33
par Targnult
Mage
:? Bon, ça y est, je l'ai vu, et cela commençait bien : pas de queue à la séance de 14h. Pourquoi ? v.o. tout simplement (à y réfléchir, c'est assez déprimant).Un an d'attente, le DVD version longue en boucle depuis le 13 novembre, deux relectures de la trilogie (une en français, une en anglais), bref, je piaffais d'impatience, et pas de veine, je suis déçu.Déçu ? Pas par les images, toujours somptueuses (et je fais partie de ceux qui supportent les mouvements de caméra tournoyants chers à Jackson), pas par la vision des créatures, des sites et des habitants d'Arda que propose le réalisateur (costumes et armures superbes, Ents très convaincants - j'apprécie que l'on ait tenu compte de leur diversité botanique, montures des Ringwraiths crédibles et pas du tout dinosauriennes, Mûmakil à l'échelle, Porte Noire grinçante à souhait, forteresse de Helm's Deep convaincante (il n'y a qu'à chercher à comprendre le texte de Tolkien, toujours très évasif dans les descriptions, pour comprendre la difficulté de la tâche des modelistes), et un Gollum si humain (pardon, hobbitesque) qu'il en devient plus touchant que la plupart des autres personnages.La déception vient d'ailleurs : la Communauté, de l'aveu même du réalisateur, un peu dur avec lui-même en cela (la scène du Balrog ? de l'exposition ? Non, Pete, on est en plein dans la trame narrative, et avec un sacré talent, ne sois pas trop modeste), constitue une longue et minutieuse exposition, qui permet d'étoffer doucement les personnages, de respecter le rythme du roman et de suivre les questionnements apocalyptiques qui régissent l'action. Les choix, quelquefois discutés, se justifient toujours, et enrichissent même le texte, voire le corrigent (Ah Boromir, quelle étoffe !). Dans Les Deux Tours, le ballon se dégonfle :- on fait subitement fi de la profondeur patiemment insufflée aux personnages : Aragorn se transforme en jeune premier malchanceux (tomber du précipice, quand même !), alors qu'il commençait à déployer une envergure royale dans la scène finale de la Communauté, Legolas devient un fier-à-bras de film alimentaire hong-kongais, Gimli, le pauvre, après l'émouvante scène de la version longue avec Galadriel, redevient un comique troupier (il ne pète pas, certes, mais il rote, si, si, devant Théoden en plus), et son amitié avec son compagnon elfe est à peine effleurée. Que dire de Faramir, si droit et si Numénoréen (du bon côté du tempérament) dans le roman, et qui devient ici un sombre crétin buté, ce que Jackson avait précisément épargné à Boromir ; on en vient à plaindre Eowyn par anticipation (alors que dans le roman, on se dit que certes, elle est fière, belle et touchante, mais que le Faramir, en Ithilien, il ne va pas rigoler tous les jours avec une nana pareille !). Parlerons-nous d'Elrond, de protecteur bienveillant du monde menacé devenu père incestueux et grincheux ? Paradoxalement, les seuls à tirer leur épingle du jeu sont les personnages que Tolkien néglige (j'excepte le merveilleux Gollum, je le dis encore) : Grima et Eomer (bien peu présent hélas).- Les ajouts ou les modifications apportés par Jackson paraissent ici d'une vanité inquiétante : la scène des wargs, beau combat au demeurant, s'émaille de pitreries de Gimli et s'achève par une fausse mort d'Aragorn, scénaristiquement simpliste et que rien ne justifie ; le comportement de Théoden surprend constamment : à quoi bon déployer les ruses de Grima et les sortilèges de Saruman pour rendre inoffensif un personnage qui une fois libéré de sa torpeur va se mettre à accumuler les couardises : il refuse le combat, tout en agitant son épée avec frénésie, il transforme l'expédition audacieuse de Helm en fuite avec armes et bagages où l'on se barricade au fond d'un trou, il geint sans arrêt, bref, il est encore plus utile à Saruman éveillé qu'abruti. La défense héroïque des Eorlingas, titanesque dans le roman, s'efface : la bataille est magnifique, certes, mais où sont les Rohirrim ? des enfants, des vieillards chenus que l'on affuble d'armes rouillées (qu'Aragorn a le culot d'admirer pour remonter le moral des troupes !), et un régiment d'Elfes cuirassés (que sont-ils allés faire dans ce guêpier : il n'y a rien à défendre là-dedans, ah si, des femmes et des enfants apeurés que le réalisateur se complaît à nous montrer toutes les trente secondes ? Pleurez, mes bons spectateurs, compatissez à leur détresse !) menés par Haldir-le-téléporté (il vient de Fondcombe, dit-on, alors qu'on l'a laissé chez lui quelques jours plus tôt en Lorien : on peut passer le Caradhras, maintenant ? pourquoi pas, tant que c'est dans l'autre sens), personnage sympathique et étoffé, mais déplacé ici, en particulier quand il annonce qu'il vient renouveler l'alliance des Elfes avec les Hommes (les Gondoriens, passerait encore, mais les Rohirrim ? Ils ne sont rien aux Elfes). Osgiliath en flammes, enfin (à quoi bon brûler des ruines ?), où l'on se traîne par une nécessité douteuse, qui impose au malheureux porteur de l'Anneau des traversées de L'Anduin à répétition (suivez les dialogues, c'est édifiant) et qui place Frodon au plus fort de la bataille et même face à un Nazgûl alors que l'itinéraire suivi et tous les efforts de la Communauté dissoute visent la discrétion et réussissent dans cette entreprise (à quoi bon regarder dans le palantir ? à quoi bon aller défier la Porte Noire ? Sauron saura déjà qui possède l'Anneau et où il se trouve).Bref, je me demande comment, tout en collant parfois à tel point au texte de Tolkien que c'en est émouvant, dans les dialogues en particulier (trop rares, les dialogues !), le script peut s'éloigner autant de l'esprit du roman, alors que le premier épisode respectait précisément bien plus l'esprit que la lettre, et je le comprends d'autant moins que tout a été tourné en même temps.