sauf que Gemmell prétend que ses héros sont "monsieur tout le monde" et que tout le monde peut devenir Druss s'il en a envie ; que c'est un héros avec plein de points faibles et une part d'ombre.

Non non et non. Druss est Druss parce qu'il a gagné à la loterie générique et qu'il a une hache magique.

Si Gemmell n'était pas prosélyte (je ne parle pas de son message religieux mais bien héroïque) ça ne me poserait pas de problème, ce n'est juste pas trop ma cam. Sauf qu'en l’occurrence il le dit et le redit à longueur d'interviews : il écrit pour une seule raison, inspirer la jeunesse afin qu'elle se bouge. Et là ça me pose un problème.

Personnellement, je pars du principe que toute œuvre (même les plus " bas du front ") délivre toujours un/des messages politique, qu'il soient voulu ou non.
J'ai bien remarqué aussi ce délire de " l'homme fort " dans Gemmell.
Après Légend, Drenaï c'est un cycle un peu Reaganien dans l'esprit ? C'est un peu comme les Rambo de la fantasy on pourrait dire ? (j'ai pas lu des masses de Gemmell en fait).

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Après Légend, Drenaï c'est un cycle un peu Reaganien dans l'esprit ?

L'oeuvre entière de Gemmell est "Reaganienne dans l'esprit" ou, en tout cas, elle découle de la même logique que les films reaganiens. Gemmell trouve que la société européenne a été affaiblie par des personnes comme le président Ford qui ont voulu trouver des points positifs chez les Russes et ça le dérange. Il veut un méchant bien identifié et des héros capables de lui botter les fesses de manière spectaculaire pour édifier la jeunesse.

Son idole est John Wayne et il passe son temps à parler de Western et notamment du fait que, le jour où les Western ont proposé un message moins limpide avec des méchants gris et des héros imparfaits, le genre a perdu son âme et (en tout cas pour lui) tout intérêt et tant pis si ces westerns modernes sont plus fidèles à l'histoire : on s'en fiche ! Pour lui le héros doit être un parangon de vertu (en tout cas à la fin de l'histoire) et les méchants monochromes.

777
En réfléchissant à ces partis pris, je trouve que ça fait de lui un bon conteur et un mauvais moralisateur.

Bon conteur, dans le sens ou ses histoires fonctionnent indépendamment les unes des autres (et fichent quand même le petit frisson dans les passages les plus héroïques)

Mauvais moralisateur car il ne se rend pas compte que personne ne pourra atteindre la force d'un Druss (passage de la passe de Skeln où à 50 ans passé il perce quasi seul la ligne de bataille de l'élite ennemie) et dans le fait que ses héros n'ont pas les faiblesses qu'il décrit. Le genoux de Druss (pour reprendre l'exemple cité) n'est là QUE pour le rendre encore plus héroique avec un handicap. Sans ce problème il menait des contre attaques et allait prendre la tête du Khan au milieu du camp Nazir ^^. On parle de Waylander qui affronte plus ses ennemis à distance mais insiste bien sur le fait qu'il est bien meilleur à l'épée qu'avec toutes les autres armes. Etc, etc.

Du coup ses personnages sont plus des idéaux vers lesquels tirer que des exemples à suivre. Et leur morale est faite de bien et de mal, ce qui correspond sûrement à Gemmell, mais moins à la complexité du monde (qu'on trouve ça bien ou pas, c'est une autre histoire).


Bref j'attends la fin de ta critique complète pour répondre à tout de manière plus précise :-)

778
Je ne suis pas sûr qu'inspirer un idéal positif (ou disons positif selon Gemmell mais bon) soit une si mauvaise morale que ça, même si c'est naif ou simplet. Après c'est vrai que si sa morale c'est que l'homme doit forcément être fort, viril, sans fragilités, sans émotions, on est pas loin de tomber dans la masculinité toxique et c'est vrai que ça c'est plus problématique.

Quand à ses personnages manichéens et monochromes... Mouais, honnêtement je suis pas le dernier à reprocher à la Fantasy cette tendance à faire dans le réalisme, le cynique, la fidélité historique... Quand c'est pas pour nous donner des univers " FULL D4RKNESS " pour ados avec des personnages tous plus edgy les uns que les autres. (Bon après je dis ça mais j'accroche plutôt bien à Game of Thrones).
Du coup de la Fantasy simpliste et manichéenne, si elle me fait rêver et kiffer bah je prends. Tant que c'est pas trop lourdingue.

