Difficile de répondre à tout cela parce que tu soulèves une quantité impressionnante de questions, mais je vais tout de même essayer :
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- Les Malazéens rushent sur Corail pour plusieurs raisons, pas forcément très rationnelles en effet.
Le souci ne vient pas tant de Mésangeai qui emporte ses troupes attardées dans un sprint pour venir à la rescousse de Dujek : à ce stade, il en va de la survie des armées malazéennes, vu que celles-ci se sont mises dans de beaux draps en attaquant en solo. Le souci c'est de comprendre pourquoi Dujek et Mésangeai ont d'abord décidé de faire cavalier seul.
1) ils se sentent mal à l'aise vis-à-vis de leurs alliés de circonstances, la coalition Andii-Rumin-Rhivis, parce que leur faux statut de hors-la-loi a été éventé.
2) ils craignent un regroupement des forces panniones autour de Corail s'ils attendent trop longtemps, ce qui rendrait le siège d'autant plus difficile.
3) ils veulent avoir le loisir d'agir à leur guise sans subir de pressions négatives de la part de Rumin-Kallor etc, sachant que les Malazéens ont leur propre doctrine de guerre qui s'appuie sur les combats en escouades mobiles et indépendantes, les parachutages via qorls, les munitions moranthes, etc, ils ont donc une vision de la situation assez différente de Rumin et entrevoient des possibilités stratégiques qui lui ne voit pas.
4) ils craignent que si la situation dégénère Rumin soit susceptible de se servir de son marteau pour contrer l'Oracle... et ça a d'ailleurs bien failli se produire au bout du compte. Ils veulent donc le prendre de vitesse.
5) ils n'ont à ce stade aucune nouvelle d'Anomander Rake (bien que Mésangeai et Korlat soient très proches) et cela crée un sentiment de danger voire d'urgence chez eux.
6) enfin ils ne peuvent pas communiquer avec l'autre partie des forces et sont donc d'autant plus décidés à agir dans leurs dos.
Je suis tout à fait d'accord pour convenir que cette stratégie est une erreur monumentale, liée en partie de la défiance que ces anciens adversaires nourrissent les uns envers les autres. N'oublions pas que les Malazéens et la coalition Rumin-Andiis se sont livrés une guerre meurtrière pendant presque dix ans avant qu'ils ne deviennent alliés de circonstances. Un état major coordonné et soudé n'aurait jamais pris une décision pareille.
- Pour ce qui est de la stratégie de l'Impératrice, le but était de faire croire justement à Rumin et Rake qu'Unbras et son ost avaient été mis hors-la-loi pour qu'ils acceptent de s'allier avec eux contre l'Oracle de Pannion. À la base Rake et Rumin combattent l'Empire Malazéen, qu'ils estiment être une menace pour l'équilibre du monde. En revanche ils n'ont rien de "personnel" contre l'armée d'Unbras qu'ils affrontent, et de plus ils respectent profondément cet adversaire. À partir du moment où l'ost n'est plus sous l'autorité impériale, ils peuvent s'appuyer dessus pour se battre contre l'Oracle, ils auraient d'ailleurs tort de se priver d'une telle force de frappe. Quant à Tayschrenn, il est envoyé par l'Impératrice en espion dans l'Ost pour surveiller les agissements des uns et des autres. Laseen n'a pas confiance en ses généraux (en particulier Mésangeai, ce qui semble compréhensible), et encore moins en ses adversaires. De par sa position privilégiée, Artanthos peut assister aux conseils de guerre et jouer son rôle de relai informatif auprès de l'Impératrice. De plus Tayschrenn se révèle un renfort de grande valeur pour combattre la sorcellerie de l'Oracle, et si la situation tournait mal il était susceptible de renverser la vapeur. Bien en a pris à Laseen, rétrospectivement. NB : Tayschrenn est sans doute le personnage le plus puissant de tout le cycle, à peu près à égalité avec Anomander Rake.
