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par Altan
Elbakinien d'Or
Je viens de finir cette tétralogie qui m’a pleinement conquise, j’ai mis moins d’une semaine pour avaler les trois derniers tomes.Greg Keyes nous donne à lire une formidable uchronie, dénuée de faux pas. On imagine sans mal le travail rabattu par l’auteur pour réaliser cette déviance historique cohérente. D’ailleurs, il est plaisant d’effectuer des petites recherches pour se rendre compte à quels points le contexte historique est parfaitement respecté, plus encore celui des illustres personnages ; tout est vrai : l’enfance de Franklin à Boston, l’exile de Voltaire à Londres, la dépression de Newton, les études de Linné à Uppsala, l’expansionnisme du tsar Pierre, sa rivalité avec le roi de Suède, etc. Mais cela ne suffit pas pour obtenir l’ « effet papillon », il faut, une fois la déviance effectuée à partir d’un changement qui bouleverse tout le système monde (le mercure philosophale) que l’Histoire soit crédible, car elle change, mais les personnages non, il ont un passé, un caractère propre qui mènera à ce qu’ils effectuent certaines actions et pas d’autres. Et Keyes réussi cet amalgame complexe, si bien que tout est ficelé et non instable.J’arrête là mais je voulais tirer un coup de chapeau à la structure de ces romans. Ce qui habille celle-ci est du même acabit, c’est une délectation que de suivre des personnages comme Franklin et Adrienne. Dans le premier tome, à l’instar de leurs éthérographes, ces derniers se font merveilleusement écho, le rythme est rapide et intense. Dommage que les deux derniers tomes pâtissent un peu d’un rajout de trames, mais ces histoires bis sont parfois superbes (celle de Red Shoes) et bien sûr nécessaires. Car on assiste, surtout à partir du troisième opus à une montée en puissance pour finir à une apothéose intense en émotions, peu commune dans la fantasy historique. C’est vrai qu’à certains moment l’intrigue est un petit peu trop fluide, la faute aussi à des quatrièmes de couvertures qui n’en sont pas (plus proche de résumés) ! Nous avons affaire à une saga intelligente, plus réflexive qu’ambitieuse, les échanges entre les scientifiques célébrissimes sont à la hauteur de leurs renommées (cela aussi demande du travail que de cerner les pensées globales de chacun). On ne peut pas dire que les propos tenus sont balancés à la va-vite, ni que Keyes s’appuie sur les noms qu’il utilise pour les faire paraître réalistes. Non, la science/magie éthérique est travaillée avec brio, et cela donne lieu à des dialogues et à des réflexions voire même à des actions dont on apprécie l'intellect. De toute façon, l’histoire ne serait pas viable sans ce socle idéologique qui en est le moteur. Il ne le serait pas non plus sans les protagonistes lumineux qui en font tourner les rouages : Franklin, Newton, Voltaire (que j’apprécie particulièrement, peut être aussi pour d’autres raisons externes…), Red Shoes (à noter que les peuples indiens représentés et leurs pensées, mises en valeur par la nouvelle science, sont d’une profonde réalité), Adrienne, Lomonossov,… et sans l’espace qui les accueille, les deux premiers tomes étant prenant pour les lieux parcourus et les rencontres qui en découlent. Les idées développées sont loin d’être risibles. Le fond empli d’interrogations sur la croyance religieuse et le danger potentiel du progrès scientifique fait de cette série un emblème et un pavé dans la marre contre ceux qui considère la fantasy comme l’anti-technologisme primitif.L’épilogue sur la liberté résumant toute cette œuvre en témoigne. Une saga essentielle.