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Bonjour,N'ayant pas vu de chronique sur ce jeu et me disant qu'il devrait intéresser certains elbakiniens, voici ma critique du JDR Anneau Unique, que je pratique depuis plus d'un an, en espérant qu'elle vous donnera envie de le découvrir.Tom------Introduction L'Anneau Unique est un jeu de rôle basé sur l'univers de J.R.R. Tolkien, édité par Sophisticated Games / Cubicle 7, et distribué en France par Edge Entertainment. Il a pour cadre les Terres du Milieu, peu après l'expédition de Bilbo en Erebor, et donc une cinquantaine d'années avant l'histoire racontée dans le Seigneur des Anneaux. D'autres jeux de rôle ont déjà eu pour cadre les Terres du Milieu, bien évidemment JRTM (Jeu de Rôle des Terres du Milieu) de I.C.E et Le Seigneur des Anneaux de Decipher Games, mais beaucoup jugeaient qu’ils n'arrivaient qu'imparfaitement à retraduire l'esprit et l'ambiance des livres. C'est donc avec une ambition de coller plus fidèlement à l'esprit de l'œuvre que cette gamme récente (édition française datant de 2012) a été lancée. Le système de jeuLes personnages joueursChaque personnage joueur est caractérisé par son Peuple et son Origine, choix qui influenceront ses caractéristiques, compétences initiales, et équipements de départ. Ces éléments seront complétés par la sélection d'une Vocation, raison pour laquelle le héro part à l'aventure, amenée à renforcer certaines caractéristiques. Le joueur a une liberté de personnalisation bien évidemment, mais elle n'est pas totale, ce qui conduit tous les personnages possibles à avoir des forces et des faiblesses, y compris pour les combats. Cette difficulté à réellement "optimiser" les personnages rebutera certains adeptes du "min-max" mais elle se révèle très intéressante pour l'équilibre et la dynamique de groupe que le jeu cherche à instaurer. Les compétences sont réduites à une quinzaine, et bien équilibrées de manière à trouver un usage spécifique et valorisant dans le jeu (y compris des choses comme Artisanat ou Chant).Les Traits, hérités des Origines et de la Vocation, complètent intelligemment les caractéristiques en créant des éléments de personnalisation qui viendront renforcer la contribution de chaque joueur à l'histoire, élément-clé du système qui trouve là un équilibre précieux entre mécanismes de JDR classiques et approche plus narrative.La résolution des actions Le système, classique, s'appuie sur l'usage de D6 liés aux compétences auxquels on ajoute un D12 représentant les aléas du Destin. Un seuil de difficulté doit être battu pour qu'une action réussisse, les '6' augmentant les niveaux de réussite. Le D12 possède deux faces spéciales, la face "Rune Gandalf" qui octroie un succès automatique, et l'Œil de Sauron qui peut aggraver certaines situations.Le système fait la part belle à plusieurs aspects forts de l'œuvre de Tolkien, à savoir les Voyages, les Rencontres et les Combats. Le système de Voyage définit des rôles et des défis qui devront être relevés lors du trajet, insistant notamment sur l’accumulation de fatigue et l'impact sur les capacités des personnages. Les Rencontres font jouer la réputation du personnage, les préjugés des autres peuples et les (bonnes et moins bonnes) manières de se présenter.Les Combats sont résolus assez simplement avec notamment un mécanisme de choix de posture d'attaque bien pensé, qui évite les longs débats tactiques pour se concentrer sur la narration. Les Combats prennent bien entendu une place de choix dans le jeu mais tuer des adversaires n'est pas une fin en soi, et les affrontements peuvent être mortels et doivent souvent être évités. L'usage des Traits, est encouragé pour permettre des réussites automatiques et faire progresser son personnage.Le système de résolution est très lisible et fait appel à peu de modificateurs, il est donc particulièrement adapté aux joueurs qui préfèrent une continuité dans la narration, plutôt qu'à ceux qui souhaitent avoir une règle pour toute les situations. A ce titre il fonctionnera particulièrement bien pour les Maîtres du Jeu ayant un peu d'expérience, capables d’utiliser leur bon sens pour adapter à la volée des règles "ouvertes" dans