121
Et je rappelle qu'il y a une thématique forte qui se dégage des écrits du Patron (JRRT) avec une opposition entre une vie en symbiose et en respect avec la nature et une vie qui ne fait que la détruire (Elfes.../Orques...) qui n'a jamais été plus d'actualité (hors période COVID) qu'à notre époque.
Comme quoi, on peut faire de la Fantasy traditionnelle à Papa avec des thèmes actuels

122
Ce sujet porte sur la possibilité de faire évoluer le genre de la fantasy, pas (d'abord) sur le billet de M. Ruaud qui n'a servi qu'à relancer ce sujet. Quant à M. Ruaud, sauf erreur de ma part il ne cherche pas de textes. Ses soumissions sont fermées depuis longtemps.
Et pour ce qui est de savoir si le lectorat souhaite ou pas que le genre évolue, cela appelle bien d'autres questions : ce "lectorat" peut-il être à son tour défini par des caractéristiques qui le différencieraient des autres lectorats? Si oui, et peut-être plus largement encore, un auteur doit-il écrire en ayant en vue ce que souhaite un lectorat? Comme ces sites de rencontres virtuelles qui "matchent" deux personnes après avoir algorythmé leurs caractéristiques et souhaits, faut-il donner aux gens ce qu'ils souhaitent (ou croient souhaiter) pour les satisfaire? Sortir d'une nomenclature, d'une supposée attente, n'est-ce pas aussi se donner la chance, si rare aujourd'hui, d'être surpris, de ne pas aller où on a l'habitude d'aller, sortir du "si vous avez aimé ça, alors vous aimerez...". Le lectorat, il faut le bousculer aussi, peut-être bien. Quoi de plus enthousiasmant qu'une lecture qui nous permet de découvrir ce que nous aimons et pensions ne pas aimer ? Apprendre à connaître et comprendre ce que l'on aime, si jamais une existence y suffit, est aussi difficile que savoir qui l'on est, et il m'a toujours semblé que c'était une des précieuses vertus de l'art que de nous y aider un peu.

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S'il y a bien un truc qui ne va pas avec l'art, c'est le "il faut que".

D'ailleurs, cette discussion m'a fait penser à une intervention d'Ellen Kushner aux Utopiales de l'année dernière où elle disait qu'elle ne considérait pas forcément son ouvrage à la pointe de l'épée comme de la fantasy, mais que c'était un choix marketing de la part de son éditeur (il me semble que c'est celle-là).

La conférence est d'ailleurs pas mal car elle est raccord avec le sujet et ce que dit aussi Apophis sur une diversité qui date mais qui n'est pas forcément visible.

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Ekimus a écrit :On parle bien du billet du 7 mai sur lequel mène le lien ?
J'aime bien débattre, mais là, y a-t-il vraiment matière à débat.
Je vois juste ce texte comme un appel à manuscrits originaux, sortant des carcans de la Fantasy dite "traditionnelle"
Quand nous aspirons à la reconnaissance des diversités et à l’abolition des privilèges, si la fantasy relevait le défi de la démocratie et créait de nouvelles légendes, plus proches de nos rêves d’aujourd’hui ?
Et si vous les écriviez ?

Alors, oui. De nombreux auteurs ne l'ont pas attendu, mais il me semble qu'il dit juste ce qu'il recherche actuellement comme textes.

Débat très intéressant ! J'ai lu avec grand intérêt le billet d'Apophis qui donne / redonne plein de pistes de lecture.

Après, le billet de Ruaud, c'est pour moi de la récupération tirée par les cheveux de la crise Covid, tout simplement... La crise va-t-elle changer la fantasy ? Toute notre vie doit-elle changer après cet événement inédit, blabla. C'est d'ailleurs tellement flou comme billet qu'on dirait presque une commande. Bref, ça a eu le mérite de créer un débat très sympa à suivre pour mieux connaître le genre :)

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Franchement, on a déjà connu Apophis bien plus caustique, notamment sur ce forum, certains sujets s'en souviennent. ;)
D'autres devraient peut-être prendre plus de temps pour lire ce qui se fait depuis des années que pour blacklister les blogueurs qui ne sont pas d'accord avec absolument chaque coup de cœur. :giveup: Dès lors, le retour du bâton du milieu ne m'étonne pas vraiment.

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La Fantasy va évoluer parce que la société évolue, et que les auteurs de fiction (pas seulement les écrivains, et pas seulement de Fantasy) font partie de cette société, tout comme leurs lecteurs, spectateurs, auditeurs etc... Un livre des années 1950 reflètera les idées (et pas que les idées... tout ce qui concerne la société, en fait) des années 1950, comme un livre des années 2020 reflètera les idées des années 2020, influencé par le situation géopolitique, sanitaire, idéologique au sens large, de l'époque dans laquelle il a été écrit. Les livres datant de l'époque de la Guerre Froide avaient une forte tendance au manichéisme, le "mal" étant le plus souvent le totalitarisme. Les livres plus récents étaient bien plus "relativistes", en "nuances de gris", évoluant de plus en plus vers des "nuances de noir", vers le cynisme, le "tous pourris". Je ne serais guère étonnée d'un retour au manichéisme, le "mal" étant désormais le racisme ou l'intolérance sexuelle.
Et cela, même de façon inconsciente.
Et peu importe si cela se fait à travers des histoires "cliché", des histoires d"Heroïc ou de High Fantasy. Peu importe le style des auteurs ou leur soi-disant originalité.

Je me permetrai quand même de pousser un petit "coup de gueule" contre le patron des Moutons Electriques. Sérieusement, est-ce qu'il s'intéresse vraiment à ce qui est publié en Fantasy ? Parce qu'il y a belle lurette que la Fantasy ne se limite pas au "med-fan européen". Même les têtes de gondole ne se limitent pas au "med-fan européen". Il suffit de regardes les meilleures ventes, les livres adaptés au cinéma, à la télévision etc... Harry Potter, Twilight, La Tour Sombre, American Gods, A la Croisée des Mondes, Percy Jackson... c'est de la Fantasy, et ça n'a rien de médiéval.

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Je remonte le topic pour partager un billet de Ada Palmer (qui publie de la SF dont on parle ici).

:arrow: https://beforewegoblog.com/purity-and-futures-of-hard-work-by-ada-palmer/

C'est en anglais, mais j'ai trouvé ca pertinent (si on excepte la partie placement de produits à la fin) en cela que ca discute de comment la SF (et je pense que c'est applicable aussi à la fantasy) pourrait / devrait évoluer pour offrir des alternatives raisonnables et positives à la situation actuelle.

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Luigi Brosse a écrit :Je remonte le topic pour partager un billet de Ada Palmer (qui publie de la SF dont on parle ici).

