Anna a écrit :Dernièrement, j'ai lu dans Les Dépossédés d'Ursula K. Le Guin une scène d'amour magnifique (il y en aurait beaucoup d'autres à citer dans son œuvre, à vrai dire). Shevek est un physicien de génie, sa femme Takver également scientifique. Ils ont été séparés plusieurs années. Voici la scène de leurs retrouvailles (c'est p.364 dans l'édition de poche) :
"Shevek observa Takver ; elle lui retourna son regard. Elle avait vieilli de plus de quatre ans. Elle n'avait jamais eu de très bonnes dents, et en avait maintenant perdu deux, juste derrière une canine, si bien que le trou se voyait quand elle souriait. Sa peau n'était plus aussi fine, et ses cheveux, retenus en arrière, étaient ternes.
Shevek vit clairement que Takver avait perdu la grâce de sa jeunesse, et avait l'air d'une femme sans grande beauté, fatiguée, approchant du milieu de sa vie. Il vit cela plus clairement que toute autre personne. Personne n'aurait pu voir Takver à la façon dont il la vit, à la lumière des années d'intimité et des années d'attente. Il la vit telle qu'elle était.
Leurs yeux se rencontrèrent.
-- Comment... comment ça s'est passé, ici ? demanda-t-il, rougissant tout à coup et parlant visiblement sans but précis.
Elle sentit cette vague palpable, le jaillissement de son désir. Elle rougit aussi légèrement, et sourit.
-- Oh, rien de neuf depuis que nous avons parlé au téléphone, répondit-elle de sa voix rauque.
-- C'était il y a six décades !
-- Les choses ne changent pas beaucoup, par ici.
-- C'est très joli cet endroit... les collines.
Il vit dans les yeux de Takver les ombres de ces vallées montagneuses. La force de son désir sexuel augmenta soudain, et il se sentit étourdi un instant. Puis il surmonta temporairement cette crise et tenta de demander à son érection de s'atténuer.
-- Tu penses vouloir rester ici ? demanda-t-il.
-- Je m'en moque, répondit-elle, de sa voix étrange, profonde et rauque."
J'ai trouvé incroyable la façon dont l'autrice parle ici du désir des deux époux, loin, très loin des poncifs habituels sur les ingrédients censément indispensables à l'attirance entre un homme et une femme.
Il y a une tendresse très forte entre ces deux personnages aussi, plus tout jeunes j'imagine. C'est le genre d'amour qui se transforme avec le temps, pour devenir quelque chose d'autre, avec une saveur particulière... Très beau passage en effet. J'aime bien la discussion banale pour cacher les ressentis des personnages, il y a quelque chose de très vrai et de très touchant...
Ca me fait penser que je n'ai jamais lu cette autrice, et qu'elle est dans mon challenge des 12 auteurs à découvrir cette année !
Sinon, une lecture récente coup de foudre que j'ai faite, c'est L'hiver de la sorcière de Katherine Arden. Le dernier volume de la trilogie d'une nuit d'hiver met en scène une Vassia plus adulte, plus fougueuse, aventurière, qui lutte contre beaucoup de choses, dont son attirance pour Morozko, qu'elle ne comprend pas forcément.
J'ai adoré ce qui se tisse entre eux, là aussi très différent des romances littéraires. On se demande presque s'il existe vraiment, si ce qui se passe entre eux existe réellement, tant on se place à des niveaux de réalité différents. Leur relation explose dans ce tome, qui est en plus le point d'orgue de la trilogie, c'est décoiffant et très puissant.
Bref, je trouve que cette histoire d'amour et celle que j'entretiens avec ce bouquin méritait sa place ici, même si c'est un titre qu'on voit beaucoup passer et qui n'est pas très surprenant
![Sourire :)](./images/smilies/smile.png)