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Utiliser un registre polémique qui englobe non seulement son sujet, mais aussi ses destinataires, et ensuite venir se draper dans son ego en se plaignant d'avoir été traité de troll, c'est du comique de caractère, mon bon monsieur ! :DSur le fond, je ne te donne pas tort : à plus d'un titre, Bilbo est le brouillon du Seigneur des Anneaux, et il est probable que le premier ne serait pas passé à la postérité sans le second. Cela étant, malgré ses défauts de jeunesse, The Hobbit reste un roman remarquable, précisément parce que la méthode romanesque de Tolkien y décante. Loin de moi l'idée de contester ton ressenti sur le livre : chacun ses goûts, et c'est très légitime. En revanche, certains éléments que tu pointes comme des faiblesses, sur le plan littéraire, n'en sont pas forcément.Tu n'aimes pas le côté décousu du roman ; c'est ton droit, mais il faut aussi savoir que c'est une esthétique littéraire comme une autre, qu'à une époque on appelait la bigarrure. Du reste, le roman n'est qu'apparemment décousu. Dans sa structure, il porte en fait l'empreinte de ses origines orales, quand le récit devait se décomposer en péripéties autonomes, susceptibles de former des épisodes à raconter aux enfants au cours d'une soirée. De façon empirique (et, compte tenu de la culture médiéviste de Tolkien, probablement consciente), le Hobbit revient à la forme originelle du roman, le romance anglais ou le roman de chevalerie français. Ces textes, à l'origine, ont été conçus pour être déclamés à haute voix devant un public, ce qui explique qu'ils sont souvent segmentés en petits épisodes autonomes, rattachés plus ou moins lâchement à l'intrigue principale.Il n'en demeure pas moins deux fils directeurs forts dans le roman : la chasse au trésor et l'évolution de Bilbo. Tout l'intérêt de la chasse au trésor réside dans son dénouement : il n'est pas attendu. Le récit est faussement convenu : le mal n'est pas seulement incarné par le gardien, mais par la cupidité qui embrase les cœurs des Nains, des Hommes, des Elfes et des Orcs. Ce qui nous vaut un roman avec deux acmés, procédé très original. Quant à Bilbo, c'est un personnage dynamique, qui évolue sensiblement au fil du texte (dans une moindre mesure, c'est également le cas de Thorïn). Cette évolution du personnage principal reste une thématique transversale au récit, qui confère une certaine cohésion à des épisodes disparates.Enfin, le texte comporte de vrais morceaux de bravoure (les énigmes dans le noir, la traversée de Mirkwood, le dialogue avec le dragon) qui sont déjà du niveau du Seigneur des Anneaux. A mes yeux, Smaug demeure le dragon le plus réussi de toute la littérature contemporaine. Quant au pourrissement de la situation menant à la bataille des Cinq armées, il se rapproche du tragique silmarillien. Mais Bilbo n'entre pas seulement en écho avec les autres œuvres de l'auteur : il exploite et revitalise des motifs mythologiques ou littéraires anciens, et cette intertextualité discrète, venant nourrir un roman de divertissement, confirme ses qualités littéraires.Edit : Et puis n'oublions pas que sans Bilbo, Le Seigneur des Anneaux n'aurait jamais été écrit. C'est le rapide succès du premier qui a provoqué la commande du second, alors que Tolkien n'avait absolument pas envie de reprendre ses hobbits ni de continuer à traiter du Troisième Âge. Rien que pour ça, Bilbo est un roman majeur ! 