779
Drenaï


With White Wolf being rumoured to contain the first published map of the Drenai world did you initially have a rough design for your world or just make it up as you went along? In addition to this is there any truth in the rumour and have you based it upon any fan’s map that’s available?
DG : I made it up as I went along. And yes, the map we are using for White Wolf was created by Dale Rippke, an American reader.

Je ne voulais pas détailler chaque roman car c’aurait été trop long mais j’aimerais passé quelque temps sur Drenaï qui constitue quand même 1/3 de sa bibliographie.

Drenaï est pour moi un des plus gros gaspillage de temps et de talent de l’histoire de la Fantasy. Quand on passe 11 romans dans le même univers, on pourrait s’attendre à ce que celui-ci soit un minimum étoffé mais non, il ne tient pas la route une seconde sur le plan géopolitique et ce pour une très bonne raison : Gemmell ne planifie rien et part d’un personnage pour écrire ses histoires.

Le monde de Drenaï s’est créé au hasard des inspirations du moment de l’auteur et n’a donc aucune cohérence interne. Quand il en a besoin, il rajoute des royaumes qu’il n’avait jamais mentionné auparavant, il n’y a pas de langues, pas d’histoire, presque pas de culture (sauf pour les peuples d’inspiration asiatique) dans ses histoires. Tout est tristement générique avec des royaumes qui se ressemblent tous et qui, chacun à leur tour, dominent les autres avant de s’écrouler.

Un constat illustre très bien ce point selon moi : il s’écoule des siècles entre Waylander I et Les Guerriers de l’hivers (on va laisser le tome 11 de côté quelques instants). Et durant tous ces siècles rien n’a changé. Oui périodiquement un royaume prend l’ascendant et conquiert ses voisins mais au bout de quelques années ceux-ci se révoltent et chacun rentre dans ses frontières. Aucun royaume n’est jamais détruit, la géopolitique est inamovible et à une ou deux rares exceptions près il n’est jamais fait référence à des éléments de l’histoire qui ne seraient pas déjà inclus dans un bouquin (et qui indiqueraient que Gemmell a réfléchi en amont à la chronologie de son univers).

Puis débarque le tome 11 qui se passe des siècles et des siècles après les Guerriers de l’hivers. Là, oui, la carte du monde a changé sauf que c’est parce qu’une reine maléfique a conquit pratiquement tout le monde connu, sauf que presque tous les personnages importants sont morts il y a 1000 ans et ressuscités et on ne note une nouvelle fois ni progrès technologiques ni changements culturels (hormis l’acceptation des Fusionnés et encore).


Œuvres plus historiques


(...)With Sword in the Storm, Gemmell’s writing has moved on to a more reflective panoramic sweep-of-history level examining the currents that move both individuals and nations forwards. ‘I’m not comfortable with this,’ he says. ‘But I tend to be wary of the word ‘comfortable’. (…)


Depuis le début de ce bilan, je ne dis presque que du négatif or j’ai répété ici et là que je ne détestais pas Gemmell ou son œuvre et que j’aimais même beaucoup certains de ses livres. C’est que, même si sa prose est médiocre, Gemmell est capable, quand il y met un peu du sien, de créer des personnages extrêmement humains et attachants (Jaim Grymauch). Certaines scènes de Rigante, L’Écho du Grand Chant ou Le Masque de la mort sont extrêmement touchantes. Et, heureusement pour nous, Gemmell est, surtout vers la fin, de temps à autre sorti de sa zone de confort pour nous offrir des œuvres plus originales, moins manichéennes et, à mon sens plus réussie.

Rigante est un chef d’œuvre. Le dernier tome est peut-être en retrait (mais Gemmell a beaucoup de mal à finir ses histoires) mais, pour le reste, c’est brillant. Pourquoi ? Parce que, pour une fois, Gemmell nous montre la destinée (globalement malheureuse) d’un peuple sans y inclure (sauf à la toute fin) de combat contre le mal/pour sauver le monde. Ses héros ont du relief, des défauts, des objectifs, l’ennemi n’est pas maléfique mais a des objectifs très terre-à-terre lui aussi et les histoires comportent bien moins de clichés que d’habitude. Jetez un coup d’œil au tableau ci-dessus, les tomes de Rigante sont parmi ceux qui ont le moins de vert (Troie fait mieux mais, encore une fois, ce n’est pas de la Fantasy).