- Pour Kallor, je ne suis pas d'accord avec ton ressenti. C'est certes un homme odieux et cruel, personne ne peut le supporter en effet, mais personne dans son camp ne raille ses conseils. Kallor est un grand chef militaire, il a mené d'innombrables campagnes victorieuses, ce fait est rappelé à maintes reprises dans le roman. Rumin ne lui fait pas entièrement confiance, mais il s'appuie volontiers sur son expérience qui lui a été très utile contre les Malazéens durant les dix années passées.
- Qu'est-ce qui motive les Malazéens à rester autour de Dujek alors qu'ils ont été déclarés hors-la-loi ? En fait c'est surtout qu'ils n'ont pas vraiment le choix. Ils se retrouvent sur un continent hostile, loin (très loin) de chez eux. Déclarés hors-la-loi, ils ne peuvent pas rentrer à Malaz ou en Quon Tali sous peine d'être traqués et exécutés, et les populations de Genabackis risqueraient de s'en prendre à eux s'ils se dispersaient hors du cadre militaire. Là-dessus ils ont combattu pendant dix ans sur ce contient avec le sentiment d'avoir été lâchés par l'Empire (sans soutien ou presque), de plus ils vouent une plus grande allégeance à Dujek plutôt qu'à Laseen. Pourquoi dès lors ne pas se battre contre ce redoutable ennemi qu'on leur présente, dans l'idée ensuite de s'établir durablement en Genabackis à l'abri de la structure militaire, leur "seule famille" comme on le rappelle souvent dans le roman ?
- Pour ce qui est de l'héroïsme outrancier des "gentils", il faut tempérer ton point de vue. Il ne s'agit pas de se battre contre un méchant qui menacerait simplement Genabackis, mais contre une sorte de cancer qui aurait tôt fait d'envahir le monde. Un fanatisme horrible qui mettrait la planète à feu et à sang. Et là on ne parle pas des "gentils américains" qui se battraient contre les "méchants Talibans" avec tous les guillemets qui s'imposent autour d'un postulat faux et orienté. On parle d'une nation qui promulgue une religion proprement inhumaine qui vise à "dévorer" l'humanité, au propre comme au figuré. Tu as quand même plusieurs dialogues dans le roman qui décrivent en long et en large le danger absolu que représente le Domin de Pannion. C'est ce danger qui pousse des ennemis jurés (Malazéens et coalition Rake-Rumin) à s'allier. Et même si l'enjeu lui-même dépasse le simple troufion, celui-ci est capable de se rendre compte qu'une telle alliance ne se monte pas pour des prunes.
Pour les Epées Grises, c'est "l'exception qui confirme la règle", là aussi c'est relaté assez largement dans le livre. D'ailleurs les Malazéens ne leur accordent tout d'abord aucun crédit, persuadés qu'ils ne s'intéressent qu'à l'argent. La plupart des compagnies de mercenaire auraient fui le cauchemar de Capustan, mais les Epées Grises ont décidé de rester et de faire honneur à leur rang, sentant également qu'ils avaient un rôle à jouer face à toute cette horreur. Coup de bol, si j'ose dire, pour la ville qui aurait sombré sans eux.
- Paran est un personnage à la dérive, d'ailleurs son premier POV interne nous le montre clairement dépressif, voire suicidaire. Un grand pouvoir lui tombe dessus "par hasard", mais il n'en veut pas et met un certain temps à comprendre qu'il ne pourra pas échapper à ce rôle de Maître du Jeu. C'est une façon comme une autre d'affronter la réalité. Lui il préfère la fuir ou l'éluder. Certes tu agirais sans doute différemment, mais c'est une réaction "humaine" comme une autre. Par ailleurs c'est un homme froid, distant, solitaire, incapable de se lier d'amitié. Finalement, c'est la structure de commandement, son grade et son rôle de capitaine des Brûleurs de Ponts qui vont réussir à le structurer. Pour ce qui est des réactions vis-à-vis de ses soeurs, il admire Tavore et son esprit brillant, il n'est pas surpris quand il apprend que malgré les origines nobles de leur famille elle a réussi à devenir Adjointe, ce qui la met de facto à l'abri de la vindicte de l'Impératrice. Quant à Félisine, il ne doute pas vraiment que Tavore a concocté un plan à son sujet. Donc il ne s'inquiète pas trop pour elles deux. Par ailleurs il a bien d'autres chats à fouetter à ce moment-là, et son sort propre lui importe beaucoup plus (ses soucis de santé, son mal être etc).
