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par Dardfaël
Lige
Bonjour à tous,Concernant le second volet je ne parlerai pas des questions d'adaptation, certes intéressantes mais effectivement bien éloignées d'une "simple" formulation critique. Pour ma part, j'ai mis un certain temps à me décider, et pour cause : je n'ai toujours pas compris le choix de Peter Jackson de réaliser trois films au lieu de deux... je ne comprends pas quel est l'intérêt "artistique" d'étirer l'histoire de la sorte. Sans doute suis-je passé à côté de quelque chose. Après avoir visionné le premier film avec un certain plaisir, je me lance dans la critique de celui-ci.Premièrement, je trouve que ce film souffre d'une absence patente de véritable gestion du rythme, le réalisateur confondant rythme et précipitation, densité et excès de vitesse, enchaînement d'actions logiques et désordre pur et simple. J'ai la nette impression que Peter Jackson a répondu un peu trop littéralement aux reproches formulés à l'encontre du premier film, en particulier à celles liées au manque de rythme. Les scènes défilent au pas de course sans que l'on puisse se rendre compte une seconde de leur durée au sein du récit. Là où Peter Jackson croit donner du rythme, il ne fait en réalité que supprimer quasiment tous les indicateurs de durée. Autrement dit, il adopte la solution de facilité : il est effectivement beaucoup plus difficile de donner du rythme à un récit de voyage qu'à un épisode de 24h chrono. En confondant rythme et vitesse, comme l'observe Foradan, Peter Jackson ne fait que compresser la narration. Ce qui est paradoxal, c'est que malgré ce traitement ce très long métrage aurait gagné à être considérablement raccourci et mieux découpé. Mais cela relève de problèmes proprement scénaristiques. Je les évoquerai plus bas. Deuxièmement, il me semble que ce second volet oscille entre plusieurs registres avec parfois des maladresses, je pense au traitement de Lacville, drôle mais à la limite du parodique, et, tout particulièrement, aux gros plans sur les cochons, entraînant une surprenante rupture de ton (la feuille des rois donnée aux cochons, on a compris que c'était drôle, Peter, mais bon, c'est peut-être pas la peine d'insister, à côté, un nain est en train de crever!). J'ai la désagréable impression de ne pas avoir tout compris du projet de Peter Jackson. Troisièmement, Peter Jackson ne parvient qu'à de rares moments à installer une véritable tension dramatique, la traque, reprenant quasiment trait pour trait les éléments de la Communauté de l'anneau, ne "prenant" pas, en tout cas pas chez moi. Effet miroir ou pas, la traque de la Communauté de l'Anneau avait cela de logique que son but était lié au cœur même de l'intrigue, les Hobbits étant possesseurs du "maître-anneau". Parce qu'elle menait à dissolution de la communauté, la traque servait les objectifs de la dramaturgie, permettant de mettre en oeuvre un véritable crescendo dramatique, celle-ci culminant avec la mort de Boromir. Dans cette nouvelle trilogie, seule la forme a survécu au fond, faisant de celle-ci une coquille vide, à l'image du nain malade suite à la lame de Morgul, pâle écho, toujours, aux ressorts dramatiques ayant fait recette dans la précédente trilogie (sont-ils eux-aussi donnés aux cochons?).D'un point de vue scénaristique, le film ne gagne pas à être étiré, en tout cas pas d'une manière aussi frustre: le montage alterné décrivant trois actions différentes, soit la mission d'Erebor, la blessure d'un membre de la compagnie - quel "suspense"!, et les pérégrinations de Gandalf, n'apporte à mon sens pas grand chose au film, sinon de la bobine supplémentaire, exception faite de quelques beaux mais trop rares moments (je pense au passage des papillons ainsi qu'au dialogue de Gandalf avec le Nécromancien, tous deux très prenants). Reste à savoir si ces moments existent du fait des ajouts ou s'ils sont bel et bien contenus dans le matériau original. La scène de Bree, placée au tout début du film, est une très bonne surprise : c'est un bon mais trop rare exemple d'une combinaison réussie de matériaux textuels extérieurs à Bilbo le Hobbit, d'une part, et de ressorts dramatiques inventés par les scénaristes, d'autre part. Même chose à propos de Bard: la combinaison entre matériau textuel et ajouts originaux enrichit le personnage et participe d'une véritable, quoique convenue, montée dramatique. Dernière et même remarque à propos de la dépendance de Bilbo à l'Anneau, autre exemple d'une combinaison réussie. L'association, en terme de création/recréation de personnages ou de scènes, fonctionne très bien, c'est une évidence. Il