:arrow: https://beforewegoblog.com/purity-and-futures-of-hard-work-by-ada-palmer/

C'est en anglais, mais j'ai trouvé ca pertinent (si on excepte la partie placement de produits à la fin) en cela que ca discute de comment la SF (et je pense que c'est applicable aussi à la fantasy) pourrait / devrait évoluer pour offrir des alternatives raisonnables et positives à la situation actuelle.

Il y avait un autre article en Français sur le "Solarpunk" qui est la même chose il me semble :

https://www.horizons-solarpunk.com/2021/11/17/quest-ce-que-le-solarpunk-selon-connor-owens/?fbclid=IwAR03fIpLDqgI-9jyVNtkZgCruPZKKNiFE1WKikkqCL1CuxdhZl3Ae0v0_Vo

Pour résumer ce mouvement est surtout fortement politisé, un mix entre "wokisme"/"progressistes", extrême gauche et écologisme radical.

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C'est dans la lignée de certains courants de l'imaginaire des années 60's et 70's issus de la contre-culture/philosophie Hippie.

Des œuvres typiques: Elfquest (pour la fantasy) et Star trek (pour la SF/space-opera).

Après, je pense qu'un manque de sincérité émane des articles précédents.

Il y a un réel désir de traire une opportunité financière chez les crispés de l'originalité qui brandissent des nomenclatures littéraires comme si c'était un arsenal culturel.

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Krell a écrit :Pour résumer ce mouvement est surtout fortement politisé

Le mouvement punk, politisé ? Sans blague :lol:
Prends garde, il paraît que les notions même d'utopies et de dystopies auraient également été inventées par des gens qui voulaient faire de la politique en écrivant des fictions (Thomas More et Platon, ces dangereux activistes).

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Le sujet initial est en effet intéressant, puisqu'il s'agit de savoir si l'on peut définir la Fantasy comme genre, ou bien si elle n'est qu'une étiquette offrant de multiples usages. Evidemment l'on verra dans cette présentation les deux excès possibles, l'un essentialisant le genre, et l'autre l'ouvrant à des usages divers. Deux risques donc : une fixation, sur des archétypes, et de l'autre une réactualisation (à mon sens détournement du geste initial) qui porte sur un mouvement permanent et donc une absence d'identité. J'ai bien connaissance des biais du premier, et c'est pourquoi j'ai plaisir à trouver des cycles qui apportent une certaine modernisation, sans toutefois s’enferrer dans des attentes idéologiques.
En revanche je crois que les débats actuels portent sur l'excès inverse, au sens où le mouvement anti-moderne inaugural se voit controuvé par les attentes idéologiques de l'époque, et en celà ne font pas qu'actualiser le genre mais bien en retourner les prémisses. D'où les constats désabusés de certains lecteurs. La lecture du Dictionnaire Tolkien au CNRS montre franchement une orientation idéologique qui à mon sens ne correspond pas à une démarche scientifique qui entendrait comprendre l'auteur comme il se comprenait lui-même, mais au contraire entend le lire avec les critères du présent. C'est ce biais, et donc cette avancée prétendue, car forte d'être de la dernière génération, qui me semble franchement contestable.

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Imaginer que la fantasy était anti-moderne à ses débuts est une vision mensongère et politiquement très connotée de son histoire. Les précurseurs les plus fameux de la fantasy avaient des idées on ne peut plus progressistes :

- William Morris était socialiste et révolutionnaire.

- George MacDonald, auteur chrétien de La Princesse et le gobelin, plaidait dans ses écrits et ses sermons pour nuancer la doctrine de prédestination calviniste en offrant à tous une chance d'accéder au pardon divin (chose que la prédestination ne permettait pas) et se souciait fortement de justice.

- André Lichtenberger, auteur des Centaures récemment redécouverts aux Etats-Unis puis en France, était un historien du socialisme.

- Hope Mirrlees, autrice de Lud-en-Brume, était proche de Yeats T.S. Eliot et Virginia Woolf, donc l'avant-garde littéraire londonienne de son temps, et elle a elle-même publié, outre des romans, un poème... moderniste.

- Des auteurs comme Lewis Carroll, J. M. Barrie ou Pamela Travers (créateurs respectivement d'Alice au pays des merveilles, Peter Pan et Mary Poppins) - auxquels on pourrait d'ailleurs ajouter George MacDonald - étaient si loin d'être anti-modernes qu'ils ont largement contribué, non seulement à doter la fantasy d'un imaginaire propre, mais aussi à faire émerger la notion de littérature de jeunesse, à savoir une littérature de qualité écrite spécialement pour les enfants, notion qui à leur époque était tout sauf évidente et souvent mal considérée, dans un contexte où on s'intéressait peu aux goûts des enfants en matière de fiction. C'est également le cas de C. S. Lewis et de Tolkien, qui plaide avec vigueur pour une littérature enfantine non stupide dans son essai sur les contes de fée.

- Rappelons également que Tolkien, dans Le Seigneur des Anneaux, montre des héros faibles et pauvres luttant pour conserver leur liberté et celle du monde connu, contre un seigneur du Mal assisté d'un magicien corrompu qui réduisent les peuples en esclavage. Si les parallèles possibles avec la Seconde Guerre mondiale ne suffisent pas à expliquer l'ensemble de l'intrigue, et si la Terre du Milieu est loin de s'y réduire, c'est absurde d'imaginer que Tolkien n'y pense pas en choisissant d'écrire son histoire. De même, sa sensibilité n'est pas tant anti-moderne que technosceptique, ce qui n'est pas la même chose, et sa pensée a certainement contribué à diffuser une sensibilité écologiste.

Très accessoirement, placer la discussion sur le terrain d'une orientation politique supposée du genre de la fantasy revient à faire du hors-sujet, puisque les articles dont on discutait ci-dessus parlent de... science-fiction.

Pour ma part, je trouve intéressant de tenter d'imaginer des futurs qui rendent l'espoir possible, en un temps où nous croulons sous les dystopies et les futurs désespérés. L'un des rôles de la SF est d'imaginer les possibles, et une société qui ne s'imagine que des futurs glauques et déprimants finit par devenir incapable d'avancer.
J'adore le postulat de base de Star Trek, où l'humanité a réglé la plupart des problèmes économiques, sociaux et médicaux de notre époque, où on peut guérir un cancer en avalant un comprimé et où l'activité principale consiste à explorer l'univers pour voir ce qu'il y a toujours plus loin.
Naturellement, on aura toujours besoin de romans comme 1984, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ou La Servante écarlate pour dénoncer les possibilités les plus glauques offertes par les technologies ou les systèmes politiques actuels. Mais on a aussi besoin d'autre chose.

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Tybalt a écrit :Imaginer que la fantasy était anti-moderne à ses débuts est une vision mensongère et politiquement très connotée de son histoire. Les précurseurs les plus fameux de la fantasy avaient des idées on ne peut plus progressistes :

Et E. R. Eddison, Poul Anderson, Robert E. Howard, Jack Vance, Lovecraft, Abraham Merritt, Dunsany, Clark Ashton Smith ?


