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Puisque tu aimes tellement les paronymies, Milieuterrien, sans doute ferais-tu bien de t'intéresser à Babbit (1922), de Sinclair Lewis. Tolkien lui-même disait de son hobbit, dans une interview citée par Humphrey Carpenter, qu'il "était peut-être associé avec le Babbit de Sinclair Lewis. Surement pas avec rabbit comme le croient certains. Babbit a la même suffisance bourgeoise que les hobbits. Son monde est aussi limité."La génétique littéraire est une branche passionnante de la critique, mais, pour être viable, elle doit impérativement s'appuyer sur des sources. Des intuitions et des spéculations, si séduisantes soient-elles, n'ont aucune pertinence quand elles ne sont pas recoupées et vérifiées. Dans ses Lettrines, à propos de certains critiques, Julien Gracq s'interrogeait : "Que dire à ces gens qui, croyant posséder une clef, n'ont de cesse qu'ils aient disposé votre œuvre en forme de serrure ?"

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Mais que les érudits s'expriment ! Je puise aussi à leur source et même à l'auteur, notamment lorsqu'il rapporte qu'il trouve Carroll 'perturbant'.Chacun fait son marché parmi les théories qui le séduisent davantage. Il existe bien des auteurs qui privilégient l'axe des relations particulières entre Hobbits, ou d'autres qui aborderont spontanément Carroll sous l'angle de sa supposée relation sulfureuse avec Alice, en prétendant qu'ils 'savent' ce qu'il en était sur la base d'indices, alors même que l'auteur s'en est défendu toute sa vie.De tout cela, il demeure que Bilbo porte un pourpoint (est-ce nordique ?), a des gros pieds poilus (est-ce nordique ?), vit dans une sorte de terrier appelé 'trou' (hole) et aménagé en maison confortable (est-ce nordique ?), et que les deux tiers du nom du groupe auquel il appartient, qui ont en commun les gros pieds poilus et de vivre aussi dans des terriers, comprennent les mêmes lettres que le mot lapin en anglais.Et pour ce qui est de me documenter, je me suis rendu en Angleterre, visitant de nombreux lieux qu'il a fréquenté, selon des indications fournies par des spécialistes.En considérant que même si Tolkien a pu s'inspirer de légendes nordiques, il n'est pas interdit de supposer qu'il s'est aussi inspiré de son environnement proche et accessible. J'assume ces choix en présumant d'ailleurs qu'ils n'ont rien pour courroucer les érudits, vu que si l'on veut aller aux sources, c'est tout de même plutôt vers Birmingham, Leeds ou Oxford, voire en AfSud, qu'on a des chances de trouver des vestiges, que du côté de la Norvège ou a fortiori des Kiwis.

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Sarmate a écrit :Puisque tu aimes tellement les paronymies, Milieuterrien, sans doute ferais-tu bien de t'intéresser à Babbit (1922), de Sinclair Lewis. Tolkien lui-même disait de son hobbit, dans une interview citée par Humphrey Carpenter, qu'il "était peut-être associé avec le Babbit de Sinclair Lewis. Surement pas avec rabbit comme le croient certains. Babbit a la même suffisance bourgeoise que les hobbits. Son monde est aussi limité."La génétique littéraire est une branche passionnante de la critique, mais, pour être viable, elle doit impérativement s'appuyer sur des sources. Des intuitions et des spéculations, si séduisantes soient-elles, n'ont aucune pertinence quand elles ne sont pas recoupées et vérifiées. Dans ses Lettrines, à propos de certains critiques, Julien Gracq s'interrogeait : "Que dire à ces gens qui, croyant posséder une clef, n'ont de cesse qu'ils aient disposé votre œuvre en forme de serrure ?"
Citation bienvenue de Gracq, Sarmate.Examinons donc Babbitt, troisième clé après Carroll et Grahame. 1) Tolkien tolère l'allusion à Babbitt, donc c'est un indicateur. Mais il n'est pas affirmatif, il dit 'peut-être'2) Babbitt consonne un peu comme Hobbit et il est un peu antérieur, c'est un second indicateur3) Babbitt est l'incarnation d'un caractère ET d'une situation géographique : l'habitant emblématique d'une ville moyenne à l'écart des grandes métropoles ; nous avons donc un troisième indicateur4) Babbit n'a pas les pieds poilus, il ne vit pas dans un terrier, il n'a ni les cheveux longs ni les oreilles pointues, ne porte pas de pourpoint, il est américain et urbain, de taille humaine et non semi-humaine. Là, l'analogie s'encalmine.5) Babbitt tend à célébrer les vertus de la middle-class et à éviter les excès ; s'il se laisse parfois attirer par des désirs non-conformistes, un balancier le ramène vers le conformisme.En compilant tout ça, je dirais que Babbitt peut effectivement avoir quelque peu inspiré le tempérament prêté aux hobbits en général, davantage d'ailleurs que celui de Bilbo en particulier, lequel finalement se retrouve en décalage par rapport à sa 'tribu' et plus aventureux qu'elle.Le Babbitt de Sinclair a pu être bienvenu pour Tolkien en tant que paronyme décomplexant, lui permettant de fournir à la dénomination 'Hobbit' une alternative explicative permettant de répudier l'apparentement de son hobbit à un rabbit.Tout ça correspond assez bien, en définitive, à ma thèse selon quoi Tolkien avait envie d'exorciser le lapin perturbant de Carroll, et surtout pas de le célébrer. En quelque sorte, de se sortir le lapin perturbant de la tête, comme on sort la tête de l'eau.Trois clés ? Même serrure :p