les situations un peu limite, plutôt que pour ceux qui préfèrent un système entièrement cadré.Espoir, Communauté et OmbreL'un des points forts du jeu est d'avoir mis en son cœur un tryptique thématique fort qui caractérise l'œuvre de Tolkien : l'influence corruptrice de l'Ombre, à la fois explicite (les monstres, les lieux maudits, etc), et plus subtile (le doute, la soif de pouvoir, le repli sur soi, etc.), qui vient s'opposer à l'Espoir que portent en eux les héros au début de leurs aventures. L'Espoir est une ressource rare, fort utile à des personnages débutants car elle permet de transformer les échecs en réussites, mais elle n'est pas facilement renouvelée et les personnages de haut niveau n'en disposeront qu'en faible quantité. Seuls des liens forts de Communauté entre les héros permettront d'en regagner, et tout personnage ayant un faible niveau d'Espoir prend le risque de voir l'Ombre l'envahir, ce qui peut conduire à des réactions très différentes (accès de folie, changement de comportement, volonté de quitter les Terres du Milieu pour les elfes…). Les phases dites de Communauté sont l'occasion de renforcer les liens entre les personnages, ou de panser ses plaies auprès de ses proches.Il est important de noter que le jeu ne permet pas, dans sa configuration de base, de jouer des personnages sous influence de l'Ombre (orques, trolls, etc.) , car la thématique centrale en serait affectée.L'univers du jeuOn ne fera pas l'injure de présenter l'univers des Terres du Milieu ; sa richesse et sa profondeur en font un terrain d'exploration immense. Il est toutefois à noter que le jeu, en tout cas dans sa version de démarrage, fait un choix audacieux : se focaliser dans le temps et dans l'espace de manière assez forte. L’action se déroule à la fin du Troisième Age, juste après la mort du Dragon Smaug et le départ de Dol Guldur du Nécromancien. Les Peuples Libres connaissent alors un espoir de paix durable, mais ne tarderont pas à déchanter lorsque Sauron révèlera sa présence au Mordor.Le jeu s'inscrit avant tout dans le cadre géographique des Terres Sauvages, un territoire peu peuplé délimité à l'Ouest par les Monts Brumeux, et à l'Est par le Long Lac, comprenant notamment en son sein l'immense Forêt Noire (Forêt de Grand' Peur).Tous les peuples des Terres du Milieu ne sont donc pas jouables dans la version de base, et certains regretteront de ne pas pouvoir jouer de Ranger ou d'Elfe d’Imladris, mais des suppléments officiels couvriront sous peu de nouvelles cultures, et les ressources de fans disponibles sur Internet commencent à être pléthoriques (en anglais) et de très bonne qualité. On notera que les Hobbits, qui ne sont pas natifs des Terres Sauvages, sont quand même proposés comme culture jouable, le contraire n'étant pas envisageable !La magie existe mais elle reste subtile. Il n'y a donc pas de vocation de magicien / lanceur de sorts, plutôt des capacités que certains peuples peuvent acquérir naturellement ou avec de l'expérience. La discrétion ou la chance des hobbits, par exemple, n'a rien de magique mais constitue une capacité aussi intéressante que la magie des elfes sylvains.Les suppléments sortis en français sont d'excellente facture et très bien traduits : Contes et Légendes des Terres Sauvages propose des aventures assez classiques mais bien réalisées et nécessitant peu de préparation. Le Guide des Terres Sauvages explore chaque région en détaillant un peu la flore, la faune, les lieux et personnages importants. L'écran du Maître est agrémenté d'un guide de la Ville du Lac particulièrement réussi. Le supplément Ténèbres sur la Forêt Noire propose une campagne particulièrement épique centrée sur le peuple des Hommes de Bois et la Forêt Noire, couvrant près de trente années-jeu d'aventure !Jouer dans l'univers de Tolkien ?Alors que les adaptations cinématographiques du Hobbit battent des records au box office, que les jeux vidéos se déroulant en Terre du Milieu sont en général de très gros succès, il est surprenant de constater que le monde de Tolkien n'est pas une référence aussi forte que l'on pourrait le croire dans le jeu de rôle. On peut immédiatement contrer cette affirmation en arguant