Mélanie Fazi a écrit :Tybalt, par curiosité, tu pourrais me donner un exemple du genre de malentendu entre auteur et traducteur auquel tu penses ? Il me semble qu'on a déjà abordé le sujet ici et dans le podcast, mais j'ai beau y réfléchir, je ne vois pas quel genre d'incompréhension existerait qui ne puisse être résolue simplement en soumettant d'abord le manuscrit à des bêta-lecteurs pour voir si eux comprennent le projet et les intentions. Je crois que c'est des lecteurs en général qu'il faut s'inquiéter d'être compris, beaucoup plus que de l'éditeur. Enfin je n'ai pas l'impression qu'être mal compris par l'éditeur soit un risque si important à partir du moment où le projet est un minimum maîtrisé (et dans le cas contraire, c'est qu'il ne sera pas compris par les lecteurs non plus, donc qu'il y a effectivement un problème).
Désolé pour la réponse tardive ! Je repensais à ma question pour essayer de la reformuler plus précisément, mais j'avais du mal. Je suis tombé ce soir sur l'article de Lionel Davoust sur les limites de la critique
sur son site, et j'y ai retrouvé la même inquiétude que la mienne, sauf que la sienne porte sur la capacité d'un critique à élaborer une véritable analyse critique :
Lionel Davoust sur son site a écrit :L’autre extrémité, celle de l’analyse critique, est autrement plus périlleuse. Parce que pouvoir analyser un projet intelligemment signifie avant toute chose de
comprendre le projet dont il est question afin de le juger sur ses mérites intrinsèques et sur l’adéquation entre l’intention et l’exécution (sinon, on retombe dans le travers pointé par Megan Lindholm : regrette-t-on qu’un roman classique manque de zombies,
en dehors de celui-ci ?) Là-dessus, auguste lectorat, je te ramène à ces
deux articles ici publiés. Cela implique donc trois choses : a) une hauteur de vision, b) une culture dépassant l’œuvre seule, c) une certaine science opérante de la création.
Or, se prononcer sur ce que « devrait être une œuvre » (et qu’elle n’est donc pas) désigne en général deux métiers, et ce n’est pas celui de critique littéraire. Ce sont celui d’auteur (qui décide) et d’éditeur (qui propulse). Quand je lis d’une œuvre qu’ « il aurait fallu faire x ou y« , d’autant plus quand on n’en a pas identifié les enjeux, le projet dont il est question, je vais emprunter les mots d’Estelle hors contexte : « ça me gave ». Ces phrases lancées ne posent en rien leur auteur comme une autorité ; ou alors, il faut s’attendre à ce qu’on soit jugé sur les mêmes modalités, c’est-à-dire celles d’un critique professionnel, d’un éditeur, d’un auteur – et, dans ce cas, il convient de pouvoir argumenter de sa compétence.
Mon inquiétude correspond pile à la phrase en italique, sauf que je m'interroge sur la manière dont l'éditeur peut arriver à juger un manuscrit de cette manière.
Je m'explique : dans un manuscrit, il y a un propos qu'on peut comprendre directement à la lecture, mais il y a aussi tout un tas de contraintes possibles que l'auteur peut s'imposer, par exemple en fonction de sa documentation, et qui ne seront pas toutes explicites. La documentation est justement un bon exemple : un éditeur ne peut pas être documenté sur tout, tandis qu'un auteur peut avoir bossé à fond sa documentation sur le sujet de son manuscrit. Bien sûr, un texte peut être très bien documenté et complètement raté en tant qu'histoire. Mais pour que l'éditeur juge le manuscrit sans lui faire de faux procès, il faut qu'il soit au courant du détail du projet.
A priori, c'est le genre de chose que, côté éditeur, on peut préciser dans une note d'intention, et que, côté lectorat, on indiquera d'emblée sur un quatrième de couverture, si ça n'est pas explicité directement dans le texte.
Des exemples :
- quand Lionel Davoust parodie Dumas dans
Les Questions dangereuses, il y a un certain nombre d'éléments dans le texte qui font que le lecteur s'en doute (personnages de mousquetaires, France du XVIIe siècle alternative, jeux de mots, etc.) ; c'est précisé sur le quatrième de couverture quand même, mais on pourrait comprendre sans. A priori pas de malentendus possibles. Mais s'il avait réalisé un travail de pastiche hyper pointu, n'aurait-il pas précisé ça dans une note d'intention aux éditeurs afin qu'on ne lui reproche pas un style "trop suranné" ?
- quand Estelle Faye parle de son roman dans le post Facebook reproduit par Lionel Davoust dans le billet de blog dont je parle ci-dessus, elle évoque une documentation en matière d'histoire militaire et mentionne le rôle qu'elle a délibérément donné aux décisions irrationnelles voire absurdes dans son roman, sur la base de son travail de documentation historique. Le genre de malentendu auquel je pense serait typiquement le cas d'un éditeur qui, lisant son manuscrit, lui reprocherait de ne pas mettre en scène des stratèges logiques et réfléchis. Comment faire pour que l'éditeur se rende compte que ce genre d'aspect est voulu, et non le résultat d'une maladresse de conception ou de construction - et donc, comment éviter les mauvais procès ?
(Désolé, c'est long... J'espère que c'est plus clair !)