- Rappelons également que Tolkien, dans Le Seigneur des Anneaux, montre des héros faibles et pauvres luttant pour conserver leur liberté et celle du monde connu"

Des héros faibles et pauvres ... Frodo/Merry/Pippin ce sont quand même de bons gros bourgeois donc pauvres ? à part Sam. Et le reste de la compagnie des fils/héritiers de rois/intendant/haut seigneurs qui ne sont ni faibles ni pauvres, bien accueillis dans toutes les maisonnées royales...

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Krell a écrit :
Tybalt a écrit :Imaginer que la fantasy était anti-moderne à ses débuts est une vision mensongère et politiquement très connotée de son histoire. Les précurseurs les plus fameux de la fantasy avaient des idées on ne peut plus progressistes :

Et E. R. Eddison, Poul Anderson, Robert E. Howard, Jack Vance, Lovecraft, Abraham Merritt, Dunsany, Clark Ashton Smith ?

Balancer des noms en vrac, c'est rapide, mais donner des arguments précis, c'est mieux. Ne pas confondre "les gens qui utilisent des mots anciens" ou "les gens qui ont eu des problèmes psychologiques" avec les anti-modernes, aussi.

Et puis rester dans le sujet accessoirement. Lovecraft n'est pas exactement cité comme référence de la fantasy par chez nous. Clark Ashton Smith, à la limite, mais en quoi ce poète serait-il anti-moderne, je me le demande ? J'ai découvert ses oeuvres il y a quelques semaines, avec une intro par S.T. Joshi, et Smith avait des idées très différentes de celles de Lovecraft, justement.
Quant à Poul Anderson ou Vance, ils n'ont rien à voir avec la choucroute : je répondais là au sujet des précurseurs de la fantasy et tu me sors des auteurs de SF morts au XXIe siècle... (Et Vance anti-moderne, mdr wtf ? Il bossait dans son coin, c'est tout.)

Krell a écrit :
Tybalt a écrit :- Rappelons également que Tolkien, dans Le Seigneur des Anneaux, montre des héros faibles et pauvres luttant pour conserver leur liberté et celle du monde connu"

Des héros faibles et pauvres ... Frodo/Merry/Pippin ce sont quand même de bons gros bourgeois donc pauvres ? à part Sam. Et le reste de la compagnie des fils/héritiers de rois/intendant/haut seigneurs qui ne sont ni faibles ni pauvres, bien accueillis dans toutes les maisonnées royales...

Les hobbits, des bons gros bourgeois ? A l'échelle du Comté, peut-être (Bilbo, mettons, les autres, ça se discuterait)... mais par rapport à n'importe lequel des héros qu'ils rencontrent, ce sont des pouilleux. La différence de classe est d'ailleurs régulièrement notée par Tolkien avec des détails comme la naïveté des hobbits et leur méconnaissance des usages des cours royales. Les hobbits qui rencontrent l'intendant du Gondor voient en lui "un gentil vieillard, très poli"... Alors bien sûr, on les accueille, mais gare aux contresens : dans l'univers de la Terre du Milieu, d'inspiration antique et médiévale, l'hospitalité est une coutume importante, mais être logé et nourri provisoirement ne signifie pas qu'on est honoré comme l'égal du maître des lieux. Le peu de considération à laquelle ont droit les hobbits transparaît très clairement auprès de nombreux peuples. Ils sortent littéralement de nulle part.
Sans oublier la faiblesse militaire du Comté.
Ah, et le fait qu'ils luttent pour leur liberté, contre un seigneur du Mal qui opprime les peuples. Tu as oublié cette partie-là :D

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Tybalt a écrit :Clark Ashton Smith, à la limite, mais en quoi ce poète serait-il anti-moderne, je me le demande ? J'ai découvert ses oeuvres il y a quelques semaines, avec une intro par S.T. Joshi, et Smith avait des idées très différentes de celles de Lovecraft, justement.

"à la limite" :D C'est en réalité un incontestable géant de la Sword & Sorcery (et de l'imaginaire de la Fin des temps), et une des meilleures plumes de l'histoire des littératures de genre. Et pour ce qui est des idées, Lovecraft et Smith en partageaient au moins une, et pas des moindres : le fait que l’homme n’a aucune place ou importance spéciale dans l’ordre cosmique, qu’il est insignifiant à l’échelle de l’univers.

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Tybalt a écrit :
Krell a écrit :
Tybalt a écrit :Imaginer que la fantasy était anti-moderne à ses débuts est une vision mensongère et politiquement très connotée de son histoire. Les précurseurs les plus fameux de la fantasy avaient des idées on ne peut plus progressistes :

Et E. R. Eddison, Poul Anderson, Robert E. Howard, Jack Vance, Lovecraft, Abraham Merritt, Dunsany, Clark Ashton Smith ?

Balancer des noms en vrac, c'est rapide, mais donner des arguments précis, c'est mieux. Ne pas confondre "les gens qui utilisent des mots anciens" ou "les gens qui ont eu des problèmes psychologiques" avec les anti-modernes, aussi.

Et puis rester dans le sujet accessoirement. Lovecraft n'est pas exactement cité comme référence de la fantasy par chez nous. Clark Ashton Smith, à la limite, mais en quoi ce poète serait-il anti-moderne, je me le demande ? J'ai découvert ses oeuvres il y a quelques semaines, avec une intro par S.T. Joshi, et Smith avait des idées très différentes de celles de Lovecraft, justement.
Quant à Poul Anderson ou Vance, ils n'ont rien à voir avec la choucroute : je répondais là au sujet des précurseurs de la fantasy et tu me sors des auteurs de SF morts au XXIe siècle... (Et Vance anti-moderne, mdr wtf ? Il bossait dans son coin, c'est tout.)

Poul Anderson = L'épée brisée (publié en 1954) entre autres oeuvres de fantasy
Vance : Dying earth (première publication en 1950)
Donc ces deux la si ils ont eu un impact majeur en fantasy ; tout comme les autres que j'ai cité et que tu as un peu oublié dans les précurseurs fondateurs.

Juste pour souligner qu'il est très dangereux de s'avancer à dire que tous les précurseurs/fondateurs fameux de la fantasy étaient progressistes en oubliant d'en analyser/citer plus de la moitié et qui pourtant ne sont pas des moindres.


Juste pour revenir sur Tolkien, certes 3 hobbits sur 4 sont des bon bourgeois de provinces naifs des usages du monde et peu soucieux d'en être informé mais n'oublie pas de qui ils sont accompagnés... du fait de leurs compagnons ils sont conduits directement en présence du potentat local (et ils ne sont pas logés à l'écurie...), je doute que le paysan moyen qui ferait du tourisme jouisse du même niveau d'hospitalité.

