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par Milieuterrien
Elbakinien d'Argent
Peut-être faudrait-il rebaptiser ce sujet (qui est une bonne idée) "Vos moments Glop/pas Glop", du nom de cette onomatopée usitée par le personnage de BD nommé Pifou selon qu'il appréciait ou n'appréciait pas ce dont il était témoin. Car chaque scène selon le vécu son audience peut avoir un effet j'ingurgite /j'ingurgite pas.Dans ce domaine, il n'est pas très étonnant de voir figurer les scènes comiques au premier rang des sursauts 'puristes' de la lettre Tolkiennienne, car l'humour écrit n'est pas toujours facile à convertir en humour visuel et réciproquement. Cela dit, rendons à Tolkien ce qui revient à Tolkien, à savoir principalement la mise en place d'un univers très diversement peuplé, comme on l'attend d'un univers. Or le propre d'un univers est d'évoluer de façon autonome : s'il devait être réduit à une façon et une seule d'être relaté, demeurerait-il un univers vivant ou bien dégénèrerait-il en tableau momifié dans le rituel ? A mon avis, la dynamique d'un univers est plutôt d'ouvrir l'espace des possibles. Sans quoi, on ne voit pas trop comment les jeux de rôles, pour ne citer qu'eux, auraient pu s'emparer du monde de Tolkien avec la pétulance que l'on sait. On en serait resté à une théâtralisation figée (*), et j'imagine que des millions de rôlistes en auraient été... frustrés.(*) Vous noterez qu'il n'existe justement pas de jeux de rôles basés sur le théâtre Shakespearien, parce que ce n'est pas un univers ouvert mais une trame historique corsetée dans sa narration par le principe de fatalité. A partir de là, le surgissement de moments comiques dans le flux d'une aventure ne me paraît pas devoir être interprété comme une 'trahison' de l'esprit Tolkien, mais plutôt comme un fruit dans son verger fertile ; dès lors il est plus pertinent de s'interroger sur la subtilité de l'humour, l'originalité du gag, sa nature multi-couches ou primaire, etc. Car un gag, c'est souvent comme un iceberg : avec l'âge et le vécu, on s'équipe de lunettes qui permettent de voir 'sous l'eau' certaines connexions jubilatoires qui peuvent échapper à un regard moins exercé.Oui, PJ et ses scénaristes pratiquent par endroits un humour jouant sur des certaines cordes qui tangentent l'anachronisme ; mais ils réussissent à ne pas y tomber, parce que leur priorité est la fidélité à l'univers de Tolkien, tout en sachant qu'ils s'adressent à un public qui n'a plus grand'chose à voir avec celui auquel s'adressait Tolkien. N'est-il pas légitime de tenir compte de ce paramètre-là quand on réalise un film capable au moins de faire sourire ses audiences pour que le bouche à oreilles fonctionne ?--- - Pour les nains sprinters, il se trouve simplement que dans le scénario de Tolkien un nain trappu était supposé suivre à la course, pendant des heures, un elfe et un ranger agiles. C'est évidemment physiquement impossible, mais on s'en aperçoit avec bien plus d'évidence lorsqu'on s'efforce de filmer la scène que lorsqu'on l'écrit. Donc s'il y a bug, il est plutôt à chercher côté Tolkien. Le cinéaste, lui, résout plutôt avec agilité le hiatus en plusieurs temps : 1) Sur une superbe scène panoramique, il filme les trois coureurs, juste assez longtemps pour qu'on s'aperçoive de la divergence des foulées2) Sur un plan plus rapproché, il montre une scène où les coureurs s'arrêtent. Evidemment, celui qui est le moins rapide des trois est resté en arrière, et il lui faut un certain temps pour rejoindre les deux autres. Et comme il a fait effort pour ne pas être largué, il rêve de profiter de la pause pour reprendre son souffle.3) La scène suivante vient ferrer le gag : car le hic pour Gimli est que les deux autres n'ont pas choisi de faire une pause pour se reposer, mais pour s'orienter, le ranger en écoutant le martellement d'une troupe au sol ou en cherchant ses traces, toujours au sol, l'elfe en scrutant l'horizon avec son hyper-sensibilité. Donc s'ils s'arrêtent c'est pour repartir aussitôt.Tous ceux qui ont pratiqué la randonnée en groupe connaissent le supplice éprouvé par le malheureux qui comptait sur une pause pour se requinquer, et qui voit la majorité du groupe repartir au moment où il espérait, lui, se reposer.Que Gimli le roux devienne écarlate en de pareilles circonstances ne devrait étonner personne.. Sauf peut-être ceux ou celles qui n'ont jamais randonné, la paix soit avec eux.4) La scène qui conclut le gag évoque avec tendresse le supplice d'être largué par les agiles, ordinairement redoublé par l'humiliation d'être celui qui freine le groupe et compromet donc potentiellement sa mission : ne pas arriver à temps, échouer à rejoindre ceux que l'on poursuit, etc.On sait que les Nains sont chez Tolkien un peuple fier et susceptible. Donc comment Gimli peut-il réagir à l'humiliation ? Eh bien en rappelant avec dignité que son peuple, pas seulement lui, Gimli, est doué pour le sprint plutôt que pour le fond. Ce qui n'est pas tout à fait faux, sauf que ça concerne surtout les premières foulées du démarrage (demandez à Diego Maradona ce qu'il faut en penser) parce que bien évidemment les choses se compliquent rapidement dès les suivantes...On imagine bien qu'un Peter Jackson, surtout vu son tour de taille à l'époque du tournage, n'avait aucune peine à se projeter dans l'état d'esprit de Gimli durant cette course de fond, et qu'il n'allait pas se priver de l'occasion de traduire tout ça sur l'écran... d'autres que lui se seraient peut-être appesantis pédagogiquement sur la question comme je le fais ici, mais il se trouve que lui, il avait 900 pages à caser en 9 heures, donc il avait quand même plutôt intérêt à tout compiler en une seule tirade.Donc celle-là ("Nous Nains sommes plus à l'aise sur les courtes distances"), je ne peux que vous inviter à la conserver en bouche sans vous précipiter pour la recracher comme un noyau de pruneau. Vous verrez c'est un délice.Et si j'ai le temps, je vous toucherai un mot des autres Glops/Paglops.