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par Littlefinger
Elbakinien d'Or
Arf, j'ai beaucoup de retard dans mes critiques mais allez commençons par Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow :Nous sommes en 2001, les Tours du WTC s'effondrent et le monde bascule. C'est le début, pour la CIA et un groupe chevronné d'hommes et de femmes d'une des plus grandes traques à l'échelle mondiale, celle du terroriste Oussama Ben Laden. Mais alors que beaucoup n'y croient plus, une femme, Maya, va en faire une obsession au point de débusquer le dirigeant d'Al-Qaïda.Film polémique par excellence, Zero Dark Thirty est aussi le nouveau film de Kathryn Bigelow, la réalisatrice oscarisée pour son excellent Démineurs.Sujet très épineux de par sa complexité géo-politico-religieuse et par son rapport aux Etats-Unis, pays d'origine de Bigelow, Zero Dark Thrirty a forcément créé la contreverse à sa sortie. Retour sur une long-métrage au propos audacieux.Zero Dark Thirty s'ouvre sur un fond noir avec des mots de personnes piégés dans les Tours. Bigelow évite de remontrer ce que tout le monde connait, laisse notre imagination se souvenir et la joue en fait, très sobre. On sent d'emblée que la réalisatrice ne va pas ici faire preuve d'un patriotisme tire-larme exagéré. En plongeant directement dans la torture par la suite, Bigelow confirme qu'elle ne va pas prendre de gants.Les Américains se présentent cagoulés, cruels et extrémistes, comme un miroir de ceux qui les ont agressés. Comme si la spirale était inarrétable. Sec et froid, dans un soucis constant de se tenir à des faits sans verser dans l'émotion, le long-métrage joue sur la corde raide et finit parfois par tomber dans ses propres travers.Bigelow façonne une histoire-fleuve étirée sur des années, qui parfois, perd son spectateur avec les différents aller-retour dans les divers pays. Pourtant, cette traque démesurée reste passionnante de bout en bout, et si elle n'accumule pas la tension dramatique d'un Argo, nous sommes clairement devant quelque chose de fascinant. Bigelow nous fait observer par la perspective personnelle l’obsession et la peur de toute une nation. Et ce que cela produit. Des séquences de tortures à la pression constante sur Maya et ses collaborateurs, Bigelow ne se fait pas juge, elle expose et nous laisse juge tout en jalonnant son récit de scènes fortes de sens. A ce niveau, une des plus marquantes, et qui en fait condamne la torture définitivement (contrairement à ce que de simples d'esprits ont pu dire), reste celle où l'agent Dan part et justifie son départ par la perte de ses canaris. Comme si la guerre, la traque et toutes les choses horribles qui en découlent transformaient la perception humaine jusqu'à ne même plus considérer l'humain en tant que tel. Tout le long-métrage est à l'avenant, subtil et intelligent, manifesté sans esbrouffe. Reste que Bigelow semble souvent tiré à la ligne, et le film s'avère trop long, d'autant qu'on ne peut, finalement, pas s'attacher aux personnages du fait de la réalisation froide. Maya, avec toute sa fragilité et sa force, nous semble plus devenir un robot qu'autre chose, ce qui est, d'ailleurs, le but recherché. Mais ses gimmicks, tel que le comptage sur la vitre, finissent par lasser. C'est seulement à la fin qu'on éprouvera un peu de compassion pour elle. Cependant, soyons clair, Jessica Chastain qui interprète le personnage, se révèle impeccable à tous points de vue et impressionne en changeant totalement de registre (exit la femme aimante et maternelle de Tree of Life par exemple). D'autre part, Zero Dark Thirty propose un casting d'acteurs secondaires extrêmement impressionnant au rang duquel Jason Clarke brille plus que les autres. On y croisera pêle-mêle Kyle Chandler, Mark Strong, Joel Edgerton ou encore James Gandolfini. Si Zero Dark impose un rythme lent et qui manque parfois de tension, Bigelow semble tout réserver pour le dernier acte intitulé "Les Canaries". A partir de ce moment, le long-métrage prend une toute autre envergure. La réalisation déjà excellente s'avère exemplaire, la tension est au sommet, l'écriture géniale... bref, tout le film semble bâti pour cet épisode final carrément époustouflant de maestria qui marquera les esprits. Le refus constant d'exposer le cadavre de Ben Laden, l'acharnement de Bigelow pour ne rien nous épargner dans l'assaut et nous le faire vivre minute par minute contribue à nous plonger dans la réalité crue et nue, comme elle l'a fait tout du long, et qui culmine finalement jusqu'aux larmes lourde de sens de Maya. En réalité, en lieu et place du film polémique, nous sommes devant l'expiation d'un traumatisme et des horreurs auxquels il a conduit, aux obsessions qu'il a tissé. Rythmé par les attentats dans le monde occidental ou contre lui, Zero Dark Thirty révèle surtout une cruelle vérité, la mort de Ben Laden, au-delà du catharsis, n'est qu'un camouflet, qu'une victoire à la Pirrhus. Les américains et les occidentaux vivent dans la peur et la paranoïa et l'hydre n'est toujours pas à terre. "Protect the Homeland" affirme Joseph Bradley, preuve ultime d'une impuissance croissante.En évitant le piège de faire de ce combat de femme un plaidoyer féministe, en la rangeant parmi les autres motherfuckers masculins américains, Bigelow dresse un film impressionnant à plus d'un titre, un peu froid et trop long certes, mais passionnant. Au vu de son intelligence, de sa maîtrise formelle et surtout de sa séquence finale magistrale, Zero Dark Thirty vaut vraiment le détour.