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Krell a écrit :Poul Anderson = L'épée brisée (publié en 1954) entre autres oeuvres de fantasy
Vance : Dying earth (première publication en 1950)
Donc ces deux la si ils ont eu un impact majeur en fantasy ; tout comme les autres que j'ai cité et que tu as un peu oublié dans les précurseurs fondateurs.

Juste pour souligner qu'il est très dangereux de s'avancer à dire que tous les précurseurs/fondateurs fameux de la fantasy étaient progressistes en oubliant d'en analyser/citer plus de la moitié et qui pourtant ne sont pas des moindres.

Ah, bien sûr, si on caricature le propos de quelqu'un, c'est plus facile de le contredire. Alors on reprend au ralenti, tu veux bien ?

Nakor affirmait ci-dessus que les "prémisses" du genre de la fantasy relevaient d'un "mouvement anti-moderne inaugural".

J'ai donc montré que c'est faux puisque nombre d'auteurs importants du genre, y compris à ses tout débuts, avaient des idées tout à fait différentes, ou n'avaient pas d'engagement particulier.

J'ai ainsi rappelé que la fantasy a toujours été écrite par des auteurs aux idées variées. Je n'ai jamais voulu instrumentaliser le genre pour mettre en avant mes idées en mettant le reste sous le tapis. Ça, c'est Nakor qui l'a fait.

Du coup, je suis tout à fait d'accord avec toi : les auteurs de fantasy ont des idées très variées et prétendre tous les rassembler sous une seule bannière politique, ou même sous une seule sensibilité artistique, est absurde.

Le paradoxe, c'est que Nakor passe son temps à s'en prendre aux gens qui veulent ouvrir le genre à plus de personnages différents, à des intrigues plus variées, à des sensibilités plus nuancées, etc. comme c'est le cas des écrivaines dans leurs billets de blog dont on parlait plus haut, en leur reprochant de fermer le genre, alors que c'est lui qui passe son temps à essayer de le réduire à une vision étriquée, commandée par des idées politiques très à droite. Pas étonnant qu'il aille de désillusion en frustration.

Et tout ce que je dis là n'a rien de bien miraculeux, ce sont des infos qui se trouvent dans tous les bons livres sur l'histoire de la fantasy et des littératures de l'imaginaire en général. Cette espèce de guerre de tranchées à coups de contradictions systématiques est donc bizarroïde et assez vaine.

Krell a écrit :Juste pour revenir sur Tolkien, certes 3 hobbits sur 4 sont des bon bourgeois de provinces naifs des usages du monde et peu soucieux d'en être informé mais n'oublie pas de qui ils sont accompagnés... du fait de leurs compagnons ils sont conduits directement en présence du potentat local (et ils ne sont pas logés à l'écurie...), je doute que le paysan moyen qui ferait du tourisme jouisse du même niveau d'hospitalité.

Franchement, je ne comprends pas l'intérêt de t'acharner à me contredire sur Tolkien. J'ai l'impression que tu polémiques pour le plaisir de polémiquer. Les hobbits, tout comme une bonne partie des héros de fantasy influencés par Tolkien, sont des personnages humbles qui suivent un parcours de roman d'apprentissage. L'aspect d'ascension sociale est moins visible chez Tolkien qu'ailleurs, mais il est bien présent. Je n'invente rien, hein, ouvre des livres analysant l'oeuvre de Tolkien et tu verras.

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Le problème avec ta relecture de la généalogie du genre c'est qu'elle semble écarter tout un pan qui ne correspond pas avec ton prisme. Dès lors, il est bien commode de se targuer d'être objectif tout en accusant l'autre d'instrumentaliser le genre, donc en ignorant ta propre orientation, pour ensuite tenter de me ranger politiquement, ce qui vaut disqualification. Les nuances de mon propos initial n'existent plus, il faut catégoriser pour expliquer, et non comprendre. Dire que la fantasy participe d'une réaction face aux désillusions de la modernité n'est pas infamant, à moins d'en tenir encore à une vision du progrès, une téléologie, bref au grand récit moderne qui remplace les autres; récit moderne qui est me semble-t-il assez fragilisé au point qu'on peine à dire notre présent (post-moderne ?).

Bakker a proposé une assez bonne lecture de l'esprit qui porte la Fantasy :
« la fantasy est la réaction de littérature primaire à ce qui est souvent nommé "crise contemporaine de signification" [...] Le pouvoir de la science pour monopoliser la rationalité a atteint un tel point qu'on ne peut plus poser la question, Quel est le sens de la vie ? et rester "rationnel". […] Le monde contemporain est un monde nihiliste, où tous les signes pointent vers le statut illusoire d'amour, de beauté, de bonté et ainsi de suite. Ce n'est pas pour dire qu'ils sont effectivement illusoires, seulement qu'à un niveau fondamental notre culture est antagoniste à la revendication qu'ils sont réels. Le nihilisme est une fièvre dans les os de la culture contemporaine, affligeant toutes nos revendications de sens avec la souffrance qu'elles soient fausses. […] Si la fantasy revient d'abord en arrière, si elle célèbre d'abord ces valeurs rendues hors de propos par la société post-industrielle, c'est parce que notre futur tient uniquement la promesse d'un nihilisme plus tranchant. La foi, rappelez-vous, est une croyance sans raisons. »

Et il précise le sens de sa propre démarche, laquelle ne me paraît pas en opposition ou si originale avec les oeuvres de fantasy antérieures :
« La tendance dans la plupart des fictions de Fantasy est de prendre soin des attentes morales des lecteurs, de dépeindre des mondes idéologiquement corrects et ainsi d’éviter tous les types de problèmes qui semblent se poser à moi avec ma fiction. En d’autres termes, la tendance est d’être contrit plutôt que critique (et ensuite de critiquer ceux qui refusent de s’excuser). Mon intérêt réside dans la laideur glorieuse qu’il y a à construire un monde traditionnel. Des mondes intolérants. Des mondes biaisés. Des mondes ‘‘humains’’ exposés à travers des expressions fantastiques. »
De la sorte il met bien au jour les inflexions contemporaines du genre, et il n'est pas absurde ou mensonger de penser qu'un certain divorce dans le genre est en cours.

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Tybalt a écrit :
Krell a écrit :Poul Anderson = L'épée brisée (publié en 1954) entre autres oeuvres de fantasy
Vance : Dying earth (première publication en 1950)
Donc ces deux la si ils ont eu un impact majeur en fantasy ; tout comme les autres que j'ai cité et que tu as un peu oublié dans les précurseurs fondateurs.

Juste pour souligner qu'il est très dangereux de s'avancer à dire que tous les précurseurs/fondateurs fameux de la fantasy étaient progressistes en oubliant d'en analyser/citer plus de la moitié et qui pourtant ne sont pas des moindres.

Ah, bien sûr, si on caricature le propos de quelqu'un, c'est plus facile de le contredire. Alors on reprend au ralenti, tu veux bien ?