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Je te souhaite du courage pour trouver des traces de Tolkien en Afrique du sud, et a fortiori dans son oeuvre, des traces de ce pays où il n'a pas vécu plus d'un an ou alors qu'il était en bas âge... Concernant les sources maintenant : ce n'est pas une visite a Oxford qui va t'apprendre grand chose sur les inspirations pour le hobbit. Crois-moi ouvre quelques ouvrages sur Tolkien, ça t'évitera de partir dans des délires une fois encore. Alors oui, hobbit//rabbit ça se ressemble, et même si Tolkien s'en défend certains critiques admettent que la ressemblance n'est pas anodine. Mais la ressemblance s'ar rête ici et ne dois rien au lapin de Carroll. S'il devait y avoir des animaux auxquels se référer ça ne serait que Taupe et si veux un lapin, celui de Beatrix Potter, Pierre Lapin. Tu vous des sources nordiques là? Moi non. Quelques conseils de lecture : les lettres, history of the hobbit et le hobbit annoté. Tu verras d'autres ont déjà travaillé sur ce terrain bien mieux que toi.

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Druss, mon désir n'est pas du tout de rivaliser avec les exégètes de Tolkien et encore moins de jouer des biceps face aux érudits de la littérature fantastique, mais plus modestement d'essayer d'ouvrir des soupapes permettant à ceux dont l'imaginaire a été capturé par les mondes virtuels dont la littérature, la bédé et le cinéma ont été envahis, de reprendre goût au monde réel pour avoir une chance d'y reprendre pied.Je reconnais le pouvoir attractif et séducteur des grands créateurs de ces univers-là, mais figure-toi, la planète chauffe sous nos pieds et donc le moment est peut-être venu de faire basculer la chaise en arrière.

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Certes, dénoncer l'escapisme est une antienne. En revanche, des évasions hors de l'escapisme, aventureuses vers le monde réel, voilà qui est plus innovant. Et pour ça, la petite passerelle jetée au jugé entre le Hobbit et ses sources littéraires possibles s'est révélée encore plus fructueuse que je l'imaginais : Carroll, Grahame et Sinclair, parfait.Mais je n'en dis pas plus, ça entraînerait hors-sujet.

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Milieuterrien a écrit :Il serait par contre réducteur de supposer que les sources de Tolkien sont forcément liées à de la mythologie médiévale et à rien d'autre. Rien de tout cela ne s'enracine dans la mythologie médiévale...
Pas seulement réducteur, foncièrement incomplet, y compris pour les nains, où tant de gens oublient de se tourner vers Jérusalem.

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Gillossen a écrit :Sujet collector !
Ça va au-delà de toutes mes espérances personnellement :mrgreen:On a l'impression d'une discussion sans fin...

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Milieuterrien a écrit :Et pour ça, la petite passerelle jetée au jugé entre le Hobbit et ses sources littéraires possibles s'est révélée encore plus fructueuse que je l'imaginais : Carroll, Grahame et Sinclair, parfait.Mais je n'en dis pas plus, ça entraînerait hors-sujet.
Non non, pas Carroll, vraiment. Lang, Wyke-Smith, etc, oui, mais Carroll non.

