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par Nico du dème de naxos
Novice
Très bon livre que ce Re/Lire Tolkien, car c'est bien le but de cet ouvrage, qui s'adresse autant aux néophytes qu'aux initiés. Comme d'habitude, la pensée est claire et nourrie d'un amour et d'une méticulosité qui font de Vincent notre grand spécialiste/vulgarisateur français de Tolkien. J'en suis actuellement arrivé - très [trop] vite ? - à la moitié de l'ouvrage. Plus exactement, je viens de terminer le chapitre II, 2 qui traite du sujet de Tolkien auteur pour enfant/la jeunesse ? C'est un vaste et passionnant sujet qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Le chapitre s'attache, non pas à décrire ce que serait cette "potentielle" littérature pour enfant (et je crains qu'il soit très dur de le définir, les frontières, comme celles qu'on tente de faire dessiner aux genres, étant très perméables (bien que pour d'autres raisons)) mais bien à examiner ce qui, dans l'œuvre de Tolkien, pourrait être assimilé à de la littérature pour la jeunesse. On y trouve donc d'un côté : Le hobbit, Roverandom, Smith de Grand Wooton, le fermier gilles de Ham (peut-être ce conte-ci n'est-il pas cité ?) et les lettres au Père-Noël et de l'autre, le versant "adulte" incarné par le Seigneur des anneaux et le Silmarillion. Vincent ne mentionne pas le récent les enfants de Hurin, dont le positionnement jeunesse/adulte ? se pose à mon avis encore plus que pour le hobbit. Tenter de répondre à la question de Tolkien auteur pour enfant ? est tout à fait légitime, étant donné que l'auteur a été critiqué de son vivant pour proposer ce type de littérature et que la littérature dite de jeunesse (enfant et adolescent) est souvent regardée d'un œil au mieux condescendant par les adultes encore aujourd'hui. Or, Tolkien n'a pas écrit de la littérature pour enfant mais pour ses enfants, comme le précise Vincent. Pas de "coup marketing" donc, mais bien plutôt une réelle volonté de charmer l'imaginaire de ses enfants tout en partageant avec eux, bien plus qu'en toile de fond, les premiers pans de cet univers qu'il imaginait depuis déjà ans. D'où, à mon sens, un livre, le hobbit, qui est très lisible des enfants, mais qui contient - non pas malgré lui, mais sans doute par le désir très vif de Tolkien de commencer à partager avec un premier public ce monde enchanteur qu'il portait en lui depuis toutes ces années - les germes féconds du Seigneur des Anneaux. Qu'il considère le hobbit comme un "accident" une façon trop simple peut-être de commencer à faire vivre sa mythologie, cela est certain, mais par le fait même qu'il l'ait fait, ce hobbit porte en lui une complexité et une densité si phénoménale qu'elle peut aussi ravir les adultes. Car, et je pense que ses premiers lecteurs hors du cadre familial, ne s'y sont pas trompés, le hobbit porte en lui une rare profondeur que le narrateur tente presque inconsciemment de masquer par l'ironie distanciante qu'amènent ses commentaires sur le récit. Comme si Tolkien était partagé entre l'envie de commencer à faire vivre des bribes de son Silmarillion en pleine construction tout en étant gêné de le faire dans un livre qui ne correspondait pas tout à fait à l'idée qu'il se faisait de la forme qu'il devait prendre. Quand je l'ai lu vers 9 ans, j'ai été charmé par ce récit. Tout m'y paraissait immense, la bataille des cinq armées terrible et la mort de Thorin insupportable. Tout ne s'y finissait pas si bien que ce à quoi je m'attendais, d'autant que Gandalf ne se montrait pas forcément rassurant dans ses propos à la fin du livre. Puis, vers 10 ans, soit quelques mois après cette première lecture, je m'attaquais au Seigneur des Anneaux pour une expérience unique, qui a forgé sans aucun dote mon goût pour les littératures de l'imaginaire et tout particulièrement la fantasy. J'ai éprouvé à la lecture de livre des émotions si intenses, j'ai été émerveillé comme je ne l'ai jamais été par aucun autre livre, que je peux encore me revoir en train de lire ces pavés austères, aux couvertures étranges portant un dessin curieux ainsi qu'un petit bonhomme (Frodo ?). Avais-je l'impression, moi enfant, de lire un livre normalement interdit aux plus jeunes : sans aucun doute et cela ne faisait que décupler mon plaisir. La bibliothécaire avait bien tenté de me