Nakor affirmait ci-dessus que les "prémisses" du genre de la fantasy relevaient d'un "mouvement anti-moderne inaugural".

J'ai donc montré que c'est faux puisque nombre d'auteurs importants du genre, y compris à ses tout débuts, avaient des idées tout à fait différentes, ou n'avaient pas d'engagement particulier.

J'ai ainsi rappelé que la fantasy a toujours été écrite par des auteurs aux idées variées. Je n'ai jamais voulu instrumentaliser le genre pour mettre en avant mes idées en mettant le reste sous le tapis. Ça, c'est Nakor qui l'a fait.

Du coup, je suis tout à fait d'accord avec toi : les auteurs de fantasy ont des idées très variées et prétendre tous les rassembler sous une seule bannière politique, ou même sous une seule sensibilité artistique, est absurde.
.

Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur Tolkien mais peu importe.

Sinon l'avis de Klein est assez intéressant en la matière lien

"Or l'examen, même rapide, des origines de la Science-Fiction et de la Fantasy montrent qu'elles diffèrent entièrement. Si l'on accepte mon approche génétique de la Science-Fiction et qu'on applique la même à la Fantasy, à quelque époque que ce soit, on s'aperçoit instantanément que la Fantasy ne puise rien dans les images de la science mais s'abreuve à d'autres sources aisément repérables. Comme le relevait Jacques Goimard dans les pages de Fiction, il y a plus de vingt ans, à propos du cycle du Souricier gris de Fritz Leiber et de celui d'Elric le Nécromancien de Moorcock, il est aisé de la faire remonter au merveilleux des contes de fées, aux romans de chevalerie, voire aux chansons de geste à travers leurs nombreuses adaptations pour adolescents. On peut y ajouter le cycle arthurien et autres cycles bretons et carolingiens, le merveilleux chrétien pour quelques catholiques conservateurs comme C.S. Lewis et J.R.R. Tolkien qui abhorrent franchement la science moderne, divers emprunts aux folklores païens d'Europe (26), à la vieille littérature épique irlandaise, scandinave et saxonne, et à la mythologie nordique ; et (pourquoi pas ?) l'œuvre apocryphe d'Ossian, la Jérusalem délivrée du Tasse et le Roland furieux de l'Arioste, mais tout de même pas Georges et Madeleine de Scudéry. On peut aussi relever quelques emprunts plus ou moins directs aux société féodales chinoise et plus rarement japonaise. Dans un premier temps, des lettrés érudits, comme Tolkien, fabriquent à partir de ces sources des univers composites mais personnels que des épigones vont ensuite décliner avec plus ou moins de vergogne et de servilité.

Pendant que nous y sommes, considérons rapidement les sources originelles d'autres espèces littéraires réputées appartenir à l'embranchement de l'imaginaire et qui n'ont en fait ni lien entre elles ni origines communes.

Le fantastique classique, si l'on admet, comme je le pense, qu'il dérive du roman gothique anglais, procède d'une théologie populaire qui a réifié la surnature, l'au-delà, la mort et le mal, d'abord pour la tourner en dérision puis par un intéressant retournement pour en tirer les éléments d'un code si précis et si rigide qu'il finirait par donner raison à Propp (27).

Une quatrième catégorie littéraire réputée relever de l'imaginaire possède des contours moins bien définis et demeure presque impossible à singulariser comme espèce. C'est celle de l'insolite, du bizarre, de l'étrange, qui réunit si l'on ose dire, depuis Swift et Sterne au moins, des écrivains aussi divers qu'Edward Lear, Ambrose Bierce, Franz Kafka, Marcel Schwob, Jorge Luis Borges, Dino Buzatti, Italo Calvino et cent autres, tous reliés par un fil rouge aussi visible qu'indéfinissable. Au contraire des trois espèces précédentes qui doivent au moins une partie de leur substance à des sources qui leur sont extérieures, voire extérieures à la littérature proprement dite, et qui procèdent quelque part de croyances, celle-ci ne semble se repaître que de mots et d'idées, du pouvoir des mots de faire surgir par jeu un imprévu inquiétant. Son origine est à chercher dans une pure tradition littéraire, et c'est principalement à cette tradition que cherchait à s'ouvrir, en plaçant le mot de Fantasy à côté de celui de Science-Fiction, the Magazine of Fantasy and Science Fiction.

Mais même si l'on n'accepte pas mon approche génétique, les raisons, historiques, éditoriales, structurales, de contenu, abondent qui démontrent la nette séparation de ces espèces littéraires.

L'histoire de la littérature de Fantasy au fond récente demeure assez pauvre. On peut y distinguer trois époques, l'âge de l'innocence, la venue du Messie, l'ère des marchands.

Tous les auteurs du premier âge ont en commun un certain nombre de traits : ils sont cultivés, portés à la préciosité ou à l'érudition, légèrement excentriques et par exemple catholiques en Angleterre, gentlemen affectés en Amérique, nostalgiques d'un passé entièrement mythologisé, extrêmement conservateurs sauf lorsqu'ils s'affichent carrément réactionnaires, contempteurs de la modernité, et leurs écrits, souvent inclassables, représentent une protestation et un refuge contre ce qu'ils dénoncent comme la vulgarité de l'époque moderne. Ce sont des isolés, souvent des déçus de la vie et du monde, des solitaires, et leurs œuvres présentent très peu de signes d'intertextualité même s'ils se lisent et s'estiment parfois les uns les autres. En Amérique, ce sont Robert Chambers (28) (1865-1933), James Cabbell (29) (1879-1958) auxquels on peut ajouter Thomas Burnett Swann (30) (1928-1976) ; en Angleterre, ce sont William Morris (31) (1834-1896), David Lindsay (32) (1876-1945), E.R. Eddison (33) (1882-1945), C.S. Lewis (34) (1898-1963), Mervyn Peake (35) (1911-1968), et bien entendu celui qui constituera sans l'avoir voulu un genre, J.R.R. Tolkien (36) (1892-1973), sans négliger Mary Renault et pour certaines œuvres le poète et mythologue Robert Graves. En France, on pourrait ranger dans cette classe des inclassables Marianne Andrau (37). Il est à peine besoin de souligner qu'ils n'ont aucun rapport avec la Science-Fiction, sauf C.S. Lewis, et encore.

Le cas de William Morris est tout à fait intéressant : industriel par héritage, marxiste de cœur, philanthrope au point d'y laisser sa fortune dans l'édification d'une utopie, peut-il être tenu pour réactionnaire ou pis comme conservateur ? Seulement voilà, Morris, toute sa vie, n'aspire qu'à revenir au passé, à un Moyen Age très idéalisé : défenseur de vieilles pierres, épris des préraphaélites (excellents peintres mais qui ne sont pas exactement tournés vers l'avenir), il exècre la machine, l'industrie et ses pollutions, les villes tentaculaires, et il rêve de la libération du prolétariat par un retour au Moyen Âge, à l'artisanat, à la nature, aux corporations, forme idéale selon lui de l'organisation ouvrière. En un sens, il utilise Marx comme une protestation contre la modernité, fille du libéralisme, et il ne sera pas le dernier. Bien qu'il n'ait exercé aucune influence directe, ses goûts et ses détestations referont surface dans l'Amérique des années 1960. Il traduit aussi des sagas islandaises ce qui nous amène presque droit au monument du xxe siècle, John Ronald Reuel Tolkien.