- Itkovian perd tout lors du siège de Capustan : sa compagnie, son rôle de Bouclier Enclume, ses "amis". Passé ce siège, il n'est plus rien, n'a plus aucun but, plus aucune raison de vivre, et il est de surcroît profondément ébranlé par les horreurs qu'il a vécues. Dès lors il suit tout le monde à Corail par défaut d'une part, et d'autre part parce qu'il ressent, au fond de lui-même, qu'il a encore un rôle à jouer dans cette histoire avant de mourir - à raison.
- Tes interrogations suivantes se rassemblent autour d'un grand grief fait au cycle : le fait que tout ne soit pas (bien et au bon moment) explicité. En effet on en sait peu sur le passé des protagonistes, ou alors Erikson balance ses informations une fois et une seule, souvent bien avant ou après le moment voulu.
Rumin, on sait très bien qui c'est dès les Jardins de la Lune. C'est un ascendant, immortel, un vieil ami d'Anomander Rake, qui possède les destin du monde entre ses mains (le marteau de Brûle) et à partir de là sa nationalité n'a aucune importance. Il aspire à l'équilibre des forces dans le monde et voit l'Empire comme un facteur de déséquilibre justement, d'où sa lutte.
Kallor jouit d'une autre forme d'immortalité. C'est un prédateur, il attend tapis dans l'ombre qu'une opportunité s'offre à lui, et par-dessus tout il souhaite se venger des trois Anciens Dieux qui l'ont "condamné" à l'immortalité dans la déchéance, K'rul, Darconus et la Soeur des Froides Nuits. Quand il a entendu parler d'une Frissombre chez les Malazéens (un Grand Mage, donc un "nom" connu), il a su que cette dernière était à sa portée, d'où alliance contre elle.
Mésangeai, Dujek, Piocheuse et Paran, j'avoue que leur background ne s'impose pas pour expliquer leurs motivations : ce sont des soldats, ils agissent en tant que tels, pour les raisons expliquées déjà ci-dessus. D'ailleurs je suis surpris que tu te plaignes de ne pas avoir assez de renseignements sur le passé de Paran, il y en a quand-même beaucoup, dans les Jardins, dans ce tome-ci, et même dans les Portes de la Maison des Morts via les souvenirs de Félisine.
Grognard ? C'est un type normal, un simple escorteur de caravanes qui ne cherche pas les embrouilles et qui veut juste bien faire son boulot, et en cela son élévation n'en apparaît que plus intéressante par contraste avec sa vie d'avant.
Et Envie... c'est le côté "badass" d'Erikson qui ressort, un personnage surpuissant et incontrôlable qui amène un peu de folie dans le roman. Honnêtement son rôle est plus décoratif que décisif, il y a un côté fun chez elle, genre force chaotique et capricieuse. Pas besoin d'en savoir plus, même si tu en apprendras bien davantage sur elle et sur sa soeur Rancoeur dans les tomes suivants.
Je dirais pour finir que la preuve même qu'il n'y a pas besoin de tout savoir sur un personnage pour que celui-ci nous émeuve, c'est justement le destin de Mésangeai qui a réussi à te toucher.
Pour la suite, le tome 4 n'améliore pas vraiment le traitement des personnages, malheureusement pour toi. Le 5 par contre se montre (très) nettement supérieur de ce point de vue, idem pour les suivants. Et je peux t'assurer que de l'humain, du personnage chiadé, du background, de l'émotion, tu vas en avoir surtout dans le tome 8, Toll The Hounds (la Rançon des Molosses).
Voilà !