dissuader - du moins Est-ce ce dont je crois me souvenir : ce livres est trop gros, il n'est pas pour les enfants ! A un seul instant, en lisant le Seigneur des Anneaux, ai-je eu l'impression que ce livre ne m'était pas destiné ? Jamais. Alors, le Seigneur des Anneaux est-il vraiment un livre pour adulte plus qu'un livre pour enfant ? Je ne saurai le dire. Evidemment, la seconde lecture puis la découverte progressive de l'appareillage critique existant autour de cet ouvrage unique m'ont permis de me rendre compte de l'épaisseur vertigineuse de ce livre, de tout ce qu'il contenait, mais jamais, vraiment à aucun moment, je n'ai retrouvé cet éblouissement, cette sensation d'être vraiment transporté ailleurs. Un livre dont la magie reflétait la magie naïve de l'enfance ; et je ne connais rien de plus beau. Ensuite, j'ai lu le Silmarillion avec passion, admirant le génie de Tolkien que le travail de son fils révélait enfin dans toute sa splendeur. Un livre absolument bouleversant, tragique, dont le Seigneur des Anneaux n'était en vérité que la conclusion "heureuse" (grâce à l'improbable victoire d'Eärendil sur Melkor) - heureuse, si l'on ne prend pas en compte que cette fin, et je pense à la scène presque finale des havres gris, ne marquait l'inéluctable désenchantement du monde de Tolkien, de notre monde. Plus récemment, j'ai de nouveau été bouleversé par les enfants de Hurin, qui montre combien la vengeance de Melkor est cruelle. C'est un conte vraiment cruel, écrit dans une langue admirable, un magnifique cadeau de Christopher pour les amoureux de Tolkien. Ce livre peut à mon avis aussi bien plaire aux jeunes lecteurs qu'aux moins jeunes, même si les lectures seront sans doute différentes selon la période de la vie à laquelle il est lu. Pour ma part, Tolkien est un immense écrivain tout court mais plus que ça, un inventeur de monde unique, dont l'œuvre bouscule la notion même de littérature. Beaucoup ont souhaité l'imiter, mais sans jamais y parvenir, car n'empruntant pas les bons chemins, faisant du cœur de l'œuvre de Tolkien - ses langues, sa mythologie, ses jeux de symboles - de simples artifices pour tenter d'instiller de la véracité et de la vraisemblance dans leur fiction. Non pas qu'ils soient tous de mauvais écrivains - loin s'en faut - mais qu'ils ne poursuivent tout simplement pas le même but. Lorsqu'on lit aujourd'hui à tout bout de champ sur les quatrième de couverture des ouvrages de fantasy afin d'en assurer la promotion : "à la manière de Tolkien" etc. et que l'on constate la distance - souvent immense - avec le modèle on ne peut que s'étonner et être déçu (si l'on croit, ne serait-ce qu'un peu, la promesse). Il ne s'agit donc que d'une étiquette pratique pour pouvoir vendre. Même un auteur comme GRR Martin, dont l'œuvre magnifique est également vantée comme celle du "nouveau Tolkien", qui dit lui même s'inspirer du Seigneur des Anneaux, est à cent lieux de Tolkien. Certes, on voit l'influence, mais le but n'est vraiment pas le même, sans parler de la langue utilisée... Mais foin de ces digressions. Je voudrais terminer en remerciant Vincent Ferré, grâce à qui j'ai relu Bilbo dans la version "Le Hobbit annoté" traduite par Daniel Lauzon et grâce à qui je suis en train de passer un très agréable moment de lecture et de cogitations et en passerait certainement un nouveau avec le premier tome du SdA retraduit. Vive Tolkien et vive Vincent ! PS : N'étant pas anglophone (je lis vraiment difficilement l'anglais) et ayant besoin de faire de la place dans mes bibliothèques surchargées, je donne 6 volumes achetés dans une librairie londonienne il y environ 25 ans de cela. Il s'agit des volumes suivants (publiés entre 86 et 90) aux éditions de poche Unwin Paperbacks : - The book of lost tales I & II- The lays of Beleriand- The shaping of middle-earth- The lost road- Unfinished tales (l'intégrale en 1 volume)Ils ont fait briller mes yeux d'enfant et sont dans un très bon état global, même si les couvertures ont jauni. Je préfèrerai qu'ils aillent à un fin connaisseur de l'œuvre, c'est pourquoi je poste discrètement ici où n'iront regarder que des lecteurs avertis de Tolkien. En revanche, je n'envoie pas par la poste. Je remets en mains propres sur Paris (Place St michel par exemple). Vous pouvez me contacter par MP si vous êtes intéressé