Mais avant cela, il faut mettre en place quelques personnalités intéressantes qui n'appartiennent plus à l'âge de l'innocence et pas encore à celui des marchands sans constituer une ère à elles seules. Elles ont en commun d'avoir lu leurs prédécesseurs et de proposer sans trop de naïveté des épopées artificielles. Parmi elles, je rangerai, entre autres et sur une période qui va des années 1930 aux années 1960, Robert Howard (1906-1936), l'inventeur de Conan (à partir de 1932), Sprague de Camp (1907) et Fletcher Pratt (1897-1956) pour leur collaboration à partir de 1939 sur le cycle de l'Enchanteur, et en sus le premier pour les prolongements qu'il apporta à l'œuvre de Howard, et Fritz Leiber (1910-1992) qui commença par écrire de la Fantasy à partir de 1934 et passa à la Science-Fiction une dizaine d'années plus tard. J'y rattacherai pour la Grande-Bretagne Michael Moorcock (1939) qui commença de publier la saga d'Elric le Nécromancien en 1961, juste avant l'ère des marchands.

Ce qui est frappant, c'est que tous ces auteurs qui sont (ou cherchent à être) des écrivains professionnels, contrairement aux précédents, ou bien, comme Howard, n'ont jamais écrit de Science-Fiction, ou bien, quand ils ont écrit dans les deux genres, ne les ont jamais confondus et les ont même maintenus explicitement séparés dans leur œuvre.

Enfin, Tolkien vint, le Messie. Bilbo le hobbit (1936) écrit pour ses enfants, ne connaît guère de succès. Cela n'empêche pas ce spécialiste réputé des textes médiévaux de consacrer les quinze années suivantes à la rédaction d'une épopée de son cru pour adultes érudits, le Seigneur des anneaux (1954-1955). Elle est d'emblée vouée à la confidentialité comme l'avait prévu son auteur. Mais comme les voies de la culture sont impénétrables, après une dizaine d'années d'obscurité, elle atteint les campus américains où elle explose. Des éditions pirates innombrables se répandent, jusqu'à ce qu'en 1967 Ballantine, éditeur sur lequel on reviendra, publie « la première édition américaine brochée officiellement autorisée ».

C'est qu'une sorte de révolution culturelle a eu lieu, qui fleurira brièvement sur les pavés en 1968. La population des campus s'est énormément gonflée en quelques années et beaucoup féminisée, les jeunes femmes américaines ayant enfin massivement accès à l'université. Une partie de cette nouvelle génération, ayant lu par ouï-dire Thoreau et Kerouac, écoutant Dylan, Joan Baez et les Beatles, bénéficiant d'une prospérité et d'un confort jamais atteints mais angoissée par le spectre de la guerre nucléaire et les souvenirs d'une guerre de Corée pas si lointaine, en attendant le Việt Nam, ne voit pas dans la technologie les moyens du rêve américain. Elle se veut pacifiste, écologiste, féministe, œcuméniste, tiers-mondiste et à l'occasion marxiste tendance baba-cool. La génération hippie, guitares sèches, laine vierge et feux de bois, ne se reconnaît pas dans la Science-Fiction, même critique, et se délecte de Tolkien. Avec elle, le New Age commence, qui situe l'avenir dans le passé et va faire du fou mystique une industrie.

Ce sont aussi les enfants de Disneyland, du rêve préfabriqué et de l'historique en toc, de l'herbe et des MacDos, en attendant le Coca light.

En ce sens précis, on peut donner raison à Jacques Goimard sur une partie de l'article cité. Il y a bien eu succession, au moins partielle, de générations. Mais il n'y a pas eu de succession de genres (la Fantasy aurait détrôné la Science-Fiction) ni d'évolution d'un genre vers l'autre (la Fantasy serait le nouvel avatar de la Science-Fiction). Des commerçants avisés vont immédiatement comprendre le sens du succès faramineux de Tolkien. Mi par admiration imitative d'un modèle qu'il s'agit de reproduire dans le détail, mi par souci de satisfaire un marché qui réclame à l'envie qu'on lui raconte toujours la même histoire, les épigones de Tolkien vont se multiplier et produire à partir de 1965 en Amérique une Fantasy de masse en éditions de poche. Ainsi se constitue en très peu d'années un genre fortement stéréotypé et sans véritables racines. On ne peut certes pas exclure que dans cette marée certaines vagues soient montées plus haut que les autres et que certains auteurs aient été plus sincères et plus talentueux que la moyenne de leurs confrères.

Le terme de Fantasy prend alors son sens actuel et supplante celui de Sword and Sorcery en même temps que s'efface, peut-être parce qu'il est inquiétant, l'adjectif weird (étrange, bizarre, avec une connotation délicieusement perverse). Lorsque, au début des années 1950, apparaît the Magazine of Fantasy and Science-Fiction, le terme de Fantasy est loin de signifier ce qu'il voudra dire à partir de la fin de la décennie suivante quand il deviendra pratiquement le synonyme de Sword and Sorcery à d'infinitésimales nuances près. Ses créateurs entendent indiquer qu'ils s'ouvriront à d'autres formes littéraires que la Science-Fiction pure et dure, telles que le Fantastique, l'étrange, l'insolite, et marquent implicitement leur différence. De la Fantasy au sens récent du terme, ils ne publieront pratiquement jamais.

Et lorsqu'à partir de 1967, Ballantine, l'éditeur américain de J.R.R. Tolkien, publie ce qui n'est pas encore vraiment une collection de Fantasy classique, confiée en 1969 à la direction de Lin Carter (38), cette maison qui édite par ailleurs depuis le début de la même décennie une excellente collection de Science-Fiction, la place sous la dénomination d'adult Fantasy. Elle y édite un certain nombre de classiques, surtout britanniques, dont James Branch Cabell, William Morris, David Lindsay, Lord Dunsany, E.R. Eddison et Mervyn Peake. Aucune passerelle n'est jetée entre les deux séries, pas même sous forme de publicité interne aux volumes, et aucune confusion n'est possible avec la Science-Fiction. La dénomination d'adult Fantasy est intéressante : elle montre bien que la chose alors ne va pas de soi et elle correspond un peu à notre expression « contes de fées pour adultes. »

Les jeux de rôles, imaginés dans leur forme moderne par le génial savetier Gygax au cours des années 1970, s'inspirent directement de Tolkien et proposent une façon de vivre dans son univers jusqu'à ce qu'une série de procès rompe définitivement le cordon ombilical et autonomise à peu près Donjons et dragons. La Science-Fiction, attaquée dans son fief, la jeunesse universitaire, va céder relativement un peu de terrain. Vers le milieu des années 1980, la Fantasy l'emportera légèrement, au moins en nombre de titres publiés en anglais par an, environ 600, sur la Science-Fiction, environ 500 (39). Dans les années suivantes, un léger déclin de la Fantasy rééquilibrera les choses. Ce déclin semble aujourd'hui se préciser au profit d'autres espèces littéraires, comme le Fantastique moderne : et si Stephen King était le Tolkien de notre fin de siècle ?

