Je ne serais pas aussi exhalté que les autres. Il est vrai qu'en fermant le roman, j'ai crié au génie « J'en veux plus ! ». Mais cela n'a certainement pas été mon avis durant toute ma lecture. En fait, il est très difficile de me positionner de manière tranchée, tellement le roman m'a semblé inconstant. J'ai alterné entre ennui et passion. Le récit pour moi, ne décolle qu'à la seconde moitié (à partir de l'île des jeunes). Et l'intérêt va crescendo, si bien qu'on est carrément conquis en refermant le livre (reste quand même 130 pages sur le carreau, ce qui n'est pas rien ! ).J'ai essayé de m'analyser pour savoir d'où venait le problème. Ce n'est pas le caractère savant de l'écriture (dans la forme donc) ; elle est superbe. Ce n'est pas non plus la complexité de l'intrigue et des noms celtes (tout ça pour dire que je ne suis pas un débile qui n'apprécie que les récits bourrins torchés en deux lignes sur du papier toilette, bien au contraire

).Donc, je m'explique. C'est un récit enchassé, un peu comme des poupées russes. Bellovèse, héros celte au crépuscule de sa vie, raconte son histoire. Mais celle-ci ne commence pas par sa petite enfance pour terminer par ses vieux jours. En effet, cette fameuse histoire du « même pas mort », elle est savamment relatée par épisodes enchassés (sorte de méta-narration, je raconte que je raconte. Ce genre de choses). Et là, c'est le génie de Jaworski et en même temps le gros problème du livre. Génie car les dernières pages déverouillent l'ensemble du récit, la pleine plumière est faite. Et du coup, on se rend compte de la science dans la narration et à quel point la forme (du récit enchassé) sert l'histoire. Mais problème car, à cause de ce procédé, la première moitié m'a un peu ennuyé (introduction excepté). De fait, par cette narration, on rentre de plain pied dans une société celte très ritualisée. Ce qui donne un côté très solennel à tous les échanges. De plus, le lecteur ne connait pas la situation relationnelle de Bellovèse, il ignore encore l'histoire qu'il partage avec les personnages qui l'accompagnent. Du coup, les héros paraissent circonspects, la quête de Bellovèse ne m'a pas immédiatement passionné. Tout paraît distant.Mais à la seconde moitié du roman, on découvre enfin ce qu'il se cache sous ce masque. Les personnages prennent de l'épaisseur, surprennent. Un caractère se dessine derrière le guerrier. Et celà, parce que du véritable relationnel rentre en lice. Le plus bizarre, c'est de se dire que sans la première partie un peu lourde, cette seconde moitié n'aurait pas eu la même portée. Car maintenant que cette culture celte codifiée et distante a été plantée. On comprend enfin la portée de certains actes et le courage de certains propos. Et cela s'intensifie au fur et à mesure la lecture. Si bien que le roman se termine par un éclaircissement total sur les tenants et aboutissants. Et là, on se dit : génie ! Mais le problème, c'est que le lecteur doit d'abord se faire balader. Et c'est pour ça que le génie du livre est aussi ce qui en fait un problème.J'ai été envoûté par de splendides réflexions sur la vie. On découvre un monde où les mythes prennent des saveurs de philosophie métaphorique. Exemple :
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p.143-144-145 : magnifique réflexion sur la nostalgie, la mémoire, la vieillesse (avec la métaphore du javelot). On retrouve le thème de l'exil, déjà présent dans « gagner la guerre » : une fois que l'on quitte son pays, le mal est irréparable. Le retour ne se fera que dans une terre désormais étrangère, accompagné d'un nouveau sentiment de nostalgie pour la terre d'exil.
Les personnages féminins sont géniaux.
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p. 171 à 175 . La conversation entre la nouvelle reine et la mère de Bellovèse est poignante. Discours de femme de caractère, qui n'a pas peur de cracher la vérité dans une assemblée d'hommes qui se voilent dans des rituels, des faux semblants et de beaux codes. Elle parle de femme à femme avec franchise : tu es jeune, tu te sens invincible, gonflée d'honneur et de pouvoir. Mais méfie toi de l'homme. Il prend ce qu'il veut et jette ce qu'il reste. Il reste affable et couvre d'éloges tant que cela lui profite. Mais le miel qui couronne sa coupe cache l'aigreur du poison. J'adore. Foutrement bien écrit !