que d'une certaine manière Donjons & Dragons (ou d'autres systèmes orientés Fantasy) peuvent tout à fait permettre de jouer dans les Terres du Milieu, mais l'essence de l'œuvre de Tolkien n'y est pas intrinsèquement soutenue par le système de jeu, le MJ devant produire un effort d'adaptation significatif.La force de l'Anneau Unique, qui se distingue ainsi de ses prédécesseurs, est de proposer une lecture du monde de Tolkien basé sur des valeurs fortes, et d'organiser le jeu autour de ces valeurs. On se démarquera donc des jeux favorisant l'accumulation de richesses, de pouvoir et d'expérience en tuant des monstres (ces aspects existent aussi dans l'Anneau Unique mais ils ne sont pas centraux) pour valoriser le fait d'écrire une histoire héroïque sur un fond tragique, mettant plus en avant l'esprit d'équipe, le sacrifice, le lien entre les peuples contre l'inexorable montée en puissance de l'Ombre. Il est donc à noter que le jeu s'adresse en cela à des rôlistes recherchant autre chose qu'un nettoyage de donjon (en notant au passage qu'il n'y a rien de mal au nettoyage de donjon) ou qu'une course effrénée à la puissance. A ce titre on pourra rapprocher l'Anneau Unique de Pendragon, autre système basé sur des valeurs fortes.Jouer dans l'univers de Tolkien présente de nombreux avantages, à savoir un monde détaillé, une histoire riche, des personnages connus, une profondeur immersive totale. Ces points forts peuvent toutefois se révéler difficiles à porter tant le jeu est ambitieux : retranscrire l'ambiance particulière des Terres du Milieu, madeleine de Proust pour de nombreux joueurs, n'est pas si facile et l'on peut parfois se sentir prisonnier d'un carcan. En outre la fin de l'histoire - détaillée dans le Seigneur des Anneaux - est connue, ce qui peut enlever un élément de tension important. Le Maître du Jeu hésitera donc entre une recherche absolue de vérisimilitude, potentiellement limitative, ou une approche plus ouverte, l'essence du Jeu de Rôle étant aussi dans l'improvisation, l'imagination un peu débridée et l'absence de contraintes.Il conviendra donc de trouver le juste équilibre entre respect de l'œuvre, et originalité / créativité / liberté afin de préserver l'intérêt du jeu et offrir aux joueurs la meilleure expérience possible. Savoir parfois sortir de l'approche canonique pour proposer une vision alternative de la Terre du Milieu où rien n'est joué d'avance peut aussi s'avérer excitant - si tout le monde partage ce point de vue.ConclusionL'Anneau Unique est un jeu ambitieux, qui cherche non seulement à transporter les joueurs dans un monde d'une incroyable richesse, mais aussi à leur faire appréhender cet univers à l'aune des valeurs incarnées par les héros des romans de Tolkien. Ses mécanismes sont particulièrement fluides à l'usage, même s'ils nécessitent un peu d'expérience pour être bien maîtrisés. L'équilibre entre les différents types de personnages, la thématique dramatique de fond, et la qualité des suppléments en font un jeu à très grand potentiel. Son accessibilité pour les joueurs novices et son approche en rupture avec certains canons du genre en font un bon candidat pour faire venir au jeu de rôle un public potentiellement rebuté par la dimension parfois trop individualiste, brutale ou cynique de certaines productions JDR actuelles.On soulignera également la mise en page, les illustrations magnifiques, les textes très immersifs qui nous replongent dans la beauté sauvage des Terres du Milieu et créent une envie de jouer immédiate, digne mise en valeur de ce qui est aujourd’hui sans conteste le meilleur jeu de rôle inspiré par l'œuvre de Tolkien. Points forts :•Respect de l’esprit de l'œuvre de JRR Tolkien•Equilibre des peuples, toutes les options sont intéressantes•Mécanismes Espoir et Ombre•Système accessible•Encouragements à la narration partagée•Illustrations, qualité d'écriture et immersion : on peut acheter le livre rien que pour cela !•Communauté (anglophone) très activePoints faibles :•Livre de base très agréable à lire, mais difficile ensuite de retrouver des informations!•Pas de version PDF proposée en français•Bestiaire un peu classique•Manque un peu de notoriété en France