Jamais, ni aux états-Unis ni en Angleterre, les deux genres, Science-Fiction et Fantasy, ne se sont trouvés confondus, ni dans les catalogues des éditeurs, ni dans leurs publicités, ni dans les critiques, ni dans les travaux universitaires. Les quelques sondages disponibles indiquent que les publics diffèrent assez largement par leur composition, celui de la Fantasy étant nettement plus jeune et plus féminin. Une revue professionnelle comme Locus qui a fait presque d'emblée à la Fantasy une place à côté de sa vocation première, le monde de la Science-Fiction, a toujours maintenu séparés les deux genres, et ses critiques sont en gros spécialisés dans l'un ou l'autre. Il existe des Conventions, réunions annuelles des amateurs et auteurs, spécialisées pour chacun des deux genres. De même les prix littéraires anglo-saxons et les jurys qui les décernent sont bien distincts. Un spécialiste incontesté comme John Clute qui a publié avec Peter Nicholls une remarquable Encyclopedia of Science Fiction, prépare son pendant pour la Fantasy et répète à qui veut l'entendre que les deux genres sont absolument différents (40).

Diverses autres caractéristiques internes viennent préciser la différence radicale entre Science-Fiction et Fantasy. Ainsi, les œuvres de Fantasy présentent un caractère volontairement anhistorique, pour ainsi dire revendiquent cette anhistoricité, tandis que les œuvres de Science-Fiction non seulement se situent pour la plupart dans un avenir en continuité avec l'histoire passée, mais fondent leur vraisemblance sur cette continuité et pour certaines d'entre elles, prétendent même constituer des histoires du futur sur le modèle, plus ou moins naïvement simulé, des histoires du passé.

Par anhistoricité, j'entends que pour la Fantasy ces œuvres, bien qu'elles adoptent presque toujours un décor pseudo-médiéval, avec en prime dragons, licornes et efficacité des superstitions, ne peuvent pour ainsi dire jamais être situées dans une époque connue ou même concevable de l'évolution des sociétés humaines, ce qui les différencie radicalement du roman historique, même fantaisiste. C'est que leur propos est de nier tout autre changement que celui de la dominance alternée du Mal et du Bien. En un sens, elles décrivent un monde idéal (ce qui ne veut pas dire parfait, ni même idyllique) et statique, où la répétition des cycles a pris la place du progrès et où les valeurs et leurs contraires sont fixées une fois pour toutes (41). Il n'y a pas de place pour l'histoire autre qu'événementielle (les noms des rois et des batailles) parce qu'il s'agit de revenir une bonne fois pour toutes à ce que les auteurs considèrent comme définitivement bon pour les humains et qui, à les entendre, a été malheureusement perdu en cours de route par l'humanité ces derniers siècles, d'où la nécessité de chercher dans le passé un modèle de la “vraie” vie.

J'ai été longtemps porté à admettre que malgré toutes ces différences, il existait une certaine interfécondation entre les espèces littéraires et donc de nombreuses œuvres hybrides se situant à la lisière des genres. Après avoir passé beaucoup de temps à chercher et à étudier celles qui semblaient répondre à ce critère (42), j'ai dû finalement reconnaître, à mon grand étonnement, qu'il y en avait très peu, et que les rares qui résistaient à l'analyse étaient particulièrement atypiques, c'est à dire en général produites spécifiquement pour occuper cette position en une sorte de défi littéraire lancé aux lecteurs et à la critique.

La trilogie du Silence de la Terre (1938) de C.S. Lewis fait bien une large place au merveilleux chrétien, mais au moins dans le premier volume et dans le dernier, elle sacrifie aux figures obligées de la Science-Fiction : voyage interplanétaire dans un astronef, exploration d'une planète Mars dont les caractéristiques géologiques sont extrapolées de ce que l'on en imaginait à l'époque sur la foi de certains astronomes (les canaux), savants militaristes, etc. Le second volume est proprement inclassable et son transport du héros sur Vénus par un ange évoquerait bien certaines figures de la Fantasy du premier âge comme dans un Voyage en Arcturus de David Lindsay, si les anges eux-mêmes n'étaient devenus des extraterrestres dans le premier volume.

L'œuvre de Jack Vance relève pour l'essentiel de la Science-Fiction, parce qu'elle se situe dans un avenir, fut-il lointain, même si elle ressemble parfois à de la Fantasy : on se trouve ici en présence d'une Science-Fiction qui imite délibérément la Fantasy. Elle illustre à merveille la boutade de Clarke selon laquelle toute science suffisamment avancée ne peut pas être distinguée de la magie ; du point de vue de son effet sur l'ignorant, peut-être, mais non dans ses procédures : elle ne se fonde pas sur les principes de la magie, comme l'analogie et le pouvoir des noms et des incantations qu'exploitent les romanciers de la Fantasy et aussi Ursula Le Guin dans la série atypique déjà citée.

De même une partie de l'œuvre de Farmer (43) explore les limites de la liberté que peut s'offrir un auteur de Science-Fiction mais elle ne renonce pas aux contraintes logiques du genre.

J'admets certes que les œuvres de Farmer et de Vance se rapprochent de la Fantasy dans la place qu'elle donnent au désir et à la morale en particulier. Je tiens seulement à faire remarquer qu'elles ne sont pas imaginables, dans les œuvres de leurs auteurs, et dans la littérature en général, sans faire référence à leurs origines dans la Science-Fiction, alors que l'œuvre de Tolkien n'en découle absolument pas.

On a parfois établi un lien entre l'œuvre d'Edgar Rice Burroughs (1875-1950) et celle de Robert Howard, et par là raccroché rétrospectivement la première à l'Heroïc Fantasy de la seconde. Certes l'information scientifique de Burroughs n'était pas des plus rigoureuses, et les voyages psychiques de John Carter vers Mars dans la série martienne évoquent plus la Fantasy que la Science-Fiction. Mais tout indique qu'il s'agit là d'une convention littéraire, liée à la difficulté pour lui de décrire un véhicule adéquat à un contemporain de 1912, et peut-être symbolique de son profond désir d'échapper à sa condition difficile de représentant en taille-crayons. Dans la suite de la série, il fait preuve d'une imagination technicienne débridée qui en fait parfois un visionnaire et ne s'écarte jamais des voies de la rationalité au moins formelle. Dans ses séries ultérieures (Pellucidar (1914), Vénus (1932)), il n'usera plus de cette facilité, imaginant au contraire des moyens techniques élaborés pour se rendre par exemple à l'intérieur de la Terre creuse. De même les innombrables escarmouches dont sont émaillés les récits de Burroughs ne doivent rien aux batailles médiévales mais beaucoup aux guerres des tribus indiennes. S'il a emprunté quelque chose, c'est à Fenimore Cooper plus qu'aux chansons de geste (44).