Le Lion de Macédoine aurait pu lui aussi prétendre à ce statut mais la deuxième partie gâche tout en faisant table rase du cadre complexe de la Grèce classique bien rendu dans la première pour y installer à la place ce stupide combat contre le Chaos. La première reste par contre excellente même si elle ne respecte pas toujours l’histoire (pauvre Epaminondas).

Et puis il y a le cas de Troie où Gemmell est passé à deux doigts d’écrire un autre chef d’œuvre mais qui est, pour moi, un beau gâchis pour deux raisons : 1° c’est un roman historique qui conchie l’histoire (et je ne parle pas seulement du respect de l’œuvre) et 2° la description de la guerre de Troie n’a aucun sens. Le tome 1 est par contre très bon.

Ce n’est pas un roman historique (absolument pas) mais comme c’est un des rares à qui j’ai mis 4 étoiles je l’indique ici aussi : L’Écho du Grand Chant est lui aussi très bon car Gemmell est sorti de sa zone de confort pour nous présenter la chute d’une civilisation certes brillante mais construite sur le sang des esclaves. Ses héros sont parmi les plus gris qu’il ait écrit (sauf le principal qui est un Bisounours) et l’ambiance qui se dégage de ce récit est géniale.

Chevalier blanc, cygne noir et Le Masque de la mort


If someone had asked me ten years ago what kind of writer I was going to be I would have said historical novelist.


Même si cela ne correspond pas tout à fait, je n’ai pas trouvé mieux comme citation dans ses interviews puisqu’il ne parle que très rarement de Chevalier blanc, cygne noir (et jamais de Le Masque de la mort qui est paru après sa mort).

Une fois sorti du cadre manichéen de l’heroic fantasy, Gemmell devient nettement plus efficace. Son message reste le même mais est nettement plus audible dans le cadre de l’Angleterre des années 1960-80. Ses héros sont, pour le coup, plein de défauts et leur rédemption semble naturelle.

Ce sont des romans qui ne sont pas parfaits mais qui méritent le détour : c’est du Gemmell mais en différent et c’est franchement bon.

Héritage

As a heavy smoker with high blood pressure and an appetite for vodka and chocolate there may not be too many years left to discover the secrets of the twins.

Ce message tristement prophétique a été écrit par Gemmell en 2004 soit deux ans avant sa mort à l’âge de 57 ans. Il aurait pu avoir encore une longue carrière et écrire au moins autant de livres que ce qu’il avait déjà publié mais, non, son cœur en a décidé autrement.

Il est bien sûr périlleux d’imaginer quel aurait pu être la suite de la carrière de Gemmell mais je pense qu’on peut sans prendre trop de risque faire deux constats : 1° elle aurait été de plus en plus historique (la prochaine série devait être consacrée à Constantin) et 2° de moins en moins axée sur le combat du bien contre le mal. Je trouve pour ma part que le troisième tiers de sa bibliographie est le plus mature et le plus intéressant (ce qui n’a rien de surprenant du reste) et j’aurais probablement adoré la majorité de ses écrits.
Ce n’est cependant pas tant cet aspect-là qui m’intéresse que celui de l’héritage de Gemmell. 13 ans après sa mort que reste-t-il de lui ? S’il on s’en réfère au classement établi régulièrement par TheWertZone (http://thewertzone.blogspot.com/2018/12/the-sff-all-time-sales-list-revised.html), Gemmell n’aurait vendu que quelques millions de livres. Ils admettent eux-mêmes que leurs chiffres manquent de précision (pour Gemmell) mais le constat est cependant implacable : hors du Royaume-Uni (et de France), Gemmell n’est un auteur qu’assez mineur en terme de ventes. C’est d’autant plus étonnant que, d’après moi, ses thèmes sont taillés pour le public américain mais il n’a jamais réussi à s’imposer là-bas. Alors que Martin approche des 100 millions de vente et que Goodkind a dépassé les 25 millions (…), Gemmell n’en est même pas à 5 avec pourtant plus de 30 livres écrits de son vivant.

Je vous avoue que je ne m’attendais pas à des chiffres aussi mauvais : je savais que Gemmell n’avait pas les scores de Martin ou Jordan (sans parler de Tolkien) mais je m’attendais à du 10-20 millions : même Guy Gavriel Kay en a vendu plus que lui ! ; à ce qu’il ait fait de belles ventes de son vivant mais que son œuvre ne lui ait guère survécu. La principale raison qui a fait que j’ai acheté (et donc lu) Gemmell en français et pas en anglais est qu’il n’existe pas d’éditions cohérentes de l’oeuvre de Gemmell. Certains romans ne sont même plus réédités alors que, de son côté, Bragelonne fait du très bon travail.