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Yksin a écrit :On a l'impression d'une discussion sans fin...
Sans fin ? Uniquement à cause des résistances à l'encontre de l'influence du lapin de Carroll.Les résistances sont poussées à chercher midi à quatorze heures, quinze heures, trois heures, l'an dernier...Mais même si elles poussent, elles restent pour l'instant un brin poussives pour expliquer les pieds poilus des hobbits.Piste Taupe ? Hum..Piste Babbitt ? Mmm.Piste Ex-nihilo ? Mm.Piste nordique ? Mmh.Allons, ce n'est pas forcément sans fin :)ça existe, les armistices, les capitulations :DPiste Jerusalem ? Faut voir, mais je ne suis pas trop preneur, les susceptibilités dans cette région-là sont plus prononcées que du côté des Fjords, et à défaut de point Goodkind, s'il était question d'attribuer inconsidérément des pieds poilus à un des peuples du coin, on risquerait effectivement de s'approcher du point Godwin, donc joker.Piste Lang ? Andrew Lang ? On va regarder...Aah là il y a de la matière, En voilà un beau compilateur de contes comme on n'en fait plus, et dont plus personne ne parle par cheu nous.On n'a que l'embarras du choix avec ses 13 Fairy Books : Bleu, Rouge, Vert, Jaune, Rose, Gris, Violet, Ecarlate, Brun, Orange, Olive, Lilas. On dirait presque le catalogue des couleurs des capuchons des Nains qui vont accompagner le petit Bilbo dans le périple de ses découvertes...Il y a de tout là-dedans. Du nordique, de l'arabique, du ligérien...Bonne pioche Druss !Maintenant il ne reste plus qu'à trouver quelque part dans tout ça des pieds poilus, un terrier, un pourpoint et un --bbit. Facile, il n'y a guère que :- 37 contes (Blue Fairy Book 1889) - 37 contes (Red Fairy Book 1890)- 42 contes (Green Fairy Book 1892)- 48 contes (Yellow Fairy Book 1894)- 41 contes (Pink Fairy Book 1897)- 35 contes (Grey Fairy Book 1900)- 35 contes (Violet Fairy Book 1901)- 36 contes (Crimson Fairy Book 1903)- 32 contes (Brown Fairy Book 1904)- 32 contes (Orange Fairy Book 1906)- 29 contes (Olive Fairy Book 1907)- 33 contes (Lilac Fairy Book 1910)Soit 437 au total. ça doit en faire des héros et des personnages, c'est bien le diable si on n'en déniche pas un avec des gros pieds poilus et un terrier... Sans quoi, retour à la case Rabbit Alice ! Brrrr ! :pleure:Après, si ça foire encore, on pourra passer à Wyke-Smith, promis.

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Milieuterrien a écrit :Piste Jerusalem ? Faut voir, mais je ne suis pas trop preneur, les susceptibilités dans cette région-là sont plus prononcées que du côté des Fjords, et à défaut de point Goodkind, s'il était question d'attribuer inconsidérément des pieds poilus à un des peuples du coin, on risquerait effectivement de s'approcher du point Godwin, donc joker.
Non.Parce que tu ne lis pas tous les mots.Ma phrase ne concernait pas du tout les hobbits, c'était sur les influences fondées et souvent oubliées.D'ailleurs, pour appuyer que tu ne lis pas mais que tu échafaudes quand même, quand je parlais de tes tartines, j'aurais dû dire biscottes, parce que ça s'émiette. Il ne suffit pas d'affirmer une chose pour appuyer son château de cartes dessus (c'est une question de portance.)
Après, que sait-on de ce personnage ? Juste qu'il a des cheveux assez longs et bouclés.Est-ce qu'un quasi-homme a les cheveux longs et bouclés ? Oui, mais quand même, ce 'hobbit'-là, lui il en a. Un peu comme une fille.
Les cheveux longs du hobbit, comme ceux d'une fille ? Ca vient d'où ça ?Je prends la peine de regarder les descriptions de l'auteur et je trouve des cheveux frisés, des cheveux courts et bouclés (châtains), et je cite en vrac "puisque les plantes de pied tannées et les pieds velus bien brossés sont un trait du pur caractère hobbit", "ses pieds, judicieusement vêtus et chaussés par la nature, sont aussi élégants que ses longs doigts agiles".Les pieds ne sont pas que velus, ils sont peignés, et la voute plantaire est en cuir, pas comme un lapin ou tout autre bestiole...à part le singe ? Le livre de la jungle, voilà une inspiration crédible : Bilbo est le fils caché de Mowgli !

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Milieuterrien a écrit :Allons, ce n'est pas forcément sans fin :)ça existe, les armistices, les capitulations :D
J'ai comme l'impression que la capitulation ne viendra pas de toi...Et comme Foradan ne lâchera pas non plus le morceau... Ce sera bien une discussion sans fin :blink:

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Tu noteras Foradan que je n'ai pas été jusqu'à retenir le critère de la longueur des cheveux parmi mon quatuor d'indices. J'ai (brièvement) évoqué cette piste parce que les hobbits de P Jackson ont une telle 'insistance' de cheveux assez longs que ça m'avait laissé supposer que Tolkien devait avoir précisé cela ici ou là, notamment dans le Hobbit, mais il semble effectivement que ses précisions se sont bornées à indiquer qu'ils étaient, non pas frisés, mais bouclés ('curly').
Cela dit, des cheveux 'bouclés' s'envisagent difficilement s'ils n'ont pas une certaine longueur, car il faut bien que les boucles se forment. La boucle de cheveux a donc quelque chose de plus spécifiquement féminin que masculin, surtout pour un lectorat britannique dans les années 30, même si on peut considérer que ce n'est pas assez concluant.Mowgli ? Ce n'est pas une bestiole et pas davantage un singe, mais un petit garçon largué en pleine nature. Ses pieds ne sont ni gros ni velus, il se trimbale plutôt en slip qu'en pourpoint et quand il sera grand il sera... grand.Des pieds velus à plante de cuir feraient davantage penser à ceux d'un chimpanzé, par exemple. Mais aucun primate, grand ou petit, n'a développé de 'gros pieds' ni ne vit en terrier, puisqu'ils sont d'origine arboricole. Il serait donc très étonnant qu'il existe des contes de tradition européenne ayant éprouvé le besoin de reconfigurer un singe en lui grandissant les pieds et en l'affectant à un terrier : en outre les grands singes dit 'anthropoïdes' vivent tous dans la jungle équatoriale (gorilles, chimpanzés, orangs-outangs, nasiques), et seuls des singes beaucoup plus petits vivent à proximité des villes, comme les magots de Gibraltar ou les macaques indiens. Mais ces singes-là sont essentiellement quadrupèdes, et sont trop légers pour avoir besoin de cuir sous la plante des pieds, pas plus que nous autres en tout cas, qui bien que bipèdes et assez lourds, n'avons pas pour autant de cuir sous les pieds.Ces singes-là sont sûrement à l'aise pour escalader des échafaudages, mais beaucoup moins pour échafauder une théorie d'apparentement aux hobbits qui tienne le choc.
Yksin a écrit :J'ai comme l'impression que la capitulation ne viendra pas de toi...Et comme Foradan ne lâchera pas non plus le morceau... Ce sera bien une discussion sans fin :blink:
Moi je suis tout à fait prêt à 'capituler' dès qu'on m'aura présenté une origine aux caractéristiques 'exotiques' du hobbit plus convaincante et convergente que le lapin d'Alice, qu'elle soit présentée par Foradan ou n'importe qui d'autre. Le sujet a du sens en soi et ne réclame pas la testostérone pour arbitre.

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J'ai eu la flemme de tout lire tellement tout ça me semble compliqué et tiré par les cheveux... Les hobbits des lapins ??? Ca ne m'a jamais effleuré l'esprit, et encore moins de me demander si oui ou non Tolkien avait pu aller chercher ça chez quelqu'un d'autre...Peut être que c'est toi Milieuterrien qui fait une fixation sur ce lapin d'Alice et qui veux le voir partout... Tu as eu une mauvaise expérience avec les lapins ??En tout cas le peu que j'ai lu de tout ça m'a bien fait rire :D.

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Personnellement, j'admire la rigueur d'une analyse dont les hypothèses reposent en partie sur l'adaptation cinématographique très libre du roman qui a suivi celui dont la création du personnage principal t'interroge… :D

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Je ne focalise pas sur le lapin d'Alice, il m'est juste apparu que cette piste-là, découverte fortuitement, remplissait plusieurs cases comme source d'inspiration possible, fût-elle involontaire, du Hobbit Bilbo, de ses gros pieds et de sa vie en trou.On peut quand même se dire qu'il n'est pas inutile de traquer un minimum l'origine de ce personnage central chez Tolkien, non ? Mais je n'avais jamais pensé que la discussion serait si longue.Il y a beaucoup d'autres sujets chez Tolkien dont l'origine est assez claire : par exemple, Erebor le volcan du Nord, rappelle furieusement le nom du volcan Erebus en Antarctique, qui fut escaladé pour la première fois par un britannique lorsque Tolkien avait 15 ans, Erebus étant par ailleurs le nom d'une divinité grecque associée au chaos et à l'enfer. Et pour le dragon, on trouve dans l'édition 'Yellow' des Fairy Books d'Andrew Lang un conte Estonien appelé 'le dragon du nord'...Donc on peut espérer qu'il existe quelque chose de plus simple et plus direct que le lapin de Carroll, qui apparaît effectivement comme une piste je ne dirais pas tirée par les cheveux, mais un peu par les oreilles...Si on ne trouve pas mieux que le lapin d'Alice, on va être obligé de se contenter de cette hypothèse-là ! C'est ça qui est peu inconfortable, non ?Cela dit, s'il faut s'en contenter, ça ne me dérangera pas, vu que j'en suis le 'découvreur' :p