Une partie de l'œuvre de Gene Wolfe, le cycle du Bourreau, correspondrait peut-être le mieux à la notion de passerelle entre genres. Encore penche-t-elle sur le versant de la Science-Fiction, alors que dans d'autres œuvres, Gene Wolfe écrit délibérément, avec autant de sophistication et de préméditation, de la Fantasy.

C'est dans des ouvrages très récents que le pont, ou plutôt la confusion délibérée, s'est réellement établie, notamment dans ceux qui décrivent des univers de réalité virtuelle, appartenant à la Science-Fiction, dont les règles internes et les décors relèvent de la Fantasy la plus classique. Outre que ce sont là des métaphores transparentes, ou bien des extrapolations futuristes, des jeux de rôles tolkieniens, les auteurs y poursuivent manifestement le rêve de conquérir deux publics à la fois.

Mes lectures et mes réflexions m'ont donc conduit à penser, contre la préconception que j'en avais, que tout se passait comme si les frontières entre espèces littéraires étaient aussi imperméables que celles entre espèces biologiques. Ce qui me semble poser un problème assez surprenant en matière culturelle pour que la sociologie littéraire y consacre quelques efforts.

J'avais du reste déjà rencontré cette question lorsqu'avec François Nédelec, j'avais entrepris, dans les années 1980, de créer des jeux de rôles français et en particulier de Science-Fiction. À notre relatif étonnement, la tâche, sans être impossible, s'était révélée plus difficile que prévue et nous avons compris pourquoi la plupart des jeux de rôles, à l'époque au moins, habitaient des mondes de Fantasy, bien au delà de l'influence de Tolkien. C'est que les règles du jeu dans la Fantasy sont surtout liées à des attributs personnels (pouvoirs) des joueurs et des P.N.J. (45), tandis que dans la Science-Fiction les caractéristiques de l'univers et des machines sont primordiales, si bien que cela demande une grande cohérence des règles et un apprentissage plus difficile. De ce point de vue, les jeux historiques rejoignent structurellement les jeux de Science-Fiction.

Cette différence illustrait bien ce que je crois être la distinction fondamentale entre Fantasy et Science-Fiction. La première relève du roman d'éducation, ayant trait à l'évolution personnelle et en particulier éthique et morale, du héros en crise, et donc du lecteur (46), la seconde du roman d'exploration. J'en ai trouvé une belle démonstration mais je n'ai pas assez de place ici pour la noter.

Reste à s'interroger, sociologiquement sur la stratégie de la seule collection, Pocket, naguère Presses-Pocket, et du seul éditeur, Jacques Goimard, qui ait présenté et défendu l'idée de cette insoutenable continuité. Les autres lui ont très mollement, ou jamais, emboîté le pas. Cette stratégie est simple. Goimard ayant longtemps publié à peu près exclusivement de la Science-Fiction, souvent excellente, dans une collection qui se présentait sous ce terme, a tenu à continuer à profiter de ce sigle et à capitaliser sur l'installation acquise de la S.-F. dans le lectorat français. Il n'avait pas envie, ou pas la possibilité, de créer une nouvelle collection, distincte, et a préféré introduire de la Fantasy dans l'existante. Il a observé, comme beaucoup d'autres, l'évolution du marché de la Fantasy outre-Atlantique et supposé qu'elle préfigurait la situation française. Il a voulu aussi capitaliser sur le goût des jeunes joueurs de rôles pour la Fantasy. Enfin, l'existence d'interminables séries dans la Fantasy permet à l'éditeur d'économiser ses forces et d'espérer jouer sur la fidélité des consommateurs.

La seule énigme qui demeure est de savoir pourquoi cet éditeur compétent et historien a tenu à justifier théoriquement et historiquement, contre toute évidence, cette continuité insoutenable. Elle appartient peut-être à l'inconscient.

Si j'ai insisté à ce point sur cette affaire, c'est qu'Anita Torres y voit le lieu d'une opposition sociologique entre orthodoxes et hétérodoxes, vieux croûtons campant sur leurs habitudes et novateurs audacieux, voir révolutionnaires, alors qu'il ne s'agit que d'une controverse artificielle et d'une stratégie marketing. On ne peut pas cependant passer sous silence des harmoniques plus inquiétantes.

Cette controverse évoque en effet, sans lui ressembler, celle qui agita modestement les pages de Fiction et alentours, à la fin des années 1950 et au cours de la décennie suivante, sur les rapports en ce temps là entre Fantastique et Science-Fiction. Les amateurs des deux genres étaient assez différents, encore qu'il y avait une petite population commune. Les tenants du fantastique s'efforçaient déjà de nier ou du moins de minimiser la différence, comme Jacques Sternberg dans un recueil d'articles au titre limpide, une Succursale du Fantastique nommée Science-Fiction (47), ou comme Robert Kanters qui mêlait les deux genres dans une collection déjà fameuse pourtant baptisée "Présence du Futur", et qui y revenait chaque fois qu'il pouvait dans ses déclarations. L'objectif, plus ou moins avoué, de cette réduction était de minimiser l'originalité de la Science-Fiction, de lui dénier sa charge subversive, de la ramener à un insolite traditionnel où le robot cohabiterait paisiblement avec le fantôme (48), et, en dernière instance, de dénier l'originalité et la puissance de la science elle-même. Au bout du chemin, il y avait le Matin des magiciens et la confusion délibérée, exploitée à des fins mercantiles et idéologiques, de la magie et de la science. Mais cela est une autre histoire.

Il n'est pas certain que la problématique soit si différente aujourd'hui.

Cependant, tout n'est pas noir, loin s'en faut. De même que certains amateurs du Fantastique vinrent à la Science-Fiction dans les années 1950 à travers l'œcuménisme de Fiction, même si les deux publics demeurèrent pour l'essentiel séparés et sociologiquement distincts pour ce qu'on en sait, des lecteurs, en particulier jeunes et féminins voire amateurs de jeux de rôles, peuvent aujourd'hui découvrir la Science-Fiction à partir de leur intérêt pour la Fantasy ou pour le Nouveau Fantastique (et inversement) sans bien percevoir au départ les différences. Les lecteurs sont fort heureusement éclectiques, du moins faut-il l'espérer."