Quel livre ! Quelle claque !
J'ai terminé Les Lions d'Al-Rasan il y a quelques jours. Mon premier Guy Gavriel Kay (de fait, certainement pas le dernier) et ce fut un superbe voyage. Il y a des livres qui divertissent, font passer un bon moment, d'autres qui nous remuent, nous stimulent et que l'on adore. Et puis il y a ceux qui sont tout ça mais ont aussi un quelque chose en plus, inexplicable, presque magique, qui fait que le livre devient quelque chose de très particulier pour son lecteur. Les Lions d'Al-Rasan rejoint la liste des livres qui ont réussi à créer ce lien avec moi.
Chaque chapitre, chaque page est un pur délice.
J'aime vraiment cette idée du pas de côté, vis-à-vis de la réalité historique. On reconnaît d'emblée l'époque et les cultures évoquées, cette Espagne qui arrive au tournant de la reconquista, mais qui se permet d'utiliser toutes les libertés et toutes les forces de l'imaginaire, de la fantasy, pour mieux développer son propos, son histoire, ses personnages.
Il n'y a pas un temps mort et pourtant le livre prend son temps. Permettant à son univers de se développer, d'exister, de mixer avec brio érudition historique et pure création et symbolisme. Il prend son temps et pourtant il semble se lire trop vite (qu'il est dur de se dire qu'on est arrivé à la dernière page).
Comme dit plus haut, on sent que l'auteur connait très bien l'époque qu'il détourne et pourtant il se permet constamment de superbes idées. À l'image des trois religions, associées à trois types d'astres (étoiles, lune et soleil). Une idée en apparence simple, mais brillante. Qui arrive a caractériser de manière évidente chaque culture, ce qui les rend antinomiques et ce qui pourtant les lie et les rend même semblables (des astres différents en apparence, qui font pourtant partie du même tout, qui sont même similaires, le soleil n'étant rien d'autre qu'une étoile).
Les personnages sont certainement une des grandes forces du livre. Il y a bien évidemment les trois personnages principaux. Les passages, les dialogues les mettant en scène (d'autant plus lorsqu'ils sont réunis) sont tous magistralement écrits. On trépigne de les retrouver chaque fois qu'on les quitte. Les nuances de leur caractérisation, l'intelligence d'écriture qui s'en dégage. Les mots me manquent. Tout simplement, on aime ces trois personnages et leur relation.
Pour autant, les personnages secondaires ne sont pas en reste. Là aussi, ils surprennent régulièrement et, même si certains n'échappent pas à des caractérisations plus archétypales ou taillées à la serpe, beaucoup se complexifient à mesure des pages.
Il y a aussi ce juste milieu que trouve le livre, dans son ton, dans sa façon de dépeindre l'humanité. Tour à tour brutale et monstrueuse (certaines scènes de violence sont ignobles et ne nous épargnent pas) mais aussi capable de beauté et de poésie (la beauté qui se dégage de Ragosa, les poèmes qui parsèment le récit, les actes de certains). Réaliste et pourtant romantique. Lucide sur les aspects sombres comme lumineux, mais se permettant aussi l'utopie, exaltant l'idée d'un idéal.
Tout comme le reste, les thématiques sont à la fois nombreuses et traitées avec nuance. De la fin d'une époque (et ses conséquences), aux rôles et impacts des religions et des fanatiques (à la fois menaces et outils des peuples), aux raisons pour lesquelles des êtres que tout rapproche s'entredéchirent pourtant dans le sang (comment vivre avec sens et honneur ? Ne rejouons-nous continuellement qu'une lutte ancestral et primaire pour la survie de notre tribus ? Comme s'interrogent les personnages), aux choix (ou leur absence) qui s'offrent aux individus face à l'inertie de l'Histoire. Le livre prend plaisir à nous poser des questions.
À nous d'y réfléchir.
Une tragédie se dessine au gré des pages, que l'on devine vite inéluctable et qui rend le final à la fois magnifique et dévastateur. Car c'est aussi un récit plein d'émotion, doux amère jusqu'au bout. On rit, on pleure, on vit avec ces personnages.
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Personnellement, le passage de la « mort » puis guérison du fils de Rodrigo m'a dévasté. Je suis arrivé au bout avec la gorge plus que serrée.
Les scènes superbes, haletantes, sublimes s'enchaînent. Et encore une fois, c'est à regret que l'on quitte ces personnages, cette histoire...
Pour finir, il a l'écriture de Kay : superbe ! C'est de la dentelle ! Les dialogues sont d'une élégance et d'une subtilité toute jouissive. Et, non content de mettre en scène des poètes, le texte lui-même est emprunt de poésie. Le rythme et les mots justes (et les images qu'il suscitent) sont admirablement maitrisés.
Pour résumer en un mot : magistral !