Cela change la structure de mon commentaire mais pas sa conclusion : Gemmell, malgré sa réputation (même si elle se limite à la France), n’a que peu inspiré. Très peu d’auteurs (à part Ian Graham, son héritier direct) le citent dans leurs inspirations et plus personne ne fait de la Fantasy comme lui en 2019.

Mon hypothèse est que Gemmell s’est retrouvé à écrire à la mauvaise période. Il détestait la High Fantgasy de Eddings et compagnie (alors que, ironiquement, son œuvre a pas mal d’aspect de High) et vouait un culte aux auteurs d’heroic fantasy de la grande époque mais la deuxième moitié de sa vie d’auteur correspond à l’essor du Grimdark et des 15 000 branches de la fantasy exotique qui font recette de nos jours. Je pense que, s’il avait pu continuer son évolution vers une Fantasy plus historique, plus mature et moins manichéenne, il aurait pu connaître un certain succès dans les années 2010 même si, certaines de ses déclarations très chrétiennes (et politiques) auraient sans doute hérissé la twittosphère. Malheureusement pour ses fans, Gemmell a vécu et est mort à la mauvaise époque.

Conclusion


Il y a des tas de choses dont je n’ai pas parlé ou pas en détail : la magie, le fait que tous les livres (sauf Troie) fassent partie du même univers, certaines de ses obsessions (pour les combats de MMA par exemple), le fait que la majorité de ses histoires ait une allure med-fan classique mais avec des systèmes politiques plutôt antiques (pas de féodalité, rarement de vrais chevaliers) mais ce bilan fait déjà 13 pages…

Je serai donc bref : pour moi Gemmell est, malgré une prose perfectible, un très bon conteur capable de créer des personnages extrêmement humain (rarement mais il en était capable) mais qui aura gâché son talent durant la majeure partie de sa carrière à cause de quelques petites choses. La mission qu’il s’est donné (édifier la jeunesse sur le combat contre la mal) gâche régulièrement de bonnes histoires et sa volonté d’écrire au moins un livre par an (si possible 2) et de ne pas prendre de note fait que plusieurs de ses œuvres semblent bâclées ou manquent de cohérence.

Quelqu’un capable d’écrire Rigante ne peut cependant que mériter mon respect le plus profond, il est juste dommage qu’il ait attendu plus de 10 ans avant de se mettre à écrire de la Fantasy un peu plus mature et réaliste dans son approche du monde. Il est mort à un moment charnière de sa carrière et je pense que la suite de sa production aurait été vraiment intéressante. Même Troie que je n’ai pas aimé pour d’autres raisons est une très belle évolution par rapport à ses œuvres de début de carrière.

780
Déjà je suis vraiment admiratif de ton travail, ce n'est pas évident de compiler toute la bibliographie d'un auteur + interview.
Mais du coup, ça rend ton travail remarquablement pertinent.

N'en déplaise à tous ceux qui répondent "je lis Gemmell pour m'évader" : vous avez tous raison... Mais shalmy a raison aussi, la critique a une raison d'être et les lacunes sont réelles. Ce qui n'empêche pas de le lire avec plaisir, aucun auteur n'est parfait. (on peut légitimement reprocher à Jordan un problème de rythme, à Tolkien un absu de descriptions, .... pourtant on adore les lire et les relire).

Ensuite j'aime beaucoup l'étude faite des objectifs avoués de Gemmell, et de la manière dont ils sont atteints. (Une fois de plus il n'y a pas de jugement il s'agit juste de voir si l'auteur est cohérent ou non entre ce qu'il écrit et ce qu'il en dit). Dans le cas de Gemmell, ça explique beaucoup de tics d'écriture et de thèmes, pourquoi la cohérence n'est pas toujours mise en avant... et ça dévoile quelques faiblesses dans certains personnages écrits maladroitement.

Bref, assez d'accord avec ta conclusion. Je ne veux pas m'aventurer dans un scénario "what if", je pense que ce n'est pas une bonne chose, mais j'ai aimé ce que tu imagines si il avait vécu.


question subsidiaire : te sens-tu assez masochiste pour faire la même avec un autre auteur ? Dans le genre "prolifique", on a Sanderson mais plus modestement on peut se pencher sur Martin qui n'écrit pas que GoT, ou sur Guy Gavriel Kay (et ensuite réfléchir à pourquoi l'un vend plus que l'autre, vu que tu semblais surpris)

en tous cas, merci à toi pour cette critique plus que construite !