Bon allez hop, virez-moi ces américaniaiseries hyperformatées et faites un peu de place pour de la belle création ! J'ai donc vu ce film en DVD il y a trois jours, et si je n'en ai pas parlé tout de suite, c'est uniquement parce qu'un bug m'empêchait d'accéder au forum.
Le Jour des corneilles est un
très bon film, qui mérite davantage de succès qu'il n'en a eu en salles et davantage de célébrité que ce que sa diffusion restreinte lui a permis d'atteindre pour le moment. Il a la carrure nécessaire pour devenir un classique.Autant les premiers aperçus et l'affiche provisoire (avec sa magnifique forêt) m'avaient énormément plu, autant l'affiche définitive était assez décevante... j'espère qu'elle n'a pas trop grevé la carrière du film en salles, parce qu'il ne faut surtout pas s'y arrêter ! Malgré cette petite inquiétude, le film tient largement ses promesses.
L'histoire : Un jeune garçon (il n'a pas vraiment de nom et se porte très bien quand même) vit dans une grande forêt en compagnie de son père, une force de la nature à la barbe grise hirsute et aux muscles impressionnants, qui lui apprend à chasser le sanglier et à vivre dans les bois. C'est un homme rude, peu aimable et aux sautes d'humeur effrayantes, qui ne traite pas très bien son fils. D'après le père, tous deux sont les seuls humains au monde et le monde s'arrête aux limites de la forêt. Le père vit dans la crainte de ce qu'il appelle "l'outremonde" : on ne sait pas bien ce que c'est, mais c'est lié aux orages. Le garçon, lui, trouve des moments plus calmes dans la fréquentation d'êtres hybrides, des humains à tête d'animaux qui hantent la forêt et sont d'ailleurs des fantômes. C'est ainsi qu'il voit régulièrement sa défunte mère, qui a la forme d'une femme-biche.Un jour, le père tombe de sa tour de guet et se casse une jambe. Comme il reste sans connaissance, le garçon va prendre conseil auprès des fantômes ; encouragé par eux, il se décide à sortir de la forêt pour partir en quête d'un autre humain qui saurait réparer la jambe de son père. Il découvre alors le village voisin, et notamment le médecin du village (doublé par Claude Chabrol) et sa fille Manon. La rencontre entre cet enfant sauvage, ignorant et naïf mais honnête et curieux de tout, et les habitants du petit village, trouble tout le monde. Elle plaît au médecin et à Manon, qui ont vite fait d'adopter le garçon... mais l'arrivée de son colosse de père réveille tout un passé que le garçon et Manon doivent se dépêcher de comprendre, car tout le monde n'est pas bien intentionné à leur égard, loin de là. Qui est vraiment le père, qu'on appelait Courge ? Dans quelles circonstances a-t-il quitté le village ? Est-il vraiment un humain, ou bien un ogre ? Aime-t-il son fils ou le déteste-t-il comme il paraît détester tous les hommes ?
Mon avis :Les décors sont somptueux, les graphismes soignés, l'animation de qualité. L'allure de certains personnages (le garçon et Manon surtout) peut surprendre un peu au début, mais on s'y fait vite et l'ensemble construit un univers visuel très cohérent. Le scénario est bien ficelé, il dose habilement le suspense, l'humour et le pathétique. Contrairement à ce qu'ont déclaré bêtement pas mal de critiques, l'ensemble n'a rien à voir avec Miyazaki (ou alors tout ce qui contient une forêt et du surnaturel ressemble à du Miyazaki). Certes, les sonorités de la bande originale et certains éléments du dénouement peuvent vaguement rappeler
Mononoké. Mais, la plupart du temps, on est bien plutôt du côté des contes de Grimm ou d'Andersen, dans un conte au sens noble du terme, c'est-à-dire contenant à la fois de la fantaisie et de l'humour, mais aussi de l'angoisse, voire de la cruauté. Il faut savoir faire peur (et accepter d'avoir peur) dans un vrai conte, et c'est le cas ici : le personnage du père est vraiment inquiétant, et les aspects fantastiques de la forêt demeurent jusqu'au bout ambigus. Ce qui m'a particulièrement plu, c'est la façon dont toute l'histoire, y compris son dénouement, se prête à une double lecture, l'une surnaturelle et merveilleuse, l'autre réaliste, voire sordide. Cela donne plus de profondeur au film et lui permet aussi de parler à un large public : je suis à peu près sûr qu'un enfant qui verrait ce film maintenant, puis le reverrait dans cinq, dix ou quinze ans, ne comprendrait plus sa fin de la même façon.
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La lecture surnaturelle, c'est le souvenir qui montre la métamorphose subite du père en vieil homme colérique, puis le dénouement tel qu'il est montré, avec la transformation du père en fantôme animal et la promesse d'une seconde vie dans la forêt, où les parents pourront encore voir leur fils. Dans cette vision-là, la magie explique tout et résout tout : la tristesse du père l'a métamorphosé en espèce d'ogre bourru, mais il aime toujours son fils et le cadre extraordinaire de la forêt va lui permettre de continuer à la voir.La lecture réaliste est beaucoup plus sordide : le père a sombré dans la folie après la mort de sa femme, il est devenu paranoïaque et déteste tout le monde au point de ne plus faire confiance à son propre fils. Il est fait allusion (très discrètement) au fait qu'il le bat. Et le dénouement est très triste, puisque le père manque de peu de tuer le fils et Manon, et n'arrive littéralement pas à survivre lorsqu'il comprend qu'il s'est trompé. Bref, le fils n'a pas réussi à sauver son père et il se retrouve orphelin... quant aux fantômes, ils pourraient n'être que des hallucinations rassurantes. Carrément plus glauque...... mais la nature exacte de cette forêt n'est jamais révélée, et rien ne dit que ce sont de simples hallucinations. Le surnaturel existe peut-être vraiment. On reste dans l'entre-deux et c'est très bien comme ça ! Un beau dénouement en demi-teinte, subtil comme un dénouement de Miyazaki, pour le coup.
A côté de ça, il y a bien sûr des ficelles plus attendues du "film familial", mais j'ai beaucoup apprécié le dosage bien équilibré qui fait que le propos du film reste vraiment cohérent et que l'ensemble ne fait pas "commercial".(
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Par exemple, les séquences marrantes avec Manon ne vont pas trop loin, et l'ébauche de sentiments entre les deux enfants non plus : même le dénouement reste assez mesuré là-dessus.
)Alors, ce film n'a peut-être pas eu une campagne de promotion en rouleau compresseur, ni de la 3D tape à l'oeil, mais une chose est sûre : il a au moins un fan !