est nettement plus rare que la division fonctionne, à moins que le matériau de base soit trop dense. Et ce n'est pas le cas. Ainsi, le personnage de Radagast ne fait qu'affaiblir le personnage de Gandalf (cela, Foradan le souligne aussi). Il n'était pas nécessaire de mettre en scène deux magiciens de même "valence" dans cette intrigue. A ce sujet, on a beaucoup critiqué ce personnage "inventé", Tauriel; bien que sa psychologie soit tout à fait bancale, je dirais même bricolée, bien que la naissance de ses sentiments amoureux soit particulièrement mal amenés, ce personnage m'a nettement moins gênant qu'un Légolas dont l' "usage" me semble ici douteux, superfétatoire. L'Elfe Tranduil, plutôt bien campé par Lee Pace, suffisait. Qu'apporte Légolas au film, puisque Tauriel incarne, justement, le ralliement des elfes à la cause de Thorïn "et compagnie"? Pire, ce Légolas grossi mais particulièrement agile affaiblit davantage le personnage, déjà bâclé, de Tauriel (il aurait été bien plus intéressant que celle-ci porte à elle seule ce basculement). Je passe sur la poursuite après Bolg, placée là, sans doute, pour reconduire dans l'épisode trois ce très charismatique Elfe des bois... Même remarque que pour le cas Gandalf/Radagast : il n’était pas nécessaire d'imaginer deux elfes de premier plan, encore moins deux orques, cette division appauvrissant de facto les personnages et leurs motivations. De Tauriel, de Bolg, de Légolas et même de Radagast, on finit par se demander qui, des quatre, est ici le plus inutile. Je pense que Peter Jackson ne peut s'empêcher de donner dans la surenchère visuelle, et pour cause, dans ce film celui-ci n'a correctement mis en scène ni le temps (en cela je rejoins Foradan : le film est trop long mais file à toute vitesse - charmant paradoxe : on ne voit pas littéralement pas le temps passer), ni l'espace (non seulement Peter Jackson gère mal les rapports de distance, voire d'échelle, mais en multipliant à outrance les mouvements de caméra il annule la profondeur de champ - notre regard, qui ne va pas si vite, ne peut se poser sur tous les objets, se focalisant alors sur les parties les plus saillantes de l'image - sur les bonhommes qui bougent, autrement dit). Ainsi, après un excellent dialogue entre Bilbo et Smaug, la (longue) scène d'action suivante, "rythmée" par des travellings incessants et par un montage épileptique, m'a semblée paradoxalement assez pauvre. Chez Jackson tout est très littéral : montrer un vaste paysage? On réalise une vue aérienne. L'on ne doit voir que ce personnage? On lui fait un halo lumineux. Les personnages sont en train de bouger ? T'inquiète, coco, il suffit de secouer la caméra s'ils se battent et de faire des travelling dans le sens inverse d'où ils galopent (un vrai tic, d'ailleurs)! Pauvreté du signifiant cinématographique: j'ai l'impression que Peter Jackson croit si peu au contenu même de ses images qu'il lui est quasiment impossible, lorsqu'il cherche à faire du grandiose, de proposer un plan fixe, sans quoi tout ce lucre s'effondrerait, peut-être, sur lui-même. En hachant les plans, en les multipliant, Peter Jackson masque l'absence de tenue de ces derniers comme il maquille, de la même manière, son absence de maîtrise de la tension dramatique en multipliant les faux suspenses. A vitesse normale, on ne s' "ennuie" pas. Plans et image défilent dans ce qui ressemble moins à un film qu'à un impressionnant divertissement visuel. En revanche, si l'on s'arrête un peu trop longtemps sur les images, le verni craque : sauf exception, il ne se passe presque rien. En tout cas rien de mémorable.Pour terminer, je trouve la postproduction franchement mauvaise... tout cela sent le faux! Quand je pense à la qualité de la photographie des films tirés du Seigneur des Anneaux, je ne peux qu'être dubitatif devant cette "orgie" de filtres, de prothèses et d'effets spéciaux numériques. Sans doute Peter Jackson a-t-il voulu insister sur le côté "féerique" de cette histoire... mais ce traitement ne vient-il pas en porte-à-faux avec les ambitions épiques de cette adaptation? Dans un autre domaine, Peter Jackson avait-il besoin de laisser passer tant d'incohérences scénaristiques (car il y en a beaucoup)? On en vient irrémédiablement à poser la question des choix de la direction. Sans remettre en cause le principe de la liberté d'adaptation, sans jouer au gardien du temple d'une oeuvre qui se garde très bien toute seule, on peut tout de même s’interroger sur la pertinence de cette Désolation de Smaug, celle-ci ne résistant pas au choc causé par ses propres atermoiements stylistiques.Très bonne année à vous, en passant!